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Conglomérats – PME : grandir ensemble

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Conglomérats - PME : grandir ensemble | business-magazine.mu

La toute-puissance des conglomérats représente-t-elle un frein à l’épanouissement des PME ? Récemment, des ministres ont jeté la pierre aux grands groupes, tout en faisant appel à leur solidarité et à leur sens du patriotisme. Cet appel sera-t-il entendu ?

Avec une contribution d’environ 60 %au produit intérieur brut (PIB), les conglomérats sont un maillon incontournable de l’économie mauricienne. Le hic, c’est qu’aujourd’hui ces grands groupes créent leurs propres PME, afin d’étendre leur influence sur le marché domestique. Du coup, ils font de l’ombre aux petites et moyennes structures. Plusieurs d’entre elles déplorent une forme de complicité entre l’État et les conglomérats, qui se montreraient «gourmands».

Lors de l’assemblée générale de la Chambre de Commerce et d’Industrie, le ministre des Affaires étrangères, Vishnu Lutchmeenaraidoo, est monté au créneau en évoquant la nécessité de faire de la «discrimination positive» envers les PME. Il a insisté pour une meilleure coopération entre les conglomérats et les PME. Une déclaration qui sous-entend que les conglomérats endiguent la croissance - voire la création - des PME. Un avis partagé par le ministre des Entreprises, des Affaires et des Coopératives, Sunil Bholah, qui précise qu’il est impossible d’empêcher un conglomérat d’étendre ses activités.

Dev Sunnasy, président de la Mauritius IT Industry Association (MITIA), est de ceux qui sont d’avis que les conglomérats constituent un frein à la croissance des PME car ils privilégient avant tout leurs propres intérêts.

«Par exemple, certains groupes créent des compagnies d’entretien de jardin, coupant ainsi l’herbe sous le pied des PME évoluant dans ce marché. D’autres rivalisent avec nos artisans en fabriquant des meubles, en effectuant des travaux électriques, de maçonnerie, ou bien se lancent dans les ‘payroll services’», souligne-t-il. Ce faisant, ces conglomérats se constituent un marché captif qui vient gonfler leur chiffre d’affaires aux dépens des PME.

Pour Dev Sunnasy, cette situation est complexe dans la mesure où l’économie mauricienne repose en grande partie sur ces conglomérats. «Maurice est le seul territoire où cinq - six groupes dirigent l’économie, ce qui représente 60 % du PIB», martèle-t-il.

Tim Taylor, ancien président du groupe CIM, recentre le débat dans son contexte socio-économique. Il y a 50 ans, les conglomérats étaient des acteurs majeurs non seulement à Maurice, mais aussi dans toutes les économies. Les grosses entreprises ne pouvant plus opérer dans un seul domaine d’activité pour soutenir leur croissance, elles ont diversifié leurs produits et services. Toutefois, avec la croissance de la demande dans les grandes économies, les marchés individuels sont devenus suffisamment importants pour soutenir les entreprises. «Ce qui a provoqué la séparation des conglomérats. Ce phénomène a été renforcé par le fait que le prix des actions des conglomérats a fortement chuté sur les marchés boursiers», argue Tim Taylor.

Spécificité du marché mauricien

Aujourd’hui, il existe de nombreux conglomérats opérant dans plusieurs pays. À Maurice, en raison de l’étroitesse du territoire, les marchés individuels n’ont jamais atteint le point de basculement. Il est ainsi plus intéressant pour une entreprise de dégrouper ses activités en unités spécialisées avec chacune sa propre structure de capital, estime Tim Taylor. Celui-ci ajoute que les conglomérats mauriciens ont les ressources financières et les compétences managériales pour se lancer dans de nouvelles activités.

Pour Tim Taylor, certaines des critiques à l’encontre des conglomérats sont justes : «Il y a beaucoup de conglomérats qui essaient d’avoir une plus large part dans toutes les chaînes de valeur au lieu de se concentrer sur l’essentiel et d’externaliser les produits et services périphériques».

En dépit des discours, force est de constater que le gouvernement accorde une plus grande importance aux conglomérats qu’aux PME, estime Dev Sunnasy. «Quelques mois de cela, des officiers du ministère des Finances m’ont fait comprendre que l’État n’accordait pas d’attention particulière à ces grands groupes. Mais, dans les faits, il est aux petits soins des conglomérats», avance-t-il. En se basant sur ses propres recherches, il avance que le gouvernement alloue plus de Rs 1 milliard par an sous diverses formes pour soutenir les activités économiques dominées essentiellement par les grands groupes. Le tourisme, le textile et les services financiers sont parmi les industries qui se taillent la part du lion. «Et ceci, sans compter les exemptions d’impôt pour la conversion des terres et des exonérations fiscales diverses, qui se chiffrent en plusieurs milliards de roupies», étaye-t-il.

Pour Dev Sunnasy, les gouvernements qui se sont succédé ont accompagné le développement des conglomérats. Cela est manifeste dans l’industrie sucrière. Ainsi, estime-t-il, le Protocole sucre, qui a pris fin en 2009, a permis aux grands groupes de faire des bénéfices de près de Rs 80 milliards sur deux décennies. «Cela a permis aux grands groupes sucriers de diversifier leurs activités en se tournant, entre autres, vers l’hôtellerie, les services financiers, le textile et l’énergie», observe-t-il. Et de faire ressortir : «Dans un pays où nous parlons de compétition saine, est-il éthique que le système établi par l’État protège depuis des décennies les grands groupes plutôt que les PME ?»

Pour Tim Taylor, si le gouvernement tend à favoriser les conglomérats, qui sont les moteurs de la croissance économique, c’est parce que ceux-ci ont du capital et du savoir-faire en gestion. Par conséquent, fait-il remarquer, «si le gouvernement veut faire quelque chose, il est logique qu’il se tourne vers ceux qui possèdent les moyens».

Si ce n’est pas encore fait, il est temps que les conglomérats songent sérieusement à intégrer les PME dans leur stratégie de développement. Ils ont tout intérêt à gagner en travaillant ensemble.

Ce que dit la Banque mondiale

Dans un rapport publié en juin 2015, la Banque mondiale soulignait que le gouvernement mauricien ne soutenait pas suffisamment les PME. «SMEs represent the majority of businesses in Mauritius but fail to create enough employment or generate enough profits or exports. Their challenges include limited access to finance as well as inadequate government support in areas such as accessing and sustaining exports», soutient le rapport.