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Budget: les enjeux de la relance

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Budget: les enjeux de la relance | business-magazine.mu

Encore échaudée par les remous de ces derniers mois, notamment la révision du traité fiscal Inde-Maurice, la communauté des affaires fonde ses espoirs sur le prochain Budget, lequel sera présenté par Pravind Jugnauth. Ce sera l’occasion d’envoyer un signal fort en créant les conditions pour relancer l’économie.

Après une année 2015 dominée par les effets en cascade dans le sillage de l’effondrement du groupe BAI, le premier semestre 2016 a été marqué par l’attente du jugement en appel dansl’affaire Medpoint, la guerre ouverte entre Lutchmeenaraidoo et Bhadain, les tensions sous-jacentes au sein du gouvernement et – last but not least – la douche froide que constitue la renégociation du traité fiscal Inde-Maurice. Après ces soubresauts, les regards sont désormais rivés sur le prochain Budget, qui cristallise tous les espoirs de la nation. Pravind Jugnauth saura-t-il relever le défi ?

Les attentes sont grandes. Le premier Budget n’a pas transcrit dans la réalité tous les espoirs de redémarrage économique et de miracle promis par L’alliance Lepep. La communauté des affaires, un tantinet déçue l’année dernière, n’a pas trouvé les ressorts nécessaires pour un sursaut. L’emploi, l’investissement et la croissance n’ont pas décollé. Le gouvernement a bien tenté de recoller les morceaux et d’insuffler un nouveau dynamisme avec Vision 2030, mais en tablant sur des objectifs chiffrés très ambitieux, trop ambitieux peut-être pour une économie qui peine encore à passer la phase de transition dans laquelle elle se trouve.

Puis, il y a eu le coup de gueule de l’ex-ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo : «Je ne parle plus de miracle, les gens sont trop râleurs», qui traduisait une certaine démotivation chez celui qui avait été recruté par sir Anerood Jugnauth pour être l’architecte du second miracle économique. À défaut de miracle, la croissance économique a reculé à 3,1 % (contre 3,4 % en 2014), et ce alors que Vishnu Lutchmeenaraidoo faisait miroiter un taux de plus de 5 % ! «Après un an et demi au pouvoir, rien n’a été fait», déplore l’économiste Nikhil Treeboohun.

L’investissement, clef de voûte de la relance, ne décolle toujours pas. Or, le pays a besoin d’une Investment-led growth, insiste Raju Jadoo, de la Chambre de commerce et d’industrie. Pire, l’investissement privé se réduit comme une peau de chagrin d’année en année, avec trois baisses successives (-2,8 % en 2013, -8,4 % en 2014 et -7,3 % en 2015) selon Statistics Mauritius.

En termes de pourcentage du PIB, il est passé de 16,2 % en 2013, à 14,3 % en 2014 et 12,9 % en 2015. Cette année, il devrait encore baisser à 12,5 %.

Smart cities : scepticisme

Dans son premier Budget, le gouvernement actuel avait misé sur les Smart cities pour booster l’investissement. On parlait de la création de huit Smart cities, puis de 14. Le hic est que ces projets prennent du temps à sortir de terre. Qui plus est, plusieurs observateurs arguent que le pays ne peut en accommoder que deux ou trois au maximum. Certains s’offusquent même que l’on puisse envisager de faire émerger des villes de nulle part, sans un plan de développement d’ensemble pour le pays. Au final, et ils sont plusieurs à le dire en privé : le dernier Budget de Vishnu Lutchmeenaraidoo n’a finalement pas vraiment changé la donne. Catherine Gris, Executive Director de l’Association of Mauritian Manufacturers, a d’ailleurs récemment concédé dans les colonnes de l’express : «Il n’y a eu de développements majeurs durant l’année écoulée par rapport au Budget. Celui-ci ne contenait pas de réelle vision pour le secteur industriel

Le prochain Budget est donc crucial pour le redécollage économique. Comment va procéder le nouveau ministre des Finances pour marquer les esprits et susciter l’adhésion ? C’est la question qui est sur toutes les lèvres. Saura-t-il innover ? Saura-t-il remotiver le secteur privé en panne d’idées et de ressources ? Se contentera-t-il d’un simple exercice comptable ?

Une analyse détaillée de la situation économique actuelle démontre que plusieurs secteurs plafonnent. L’inquiétude est légitime face à la faible croissance, voire la décroissance affichée par certaines filières en 2015, à l’instar de l’agriculture (-1 %), du commerce (+2,7 %) et de l’industrie manufacturière (+0,2 %). Ce secteur affiche une croissance en baisse depuis 2013. Le secteur manufacturier-textile en particulier a régressé de 2,9 % l’année dernière. La construction, quant à elle, est carrément en panne. On ne compte plus ses années de décroissance.

Et cela n’est pas près de s’arranger, d’autant plus que les entrepreneurs locaux viennent d’apprendre que les quelque Rs 12 milliards octroyées par l’Inde dans le cadre de la renégociation de la convention fiscale seront injectées dans de grands chantiers infrastructurels, dont l’une des conditions est que les appels d’offres soient ouverts aux firmes Indiennes ! Et que dire du projet Heritage City, lui aussi contesté de toutes parts, mais qualifié de «risk-free» par le ministre qui en a la charge, Roshi Bhadain. Ce genre de projet d’envergure est à éviter lorsqu’un pays passe par une période difficile, souligne Dan Maraye (Voir interview).

Comment ne pas, non plus, se soucier d’un ralentissement de croissance dans les secteurs phares et qui attirent les jeunes diplômés, comme les technologies de l’information et de la communication (Tic) et les services financiers ? Prenons d’abord les Tic. Malgré un taux de croissance relativement élevé, celui-ci piétine à 6,9 % depuis trois ans (sauf en 2014 quand il était de 6,4 %), peinant à offrir des services à plus forte valeur ajoutée.

C’est le même scénario pour le secteur financier dont la croissance stagne à 5,4 % depuis trois ans (sauf 5,2 % en 2015) et cette année encore, son expansion devrait être de 5,4 %. Là encore, ce secteur doit faire un bond en avant et proposer des services à plus forte valeur ajoutée comme la gestion de patrimoine (Wealth management) et attirer des multinationales, etc. Qui plus est, la révision du traité fiscal a semé un vent de panique dans le global business, un secteur qui pèse lourd dans l’économie. La contribution des compagnies du global business à la balance des paiements est énorme.

À ce stade, on n’a pas encore mesuré tous les effets de la révision du traité sur le secteur bancaire, la balance des paiements et l’économie dans son ensemble. On peut seulement espérer que Kamal Hawabhay de l’Association of Trust and Management Companies a tort quand il dit que «if the GBC sector fails, the consequence is likely to be absolutely dire on the Maurtian economy.»

Par ailleurs, des activités comme l’assurance et le crédit-bail affichent aussi une croissance stagnante depuis quatre ans. Le port franc, de son côté, voit sa progression ralentir depuis 2014. Concernant l’économie bleue, on ne voit malheureusement toujours rien venir, cela bien que ce dossier bénéficie désormais d’un ministre à plein temps en la personne de Prem Koonjoo, ministre de l’Économie océanique, des ressources marines, de la pêche et des îles éparses.

Avec une économie locale en proie à des difficultés persistantes, le contexte mondial est également des plus compliqués à l’heure actuelle avec des perspectives de croissance en berne, les initiatives des pays développés visant à combattre l’évasion fiscale, la menace terroriste, l’effondrement des prix du pétrole et des matières premières, la baisse des échanges commerciaux, la dépréciation des monnaies, sans oublier le Brexit qui pourrait venir changer la donne à l’échelle mondiale, donner de l’urticaire à la zone euro et faire chuter la monnaie européenne. Tout cela fait que la situation mondiale est extrêmement tendue.

Après un tel constat, gageons que le troisième ministre des Finances du gouvernement Lepep saura réaffirmer un nouveau leadership économique, proposer une stratégie claire et surtout cohérente avec des objectifs réalistes. Il devra aussi venir de l’avant avec des solutions pour les secteurs en difficulté. Vaste programme…