Type to search

En couverture

François Guibert : «Arrêtons d’opposer les secteurs public et privé»

Share
François Guibert : «Arrêtons d’opposer les secteurs public et privé» | business-magazine.mu

La mission de l’Economic Development Board est d’accompagner le pays dans la prochaine étape de son développement. Huit mois après votre prise de fonction, les choses se mettent-elles en place ?

L’Economic Development Board (EDB) a quatre mandats importants. Il reste encore beaucoup à faire. Le Trade investment est au cœur de ces mandats. Il en va de même pour la facilitation des affaires, qui est absolument vitale pour la renommée de Maurice. À cela se sont rajoutées deux nouvelles responsabilités qui ne faisaient pas partie des missions de l’ex-Board of Investment, qui sont d’assurer le branding de Maurice et la mise en place d’une équipe dédiée à la Strategic economic planning. Pour le branding du pays, le développement se fait au sein d’un comité qui regroupe l’ensemble des acteurs de ce domaine. Et pour la planification de la stratégie économique nationale, nous avons constitué une petite équipe qui est appelée à grandir très rapidement sous l’égide d’un nouveau responsable afin de développer une stratégie ambitieuse et réalisable. Ce qui est important, c’est qu’il y ait un bon rapport entre le plan et son exécution.

},

Quels sont les marchés sur lesquels Maurice doit se positionner ?

Je suis parti d’un constat que Maurice dispose d’une couverture géographique extrêmement limitée, que ce soit en Afrique, où les efforts se sont concentrés sur une poignée de pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya. Avec l’Europe, les relations se sont cristallisées autour de la France et de l’Angleterre. Pourtant, pas moins de 54 pays constituent le continent africain. Alors que l’Europe regroupe 27 pays. Je fais tout mon possible pour élargir cette couverture. L’EDB va positionner des représentants en Europe du Nord, en Allemagne, en Chine, à Singapour, au Japon et en Afrique. Une quatrième région que je vais regarder de près, c’est Dubaï et Abu Dhabi afin de développer des relations avec l’ensemble des pays du Moyen-Orient. Il faut ensuite avoir une stratégie pour combiner trois points essentiels. D’abord, il s’agit d’accélérer ce qui marche déjà bien et d’offrir des possibilités de développement supérieures, y compris dans des secteurs difficiles, comme la canne à sucre, le textile. Il convient également de se diversifier dans de nouveaux domaines. Car il faut capitaliser sur le positionnement de Maurice qui est à la croisée des chemins entre l’Europe et l’Asie et en faire l’endroit incontournable pour développer du business en Afrique. Et, finalement, on doit miser sur l’innovation. Mon expérience m’a appris que les pays qui réussissent leur développement s’appuient sur la technologie. Je pense là à la digitalisation, au high-tech au sens le plus large possible. Donc, il est nécessaire de tabler sur la recherche et le développement dans certains domaines comme la Biotech, la Fintech, l’énergie verte et l’économie océanique.

François

Où en est-on avec le «Country branding» ?

Pour le Country branding, c’est nouveau pour l’EDB. On ne doit pas minimiser les résultats engrangés depuis 40 ans dans le tourisme. Il s’agit désormais d’affirmer Maurice comme une place financière. Et nous devons nous positionner sur les grands domaines novateurs pour être au cœur de la stratégie africaine des grandes sociétés.

Dans quelle mesure le «Country branding» permettra-t-il d’améliorer l’image du centre financier mauricien ?

Pour la section financière, nous avons nommé une agence de gestion de la communication de crise. Maurice jouit d’une bonne réputation dans le monde. L’on se battra très fort pour que celle-ci ne soit pas entachée par quelques articles qui ne sont pas basés sur les faits. Cette agence a pour responsabilité de gérer ce type d’attaques.

Vous le soulignez : Maurice a fait l’objet d’attaques dans la presse africaine. On nous accuse notamment de vampiriser les pays africains et de faciliter le blanchiment d’argent. Vos commentaires ?

Non, au contraire, de par la réputation et la crédibilité dont elle jouit, la juridiction mauricienne permet à l’Afrique d’attirer des investissements dont elle n’aurait jamais bénéficié. Notre réseau de traités aide à réduire les risques inhérents à certains pays.

Aux yeux du monde, Maurice fait-il partie intégrante de l’Afrique ?

L’EDB joue un rôle important en ce sens, notamment à travers les zones économiques spéciales grâce auxquelles on peut attirer les investisseurs.

Quel est l’intérêt pour les investisseurs d’utiliser la plateforme mauricienne pour s’implanter en Afrique ?

Outre le lifestyle qu’offre Maurice, le pays rassemble pas moins de dix ingrédients qui sont assez uniques. Quelques pays africains peuvent avoir certains de ces critères, mais aucun n’a tous ces ingrédients que nous trouvons à Maurice Je citerais, entre autres, la sécurité, un taux d’imposition attrayant, un marché boursier, une cour d’arbitrage et la facilité de superviser les transferts d’argent de manière efficace et rapide, ce qui est une grande difficulté pour la plupart des pays africains.

Quelle est la stratégie de l’EDB pour promouvoir les Smart cities auprès des investisseurs ?

À travers les Smart cities, on veut attirer les investisseurs. À Maurice, ils ont accès à une panoplie de facilités, que ce soit les cliniques, les universités ou les maisons de retraite

François

Les prêts chinois se sont révélés «toxiques» pour certains pays. Dans le même temps, le tourisme chinois est en repli. Dans ce contexte, l’implantation à Shanghai estelle justifiée ?

L’EDB travaille sur des objectifs réalistes avec des projets précis. Nous n’entrons pas dans les considérations des accords entre gouvernements. Nous aidons à mettre en place des projets profitables, réalistes et tangibles aux deux parties et qui bénéficient à tout le monde. Le FMI parle de ralentissement de la croissance mondiale, mais reste positif pour l’Afrique. Qu’en est-il ? L’Afrique est aujourd’hui ce qu’étaient les pays de l’ASEAN il y a vingt ans. Ces pays étaient ignorés à l’époque par les grandes multinationales. Maintenant, elles sont implantées à Singapour et sont la locomotive du marché de l’ASEAN qui, soit dit en passant, compte environ 700 millions d’individus. Comparativement, le marché africain représente 1 milliard de personnes avec des territoires à mettre en valeur dans tous les domaines, que ce soit l’énergie ou la logistique.

Dans le commerce international, Maurice est un petit Poucet au vu de sa taille. Avonsnous besoin de compétences additionnelles, notamment pour développer des segments de niche ?

La taille du pays n’est pas un obstacle insurmontable. À l’EDB, on va étoffer notre personnel tout en nous attelant à trouver les meilleurs profils pour travailler pour le pays. Nous allons placer la barre suffisamment haut pour avoir les meilleurs de l’industrie, du commerce, du marketing et de la finance. Voyez le succès de Singapour, qui est trois fois plus petit que Maurice en taille, mais qui a une population trois fois plus dense, soit autour de 5,8 millions. Idem pour Taïwan, qui n’a que 23 millions d’habitants mais c’est devenu une puissance high-tech dans le monde. Plus on est petit, plus on est créatif. Bien évidemment, la taille est un facteur qui joue, mais pas suffisamment si on est extrêmement performant et si on prend toutes les initiatives pour trouver les domaines dans lesquels on peut exceller. Justement, si on positionne Maurice pour être les Regional headquarters, un Competence centre de l’ensemble des grands acteurs économiques de l’Asie et de l’Europe pour l’Afrique, comme l’a fait Singapour pour les pays de l’ASEAN, je pense qu’on aura une position extrêmement forte. On ne peut pas s’installer dans le «tout va bien». Si nous ne restons pas extrêmement proactifs, dans dix ans, beaucoup de pays africains chercheront et parviendront à nous dépasser. Donc, il faut continuer à se développer, car quand on se fait rattraper, on devient encore plus dépendant.

Quand seront concrétisés les projets d’investissements à capitaux étrangers pilotés par l’EDB ?

Il faudra environ 18 mois pour que les projets se mettent en place. Et compter entre deux et trois ans pour qu’il y ait les résultats concrets. On a tendance à vouloir des résultats dans les trois semaines qui viennent. Mais il faut du temps pour faire quelque chose de différent. Par exemple, dans le cas d’une grosse société, il y a une phase d’analyse. Ensuite, elle devra rechercher l’aval de son conseil d’administration.

«Il{index:8,type:Textarea,name:Text,properties:{}++

L’EDB communique-t-il suffisamment avec les PME et les acteurs du commerce intérieur ?

On fait tout pour mieux communiquer. Je rencontre en permanence Business Mauritius et la Chambre de Commerce et d’Industrie, la MEXA et l’Association of Mauritian Manufacturers, entre autres. L’EDB relance sa newsletter pour que l’information circule. Et on organise des ateliers de travail par secteur. Mais il faut que les sociétés prennent aussi l’initiative. À notre niveau, on les emmène lors des missions à l’étranger. À travers les Chambres de commerce, elles doivent faire preuve d’initiative et ne pas se reposer uniquement sur l’EDB.

Depuis la création de l’EDB, on parle du risque de «policy capture»…

Je dirai deux choses : l’EDB a un CEO qui est choisi par le gouvernement mauricien. Et les instances publiques, privées et paraétatiques s’entendent très bien. Arrêtons d’opposer les secteurs public et privé ! Tous les pays qui réussissent font la jonction entre les deux en permanence. Donc, tout ce qui permet aux secteurs public et privé de travailler en accord constitue un principe de base qui est toujours profitable aux deux parties. Valeur du jour, celles-ci sont représentées dans les instances économiques publiques et privées. Cela me semble très bien. C’est un socle sur lequel s’appuient tous les pays performants. Même au niveau de l’éducation, quand l’université est proche des entreprises et de la recherche, les résultats sont bien meilleurs que quand chacun est dans son coin. Le privé, le public, la recherche et l’académique fonctionnent mieux en se rapprochant. Il n’y a pas d’opposition ; c’est justement la combinaison des deux qui fait que cela marche pour tout le monde. Le public n’agit pas uniquement pour le public ou le privé seulement pour le privé. Ils agissent dans leur intérêt commun.

À Maurice, l’on est traditionnellement très attaché à la terre. Or, graduellement, les biens fonciers cèdent la place aux projets immobiliers résidentiels et commerciaux. Quel est votre sentiment ?

Laissez-moi vous rassurer à ce sujet. Prenons le cas des constructions hôtelières. Il y en a eu très peu ces huit dernières années. Il y a surtout eu des programmes de rénovation et des extensions. S’il n’y avait pas eu des programmes résidentiels supplémentaires pour accueillir les touristes ces dernières années, on ne sait pas ce qu’on aurait fait. L’immobilier est un secteur en plein essor ailleurs. Vous seriez surpris du nombre de constructions à Malte, Singapour, Hong Kong et Dubaï qui, tout comme Maurice, sont de petits territoires. À Maurice, les constructions sont bien en dessous de ce que font d’autres villes et pays en plein développement.

Ce modèle est-il durable ?

Dans chaque secteur, que ce soit le privé ou le public, il y aura toujours des gens pour défendre leur pré carré. Il faut envisager le développement dans le cadre d’une vision globale pour tout le pays, dans l’intérêt global de tous les citoyens. C’est ce qui fait le succès des sociétés bien développées. Et cela faciliterait bien des choses.

Alors que le pays s’urbanise, dans le même temps, certains prédisent la délocalisation des entreprises…

C’est un faux message ! Heureusement que certaines sociétés ont décentralisé. Cela leur a permis d’être encore plus profitables et de maintenir des emplois. Le principe de décentraliser en Afrique ou en Chine n’est pas mauvais en soi. Il faut que la décentralisation permette d’améliorer notre compétitivité et de cibler les marchés africain et chinois. Dans le même temps, il faut viser l’Europe et le Japon, qui sont des marchés haut de gamme. Grâce à la décentralisation, les bénéfices réalisés profiteront aux opérations locales. Il ne faut pas associer systématiquement décentralisation à pertes d’emploi. Celle-ci permettra de créer de meilleurs emplois qui font appel à la haute technologie, la robotisation, l’intelligence artificielle. Dans le domaine de l’électronique, l’on a opéré de cette façon depuis des années. Dans les pays d’origine, l’investissement en recherche et développement a été très fort grâce aux bénéfices réalisés en décentralisant une partie de l’activité. Les bénéfices se répercutent en général sur la maison mère des sociétés et permettent de développer l’innovation, entre autres. Maurice doit développer le high-tech et se focaliser sur les marchés de plus en plus haut de gamme, tout en restant compétitif. Maurice dispose de tous les ingrédients pour faire, à sa manière, avec l’Afrique ce que Singapour a fait avec l’ASEAN. Faisons-le, à notre façon, avec notre culture et notre histoire ! Et avec des moyens différents de Singapour ! Mettons en place tous les ingrédients du succès et positionnons-nous pour attirer les grands investisseurs et importateurs d’Europe et d’Asie, c’est-à-dire la Chine, le Japon, l’Inde !

}]