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Combien coûte notre démocratie ? Les Mauriciens en parlent…

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Combien coûte notre démocratie ? Les Mauriciens en parlent... | business-magazine.mu

Rs 255 millions. C’est le budget alloué à l’Assemblée pour la période 2018-19. La démocratie n’a pas de prix mais elle a certainement un coût ! Pour exercer sa fonction, un parlementaire touchera environ Rs 140 000 par mois. Selon les chiffres disponibles, les salaires des députés tourneront autour de Rs 55 millions. À cela s’ajoutent Rs 21 millions de facilities allowance et autres bénéfices. En incluant les salaires des ministres et les budgets de fonctionnement des bureaux du président et du vice-président, la note est encore plus salée. Winston Churchill concédait que la démocratie est un mauvais système mais précisait qu’elle était le moins mauvais. Doit-on pour autant fermer les yeux sur tous les travers de ce système considéré comme le «moins mauvais» ? Non, répondent les anciens parlementaires et les observateurs politiques. Nombre d’entre eux considèrent que le coût de la démocratie n’est pas si élevé à condition que les élus arrivent à s’acquitter efficacement de leurs responsabilités. Qu’en est-il dans la pratique ? La tendance populaire est de dresser un parallèle entre le salaire minimum national de Rs 9 000 et les allocations d’un représentant du peuple qui s’élèvent à environ Rs 140 000 par mois. Le raccourci serait toutefois trop facile, estime l’économiste Pierre Dinan. «La démocratie est-elle ou pas trop onéreuse ? Je réponds que tout dépend de ceux qui la servent et de ceux qui se sont fait élire pour servir la population. En ce moment, il est permis d’avoir des doutes quand on voit l’attitude de certains de nos élus. On est obligé de se poser la question.» Il affirme qu’il ne faut pas que ceux qui animent cette démocratie soient des incompétents. Selon lui, nous devons nous demander si nos élus méritent leurs salaires de par le travail qu’ils font. «Leur travail étant, s’ils sont des députés, de voter des lois après les avoir étudiées convenablement et, s’ils sont ministres, de gérer leurs portefeuilles respectifs. C’est comme cela que nous pouvons juger s’ils sont devenus trop chers. Je voudrais faire ressortir également qu’ils ont des vacances parlementaires que je juge trop longues», argue-t-il. 

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Onéreuse démocratie

Rajen Narsinghen, Senior Lecturer à l’Université de Maurice, propose pratiquement une grille de lecture similaire : «Si nous faisons une comparaison avec les émoluments du gratin du secteur privé, je pense que les salaires des parlementaires et ministres sont encore dans le domaine du raisonnable. Le vrai problème, ce n’est pas qu’ils soient trop payés ou non, le problème c’est qu’il nous faut avoir des gens de qualité, et c’est cela qui manque à Maurice.» Notre interlocuteur déduit que c’est lorsqu’il y a une perception que les élus n’ont pas les qualités voulues en termes d’intelligence, de qualification, de compétence, qu’ils ne démontrent même pas cette flamme sociale pour servir que le peuple commence à critiquer. Le problème ne porte pas nécessairement sur le salaire, mais il relève surtout du fléau de la corruption ou du moins de la perception d’une résurgence de la corruption dans le pays. «Comment une société démocratique résoudra-t-elle ce problème ? Je crains qu’on n’y arrive pas avec des institutions comme l’ICAC ou la police, qui sont loin d’être indépendantes. Ce qui permet aux politiciens de faire la pluie et le beau temps, poussant les citoyens à croire que les politiciens sont trop riches mais en fait un élu honnête avec un salaire de Rs 150 000, est-ce trop ?», se demande Rajen Narsinghen. L’ancien ministre Jean Claude de l’Estrac aborde la question sous un autre angle. Il s’interroge sur le fonctionnement, l’intégrité et la productivité des institutions démocratiques. Il affirme que si Maurice veut des candidats de qualité aux élections, des personnes compétentes et expérimentées, il faut les rétribuer en conséquence. «If you pay peanuts, you get monkeys», soutient-il. Il établit une comparaison avec les pratiques salariales dans les pays avec des revenus par tête d’habitant inférieurs comme le Kenya et l’Afrique du Sud pour soutenir que les rémunérations ne sont pas si excessives à Maurice. Député de la première heure, Rajiv Servansingh estime qu’à Maurice, «nous avons réussi l’exploit de ‘pay gold and get imbeciles’». Il y a certes un prix à payer pour toute bonne chose et le bon fonctionnement d’un système démocratique tel que souhaité par le peuple n’échappe pas à la règle. Cependant, à son avis, cette ‘démocratie’ devient onéreuse soit parce que le système ne répond pas aux aspirations du pays, soit parce qu’il y a des excès et des gaspillages de fonds publics. «Il est malheureux de constater que depuis de nombreuses années, notre démocratie semble souffrir des deux maux susmentionnés.» Rajiv Servansingh ajoute que le pire est que cette détérioration de la qualité de nos parlementaires durant les récentes législatures a été accompagnée d’une augmentation faramineuse des rémunérations et autres bénéfices dont ils jouissent. À titre d’exemple, un parlementaire percevait en 1976 environ Rs 3 500 mensuellement !

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Retour sur investissement

Ainsi, tout observateur objectif qui consulterait la liste des élus des élections générales de 1967 et de 1976 et la comparerait à celles des élections suivantes ne pourrait arriver qu’à une seule conclusion : la qualité de nos élus s’est constamment détériorée de manière générale. Il y a certes des exceptions qui confirment d’ailleurs la règle, mais à l’évidence, la détérioration de la qualité des élus demeure incontestable. Cela se reflète d’ailleurs de manière frappante dans le niveau des arguments et le comportement des élus lors des débats parlementaires. Sait-on, par exemple, qu’à l’époque où sir Harilall Vaghjee présidait les séances, un parlementaire n’était pas autorisé à lire un discours. Aujourd’hui, on peut se poser la question, combien de nos parlementaires pourraient tenir la gageure d’une telle discipline ? Rajiv Servansingh avoue ne pas nécessairement être contre une augmentation des rémunérations de nos parlementaires dans la mesure où il y a une refonte du système qui fait que ces rémunérations attirent effectivement la compétence. Cela étant, il y a une juste mesure à atteindre entre la vocation politique et le ‘métier’ de politicien tel qu’il a évolué ces derniers temps, avec beaucoup qui n’hésitent pas à parler de retour sur investissement. En effet, une campagne électorale entraîne de grosses dépenses pour le candidat et donc beaucoup commencent à considérer de telles dépenses comme un investissement qu’il faut bien récupérer d’une manière ou d’une autre. Mais les avantages pécuniaires dont bénéficient nos élus, s’ils font sourciller plus d’un, doivent être relativisés. La question est de savoir s’ils méritent leurs salaires. À l’échelle du fonctionnement d’une entreprise, bien évidemment chaque employé mérite son salaire, car il est essentiel à la productivité. C’est la même chose au Parlement ; ils ne sont pas dans une entreprise mais ils remplissent tout aussi bien une fonction essentielle. Ils ont droit à être bien payés à condition qu’ils soient productifs, qu’ils deliver the goods.

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Pierre Dinan ajoute : «Un pays qui a beaucoup à nous montrer à ce sujet, c’est Singapour. Quand Lee Kuan Yew est arrivé au pouvoir, Singapour était un petit pays. Aujourd’hui, tout le monde le cite comme un grand exemple. Il s’est assuré que les députés et les ministres sont bien payés et, en ce faisant, il a attiré des gens de valeur qui ont apporté leur contribution au développement du pays». Quant à Jocelyn Chan Low, il voit la politique comme un énorme investissement personnel. Les mandants veulent que leur député soit à leur disposition 24 heures sur 24. Et il est, lui aussi, catégorique que si l’on veut attirer des professionnels, il faut qu’ils aient une rémunération adéquate. D’ailleurs, il souligne qu’à Maurice, les partis ou les députés devraient être dotés d’un personnel plus compétent, par exemple des research assistants qui auraient pu les aider à faire les recherches nécessaires pour leur intervention sur les projets de loi, souvent très techniques. Ce qui se fait dans les grandes démocraties. Et de faire ressortir : «Je crois donc que le public tire des conclusions trop hâtives et démagogiques sur le coût de la démocratie.» 

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