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Édito

Plaidoiries au Conseil privé : les implications en termes de risque politique

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À chaque fois que l’on essaie de se recentrer sur l’économie, une force répulsive nous éloigne des priorités. Les scandales politiques auxquels sont associés nos élus ou encore les agissements d’officines controversées au sein de la police et considérées comme étant proches du pouvoir ne manquent pas de créer un climat délétère. Il flotte constamment dans l’air un relent de scandale qui, quoique distrayant pour le citoyen lambda, est néfaste pour les affaires. Car le risque politique, qui est un facteur essentiel que jaugent minutieusement les investisseurs avant d’opter pour une destination d’investissement, est en train de monter crescendo. Et il n’y a rien de distrayant à cela ; c’est même très préoccupant.

À pareille époque l’année dernière, Moody’s sanctionnait lourdement le pays en rétrogradant sa note souveraine de Baa2 à Baa3 dans le sillage de l’affaire de Data capture, avec en toile de fond les révélations de Sherry Singh sur les instructions que lui auraient données le Premier ministre pour faciliter l’accès à des ingénieurs indiens aux installations du câble SAFE à Baie Jacotet. Justifiant sa décision, l’agence de notation s’appesantissait sur le fait que la qualité et l’efficacité des institutions et du processus de pouvoir décisionnel se sont affaiblies et qu’en retour, cela entrave la résilience économique du pays et sa capacité à absorber les chocs futurs.

Bien qu’il soit inflationniste, le Budget 2023-24 a répondu dans une grande mesure aux attentes du secteur privé qui réclamait de vive voix une réforme fiscale et l’abolition du Solidarity levy, ainsi que l’accélération de la stratégie d’ouverture de l’économie. Mais ce sentiment de bien-être a très vite laissé la place à la sinistrose suivant les révélations extrêmement graves contenues dans la bande sonore de Vimen Sabapati qui, si elles sont avérées, signifieraient que les institutions sont profondément malades. L’absence d’enquêtes indépendantes sur la Special Striking Team – le Commissaire de police a trouvé cela normal qu’une unité de Special Striking Team enquête sur elle-même – et le bénéfice du doute que le Premier ministre a été prompt à accorder à cette escouade n’ont fait que renforcer la double perception qu’une culture d’impunité prévaut dans certaines sphères et d’une volonté du régime en place de vouloir se débarrasser de ses opposants, comme l’avait fait à l’époque François Duvalier, en Haïti, qui avait instauré un climat de terreur avec sa milice paramilitaire, les «tontons macoutes».

Peu après, l’on a eu droit à la nouvelle arrestation d’Akil Bissessur, de sa compagne et de son frère pour importation d’ecstasy qui, encore une fois, a mis au jour des procédés jugés douteux employés par la Special Striking Team, avant de provoquer une cassure dans les relations entre le Commissaire de police et le directeur des poursuites publiques. Une autre crise institutionnelle dont on se serait bien passé de faire l’économie.

Avec les audiences du procès en appel de Suren Dayal au Conseil privé qui ont été entendues, lundi, par les Law Lords Davic Lloyd Jones, Philip James Sales, Nicholas Archibald Hamblen, sir Ben Stephens et lady Dame Sue Lascelles Carr, le débat politique occupe plus que jamais le devant de la scène.

Les accusations de Suren Dayal, candidat battu du Parti Travailliste lors des élections générales, à l’effet que celles-ci ne sont pas libres et démocratiques et que Pravind Jugnauth et ses deux colistiers, Leela Devi Dookun et Yodiga Sawmynaden, auraient tenté de corrompre l’électorat de la circonscription No 8 en faisant moult promesses avant le début de la campagne électorale ne sont pas prises à la légère par les Law Lords.

Dans sa plaidoirie, Me Timothy Straker, le représentant légal de Suren Dayal, a insisté avec force sur le fait que la promesse d’augmentation de la pension de vieillesse constitue un cas flagrant de pot-de-vin. S’appuyant sur la section 64 du Representation of the People Act, il a indiqué que le Premier ministre a fait cette promesse sur la pension en son nom personnel le 1er octobre 2019, soit cinq jours avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Une mesure qui, par la suite, figurera sur le manifeste de l’Alliance Mauricien paru le 23 octobre 2019.

S’il est difficile de voir le Conseil privé renverser la décision de la Cour suprême d’autant plus que l’appelant a abandonné deux points d’appel concernant la couverture médiatique de la campagne électorale par la MBC et les dépenses électorales, il n’en demeure pas moins que les Law Lords sont souverains dans leur décision et que l’affaire de l’invalidation de l’élection d’Ashok Jugnauth en 2007 pour cause de corruption électorale (l’on se souviendra de sa promesse de recruter des Health care assistants) est susceptible de faire jurisprudence.

Trois scénarios sont à envisager. Le premier, c’est que le Conseil privé abondera dans le même sens que la Cour suprême. Une telle décision légitimera la position de Pravind Jugnauth en tant que chef du gouvernement. De même, elle rétablira la confiance dans nos institutions, notamment la Commission électorale qui, par le biais d’un document transmis récemment aux chefs de file de l’Opposition, à savoir, Navin Ramgoolam, Paul Bérenger et Xavier-Luc Duval, s’est engagée à revoir les lacunes relevées lors du scrutin de novembre 2019, notamment par rapport à l’enregistrement des électeurs et aux procédures lors du dépouillement (on n’utilisera plus les salles informatiques dans les centres de dépouillement).

Le deuxième scénario, c’est que les Law Lords renvoient l’affaire à la Cour suprême pour obtenir des éclairages sur des points spécifiques. Celle-ci pourrait ainsi revoir son jugement. Cela signifierait aussi qu’ils expriment de sérieuses réserves sur l’impartialité du processus électoral à Maurice. Ce qui sera loin de rassurer la communauté des affaires et des investisseurs.

Enfin, le Conseil privé pourrait invalider l’élection de Pravind Jugnauth, de Leela Devi Dookun et de Yogida Sawmynaden. Ce serait alors un véritable séisme politique. Si ce scénario se matérialisait, ce serait l’effondrement du régime actuel.

En attendant le jugement du Conseil privé qui a été réservé ultérieurement, le climat sera particulièrement tendu. L’incertitude qui plane sur le régime au pouvoir ne fait qu’accentuer le risque politique. Les investisseurs sont bien informés. Des institutions comme Marsh publient régulièrement des rapports sur le risque politique et le risque sécuritaire. Pour l’heure, Maurice est dans la zone verte et est considéré comme un pays où le risque politique est faible. Il ne faut pas que l’empilement des scandales touchant les politiques et les forces de l’ordre nous fasse basculer dans une zone orangée. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que nous sommes toujours sous le radar de Moody’s et qu’un nouveau déclassement du pays signifierait que celui-ci se retrouverait avec la note Ba1 et qu’on perdrait alors notre Investment grade.

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