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Charles Trottmann: «Le pays a la capacité de s’endetter, mais de façon soutenable »

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L’Agence française de développement et Maurice ont signé trois accords-cadres de financement en ce mois de décembre. ces conventions portent sur le financement de projets relevant du développement durable. ainsi, un montant de 200 millions d’euros sera décaissé pour la modernisation du secteur de l’eau à Maurice et à Rodrigues alors que 2 millions d’euros seront versés sous forme d’assistance technique. Business Magazine a rencontré Charles Trottmann, le directeur du département des trois océans à l’agence française de développement. Dans l’entretien qui suit, il évoque la volonté de l’institution multilatérale d’accompagner le pays dans sa stratégie de développement basée sur la durabilité.

Une délégation ministérielle française, accompagnée de hauts cadres de l’Agence française de développement, était à Maurice pour une visite officielle dans le cadre de la signature d’un prêt de 200 millions d’euros. Dites-nous en plus ?

D’abord, il y a eu une visite ministérielle. La présence du ministre Olivier Becht est en soi un signe fort de l’amitié entre nos deux pays. L’on sait que les relations économiques entre la France et Maurice sont très importantes. Nous sommes le premier pourvoyeur de touristes, soit 400 000 visiteurs par an, ainsi que le premier investisseur pour le pays. La visite du ministre s’inscrit dans ce contexte. Je fais également partie de cette délégation, mais je suis resté quelques jours de plus dans l’optique de me rendre à Rodrigues pour rencontrer les autorités locales, à l’occasion de ce prêt de politique publique pour le secteur de l’eau à Maurice et à Rodrigues.

Ce prêt très important s’inscrit dans la continuité d’un soutien qu’on apporte à Maurice depuis très longtemps. Cela fait 40 ans que l’Agence française de développement (AFD) travaille dans le secteur de l’eau ici. Jusqu’ici, on a financé pas mal de projets. Avec ce prêt de politique publique, on continue à travailler dans ce secteur très important pour la population. Cela marque un montant de financement qui est très important. Depuis la pandémie, on ne s’était pas engagé dans un aussi gros projet sur votre territoire. C’était l’occasion pour moi de marquer le coup, de rencontrer les partenaires mauriciens, mais aussi de signer et de mettre en valeur cette action.

Le montant du prêt représente presque la moitié de l’enveloppe totale des engagements de l’AFD dans la zone sud-ouest de l’océan Indien en 2022, qui se fixait à 425 millions d’euros. Ce niveau d’engagements cristallise- t-il la somme des défis auxquels le secteur de l’eau est actuellement confronté à Maurice et à Rodrigues ?

Certainement, il s’agit d’un défi très important. Il est aussi vrai que Maurice est un territoire sur lequel on veut être très actif. On a remis à jour notre stratégie pour le pays en cette fin d’année, avec l’arrivée de Laetitia Habchi, notre nouvelle directrice pour le pays. Notre stratégie se concentre autour de trois enjeux clés.

D’abord, c’est l’enjeu de l’eau. Avec le prêt de 200 millions d’euros, on veut montrer le niveau d’engagement que l’on souhaite avoir, en tablant notamment sur l’assistance technique qui sera mobilisée dans le cadre de ce prêt. Le second secteur sur lequel on va mettre l’accent, ce sont les énergies renouvelables. Là encore, c’est une clé pour le développement durable du pays, et l’on a reçu une commission très forte du gouvernement à ce sujet. Le troisième secteur est celui de la finance durable. À ce sujet, je souhaite faire ressortir que Maurice est un hub financier pour l’Afrique.

On veut vraiment investir dans cette filière de la finance durable. Dans le cadre de cette nouvelle stratégie, l’on souhaite avoir un niveau d’engagement au niveau du Groupe AFD, qui sera de 250 millions d’euros par an sur les quatre prochaines années. Un engagement qui peut être dégagé à la fois au travers du Groupe AFD et notre filiale Proparco, qui va aussi travailler avec le secteur privé, et qui a eu beaucoup de projets cette année, et qui en aura encore l’année prochaine.

Comment voyez-vous se développer le secteur de l’eau ?

Avant tout, il faut rappeler que c’est une question de politique publique qui est essentielle pour la vie quotidienne des Mauriciens et des Mauriciennes. C’est vrai que Maurice est un pays qui a beaucoup fait déjà dans ce secteur. 90 % des foyers mauriciens sont raccordés à l’eau, mais deux grands défis demeurent : le premier est celui du taux de pertes. Valeur du jour, il y a aujourd’hui plus de 60 % de pertes dans le réseau. Cela pose une question sur l’usage de la ressource en eau, et son usage futur. Il y a une autre grande question, qui est celle de l’assainissement. Seuls 19 % à 20 % de l’eau entrant dans le réseau est traitée au final. Il faut réussir à procéder ensuite au traitement des eaux usées, et tout cela se fait dans un contexte nouveau et évolutif, qui est celui du changement climatique.

Comme on le voit, le changement climatique modifie le régime des pluies. Cela peut avoir des conséquences, soit en termes de pluies torrentielles ou au contraire de stress hydrique. Tout dépend des régions du pays. Cela va se présenter avec une particularité notamment à Rodrigues, qui est la zone qui connaît un niveau de stress hydrique important.

Ce prêt de 200 millions d’euros s’ajoute aux 300 millions d’euros d’appui budgétaire accordés en 2020 par la France pendant la pandémie. Cela rehausse le niveau d’endettement du pays envers la France. Est-ce un mal nécessaire pour Maurice qui ambitionne d’emprunter une trajectoire de développement bas-carbone, durable et résilient à long terme ?

Nous voulons être là où nos partenaires mauriciens ont besoin de nous. Au moment de la crise de la Covid-19, le gouvernement mauricien s’est tourné vers la France, en particulier vers l’AFD, pour apporter en urgence les fonds qui lui permettent de traverser cette crise. Nous avons prêté 300 millions d’euros au gouvernement mauricien, et cela lui a permis vraiment de rehausser sa capacité de dégager une réponse rapide. Ensuite, le niveau d’endettement du gouvernement est très bien maîtrisé aujourd’hui, et je pense qu’il faut saluer la politique de sérieux budgétaire de ce gouvernement.

Je m’entretenais plus tôt avec le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, qui expliquait que le pays avait réussi à baisser significativement le niveau global d’endettement du gouvernement depuis le choc économique. La réalité est que le gouvernement est aujourd’hui en capacité de s’endetter de façon soutenable. La question à poser est : qu’est-ce qu’on finance avec de la dette ? Concernant les investissements à long terme, c’est très positif de les financer par de la dette parce que cela veut dire que vous vous projetez dans le futur, et que les partenaires comme l’AFD font confiance au pays pour se projeter avec lui dans le futur.

Malgré les défis structurels auxquels le pays est confronté et une série de réformes sectorielles à enclencher pour maintenir la compétitivité de ses piliers économiques, le pays sort ragaillardi de la période noire de 2020. Une croissance économique de 7 % est projetée pour 2023, notamment par Maurice Stratégie, entité créée avec l’aide d’Expertise France. Vos commentaires ?

D’abord, il faut reconnaître que la crise a été particulièrement dure à Maurice. Tout le monde, y compris la France, a été touché par les impacts de la crise de la Covid-19, mais Maurice a eu une perte de PIB de plus de 15 %. C’est vraiment un choc énorme. Je voudrais d’abord saluer la capacité de rebond très forte et d’initiative du gouvernement qui a su compter sur – et mettre en place – des mécanismes innovants. J’ai eu l’occasion d’échanger avec la Mauritius Investment Corporation (MIC) avec laquelle on a signé un protocole d’accord pour l’accompagnement de futurs développements.

En mettant en place des institutions comme la MIC, le gouvernement s’est montré innovant pour faire face à la crise. Le rebond qui a suivi a été spectaculaire. J’ai discuté de cela avec le ministre des Finances. Cela dit, l’on s’attend à une croissance de 7 % pour 2023. La mission pour l’année prochaine est d’être à 5-6 %.

Le pays a plus que compensé la baisse de PIB qu’il avait connue avant la Covid- 19. Cela montre quand même la résilience de l’économie mauricienne et le fait que le pays a su se positionner de façon compétitive dans différents secteurs comme le tourisme et la finance. Ce qui lui donne cette capacité de rebond. C’est aussi pour cela que l’AFD veut être là pour accompagner le pays.

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