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Bérangère Duplouy (analyste à l’Insee): «Les Réunionnais achètent 79 % de leurs aliments en grandes surfaces»

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Bérangère Duplouy (analyste à l’Insee): «Les Réunionnais achètent 79 % de leurs aliments en grandes surfaces» | business-magazine.mu

Chef de division Comptes et analyses économiques à l’Insee de La Réunion, Bérangère Duplouy nous aide à mieux comprendre les enjeux économiques de la consommation. Celle-ci contribue davantage au PIB à La Réunion qu’en métropole, observe-t-elle.

 

 

BUSINESSMAG. Quelle est la contribution de la consommation à l’économie réunionnaise ?

La consommation des ménages est clairement un moteur historique pour le produit intérieur brut (PIB) réunionnais. Les chiffres de 2015 le montrent : dans un PIB de 18,15 milliards d’euros, la consommation des ménages représente 12,57 milliards, loin devant la deuxième composante forte du PIB, la consommation des administrations publiques qui ne totalise que 6,80 milliards d’euros. En volume (ce qui nous apparaît plus concret pour annuler l’effet de la hausse des prix), la consommation des ménages affiche une croissance de + 3,2 % à La Réunion, contre seulement + 1,5 % en France métropoli-taine. Il s’agit là d’un rythme de croissance soutenu : en termes de comparaison, les chiffres de 2014 étaient encore plus marquants, puisqu’ils indiquaient respectivement + 2,7 % contre + 0,7 %. Plus importante qu’en métropole donc, la consommation des ménages réunionnais contribue pour plus de la moitié au PIB.

 

BUSINESSMAG. En quoi La Réunion diffère-t-elle de la métropole sur le plan de la consommation ?

En métropole, la consommation reste un facteur non négligeable, mais son importance à La Réunion est plus marquée. En métropole, ce sont davantage les investissements et les exportations qui renforcent le PIB.

 

BUSINESSMAG. La spécificité réunionnaise est donc l’importance de la consommation. Qu’est-ce que cela implique ?

Le corollaire de cette consommation forte est le recours important à l’importation (une augmentation de 3,7 % en volume, en 2015). Cela peut être vécu comme un paradoxe : la consommation est certes un moteur, mais elle pèse aussi sur l’économie. Cela est dû au caractère insulaire de La Réunion (le même constat s’applique à d’autres îles de l’océan Indien) et au fait que nous sommes loin d’une situation d’autosuffisance. Dans cette configuration, toute hausse de la demande implique une augmentation de l’importation.

 

BUSINESSMAG. Sur les cinq dernières années, quelles ont été les tendan-ces de la consommation à La Réunion ?

Entre 2010 et 2015, on a constaté une croissance de + 25 % en volume. Avant, la tendance était bien plus modeste en raison de l’impact de la crise économique de 2008 (qui a, soit dit au passage, impacté l’ensemble de l’économie locale) ; elle a, un temps, freiné la consommation des ménages.

 

BUSINESSMAG. Il a fallu attendre la reprise économique pour donner un nouvel essor à la consommation ?

Oui, après la timide remontée observée en 2010-2013, la reprise économique n’a été franche qu’à partir de 2014. Une année atypique car avec le démarrage du chantier de la Nouvelle route du littoral, l’investissement a aussi été un facteur clé dans le PIB et a représenté 6,8 % en volume (avec un ralentissement qui situe la part de l’investissement à 4,1 % en 2015).

 

BUSINESSMAG. Quels sont les comportements des Réunionnais en matière de consommation ?

Le comportement le plus remarquable est celui de la fréquentation des points de vente. Les Réunionnais achètent 79 % de leurs aliments en grandes surfaces. C’est plus qu’en métropole (72 %), alors que l’île compte deux fois moins de commerces de ce type en proportion. Il faut aussi souligner que tous les ménages achètent en grandes surfaces, quel que soit leur revenu. Les ménages les plus modestes fréquentent davantage les maxi-discounts où ils réalisent 10 % de leurs achats alimentaires, contre 5 % pour les plus aisés.

À l’opposé, les Réunionnais fréquentent deux fois moins les commerces de détail specialisés (boulangerie, bou-cherie, poissonnerie, caviste…) qu’en France mé-tropolitaine : 8,5 % contre 15 %).

Les ménages de l’île dépensent beaucoup moins dans les petits commerces d’alimentation géné-rale qui, malgré une implantation deux fois plus importante, ont une part de marché comparable à celle de la métropole, soit 4 %. Il s’agit ici souvent d’achats de dépannage, quand on n’a pas eu le temps ni l’occasion de se rendre en grande surface. Ils concernent davantage les ménages les plus modestes que les plus aisés (7 % contre 3 %).

Les marchés (forains ou couverts), quant à eux, restent un pôle attractif et les Réunionnais y ont recours autant qu’en France métropolitaine (4,7 %) pour l’achat de légumes frais (34 % de parts de marché contre 16 % en métropole) et de fruits frais (27 % contre 17 % en métropole).   

 

BUSINESSMAG. Quels sont les postes de dépenses des ménages réunionnais ?

La moitié des dépenses des Réunionnais se répartit entre trois postes essentiels : le transport, l’alimentation et tout ce qui a trait au logement. En termes de tendances, l’alimentation et le logement sont à la baisse, tandis que les dépenses liées au transport sont stables. Ce qui a changé ces dix dernières années, c’est la diversification des postes de dépenses comme les soins à la personne (coiffure, esthétique, produits cosmétiques et d’hygiène…) ainsi que les assu-rances (vie, décès, transport, logement, santé).

On note aussi une augmentation tendancielle dans le domaine des loisirs, de l’hôtellerie et la restauration, de même que dans les communications. Cette tendance est liée à l’augmentation des revenus. Dans toutes les économies de marché, une loi, celle d’Engel, se vérifie : le coefficient budgétaire des dépenses alimentaires baisse lorsque les revenus augmentent. En d’autres termes :des revenus plus élevés permettent de ne pas consacrer une part trop importante des dépenses à l’alimentaire, ce qui libère un budget pour d’autres dépenses, notamment les loisirs.

 

BUSINESSMAG. Cette tendance reflète le nouveau visage de la société réunionnaise…

Entre 1946 et 2016, La Réunion a connu 70 ans de mutations économiques. Une transformation en profondeur qui a fait passer l’économie réunionnaise d’un monde agricole, peinant à faire subsister la population, à une société de services. Dans la globalité, et grâce à l’amélioration des structures et des conditions de vie, on remarque un effet de rattrapage avec la métropole : par exemple, le revenu par habitant des Réunionnais représente aujourd’hui en moyenne 80 % du niveaunational. Mais des nuances sont à apporter. Il apparaît d’abord presque paradoxal de dire que la consommation soutient la croissance réunionnaise alors que dans le même temps, il s’agit d’un territoire plus pauvre que celui de la métropole. Avec des revenus plus faibles, un ménage réunionnais dépense en mo-yenne moins qu’un ménage en métropole.

 

À La Réunion, la part consacrée à l’alimentation avait certes baissé jusqu’en 2006, mais depuis, elle a stagné. Elle reste toutefois plus importante qu’en métropole : 18 % contre 16 %. Alors même que l’on note des progrès et que l’économie a changé de visage, on constate que l’alimentation demeure une vraie question. C’est même la première préoccupation (en ce qui concerne la quantité et la qualité) pour les ménages les plus modestes qui consacrent un quart de leur budget aux produits alimentaires. Dans le détail, les inégalités sont conséquentes entre classes de population : les 20 % des ménages réunionnais les plus modestes ont un niveau de consommation trois à quatre fois inférieur aux 20 % des
ménages les plus aisés. 

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