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Isabelle Chevreuil : «L’investissement productif doit profiter à nos territoires»

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Isabelle Chevreuil : «L’investissement productif doit profiter à nos territoires» | business-magazine.mu

La présidente de l’Union des Chambres de Commerce et d’Industrie de l’océan Indien, Isabelle Chevreuil, élue en avril dernier pour un mandat d’un an, s’est fixé une mission : faire de cette organisation le fer de lance de la coopération régionale. Elle est convaincue que les pays de la région peuvent trouver des avenues de coopération qui leur soient mutuellement bénéfiques.

BUSINESSMAG. Vous êtes la présidente de l’Union des Chambres de Commerce et d’Industrie de l’océan Indien depuis le mois d’avril. Quelle est la mission de cette organisation ?

L’Union des Chambres de Commerce et d’industrie de l’océan Indien (UCCIOI) est une organisation lancée en 2005. Elle regroupe six îles de la zone océan Indien : Mayotte, les Comores, La Réunion, les Seychelles, Madagascar et Maurice. Cette association a pour mission de favoriser les échanges entre les îles de l’océan Indien. Depuis 2005, notre activité principale consistait à organiser des forums économiques et des rencontres pour partager sur cette problématique du développement des échanges dans la zone.

Il y a deux ans, nous avons signé le Programme de Renforcement des Capacités Commerciales dans l’océan Indien. La mise en place de ce projet nous a permis d’avoir des permanents. Nous avons aujourd’hui un directeur de programme, un chargé de mission et un responsable de l’administration. Nous possédons désormais une structure et une base à partir de laquelle nous pouvons développer d’autres activités. Depuis que j’ai pris mes fonctions, nous avons décidé de travailler sur plusieurs aspects. D’abord, je pense qu’il est important de poser l’UCCIOI comme l’interlocuteur principal économique dans le cadre de la coopération régionale.

Nous avons un partenariat fort avec la Commission de l’océan Indien (COI), mais l’idée est que vraiment nous puissions devenir le bras armé de la COI et un partenaire incontournable. Nous souhaitons prendre part à toutes les discussions, surtout à tout ce qui touche à la coopération régionale sur le plan économique. La démarche de l’organisation va dans ce sens. Nous existons depuis une dizaine d’années et il est important d’associer notre structure dans toutes les réflexions qui vont être menées.

Le premier aspect, c’est de donner un peu plus de visibilité à notre association. Ensuite, ce qui me semble important, c’est de développer des échanges. Il est beaucoup question d’échanges commerciaux entre opérateurs et d’aller vers les autres îles, mais nous pourrions aussi multiplier les échanges entre les chambres consulaires et donner au niveau de nos institutions, plus de visibilité. Nous mettons en place notre site Internet sur lequel nous allons faire remonter des données sur chaque territoire, les chambres de commerce et d’industrie et présenter les pôles internationaux pour que ces dernières coopèrent. C’est un volet important. Nous parlons de coopération, mais il faut que nos chambres consulaires puissent coopérer.

Ensuite, il faut que les chambres de commerce arrivent à conclure des partenariats. D’ailleurs, quelques semaines de cela, il y a eu la signature d’un partenariat entre la CCI Réunion et la CCI Maurice. Cela va dans le bon sens. Il faut aussi replacer l’individu dans cette réflexion de coopération.

À travers nos actions, nous voulons amener les gens à bouger plus et à se connaître, surtout les jeunes. Nous avons un point commun : il y a plus de 60 % de jeunes de moins de 25 ans sur nos territoires. Nous voulons faire émerger une nouvelle jeunesse pour qui la coopération deviendra naturelle. Je suis d’une génération où on allait faire ses études en métropole. Quelque part, on connaît le nord bien plus que la zone océan Indien. Il est important de mener des actions pour créer les futurs chefs d’entreprise et pousser les jeunes à aller travailler sur d’autres îles.

BUSINESSMAG. Quelles sont les actions que mène l’UCCIOI ?

La première action que nous voulons mettre en place, c’est la formation. Nous souhaiterions avoir une offre de formation à l’échelle régionale. L’idée c’est de dire qu’au lieu d’aller à Paris ou à Londres pour se former, on pourrait le faire ici. On peut imaginer une formation qui se ferait à Madagascar. Ce serait plus facile pour les visas, avec des formateurs qui viendraient de Maurice ou d’ailleurs et on mettrait autour d’une table des gens de différents territoires. Les échanges pourraient aboutir à des partenariats. L’autre action concerne la mobilité des jeunes. Nous souhaiterions mettre en place une plateforme pour faire remonter des offres d’emploi afin de permettre aux jeunes de pouvoir bouger dans la zone océan Indien, d’acquérir une expérience et d’être en immersion sur d’autres territoires.

Ensuite, il y a l’accompagnement des jeunes dirigeants à travers le mentorat notamment sur les activités d’export. Nous voulons nous appuyer sur l’expérience des anciens pour montrer la voie aux jeunes entrepreneurs qui ont envie d’une aventure à l’export.

BUSINESSMAG. Récemment, lors d’une conférence de la COI, on a évoqué la question de liberté de mouvement pour les opérateurs engagés dans le commerce régional. Sommes-nous en mesure de parler de liberté de mouvement dans la zone océan Indien aujourd’hui?

Nous n’avons pas à ce stade de libre mouvement. C’est un axe sur lequel nous souhaitons travailler. Souvent, des opérateurs ne peuvent participer à nos forums faute de visa. Il y a certaines situations qui sont aberrantes. Nous avons des membres qui ont un visa Schengen. Ils peuvent se rendre à Berlin, Paris, Bruxelles, mais pas à Saint-Denis ou à Mamoudzou. Si l’on veut d’une réelle politique de coopération régionale, il faut faciliter l’obtention du visa. Mais n’est pas tout ! Pour bouger, il faut de la connectivité. Il faut qu’au niveau de la zone océan Indien, on puisse bouger de manière fluide et à des prix plus abordables. Là aussi, il y a une barrière. Parfois, le trajet Mamoudzou-Maurice coûte plus cher que le billet Mamoudzou-Paris. C’est une aberration ! Certes, il faut favoriser l’échange, mais il faut aussi mettre en place un dispositif, voire une stratégie qui favorise la coopération.

BUSINESSMAG. Les États ont-ils la volonté de se concerter pour trouver un accord qui favoriserait la connectivité ?

À mon avis, il y a une ouverture sur la question. Les portes ne sont pas fermées, mais il faut s’attaquer au problème et trouver des solutions concrètes. Je dois souligner que La Réunion et Maurice ont déjà trouvé de telles solutions. Il faudrait que cela s’étende à d’autres territoires de la zone.

BUSINESSMAG. Quels sont les grands défis économiques que la région devra relever et quelles sont les opportunités qui se présentent à elle ?

Au sein de la région, les taux de croissance sont faibles. Certaines économies sont tributaires du contexte mondial. Dans l’océan Indien, on retrouve une particularité : les économies de beaucoup de territoires dépendent du BTP (bâtiments et travaux publics). Et dès qu’on touche aux gros projets d’infrastructures, cela veut dire qu’on dépend de l’aide publique. Avec tout ce qui passe aujourd’hui au niveau mondial, il faut espérer que cette aide perdure. Le défi sera de diversifier nos économies. Il faut basculer sur une économie de production. Il y a des territoires qui ont un potentiel de production, notamment Madagascar. Sur d’autres territoires, on peut développer une certaine expertise dans les Tic. Il faut qu’on arrive à avoir plus de valeur ajoutée sur nos territoires et qu’ensuite, nous développons les échanges entre nos territoires. Nous dépendons encore trop de l’extérieur.

Concernant Mayotte et La Réunion, on constate qu’il y a beaucoup d’importations qui viennent d’Europe. À un moment donné, à l’intérieur de la région, il faut qu’on arrive à échanger pour dynamiser nos économies.

BUSINESSMAG. Les accords de partenariat et de libre-échange vers lesquels nous nous tournons de plus en plus ne rendent-ils pas nos économies de production plus vulnérables ? Nos bases industrielles ne sont-elles pas menacées avec l’ouverture ?

Il faut se dire qu’on n’a pas le choix. Ces accords arrivent et on sait qu’ils sont imposés par l’Organisation mondiale du Commerce. La libéralisation est inévitable.

Concernant les accords de partenariat économique (APE) intérimaires, il y en a eu déjà trois depuis 2012 impliquant Madagascar, les Seychelles et Maurice. Déjà, il faut faire une évaluation pour savoir ce qui s’est passé depuis 2012. Je crois que la COI a déjà initié une étude pour voir comment ces économies ont réagi à ces APE. Il va falloir, en fonction de l’étude, mettre en place une politique d’accompagnement. Nous souhaitons organiser des réunions de travail sur les APE. Il faut qu’on travaille de manière pragmatique sur les répercussions. Cela dit, l’ouverture fait toujours peur, surtout aux économies insulaires.

Il va falloir peut-être travailler sur des partenariats. Pourquoi ne pas attirer des investisseurs pour conclure des partenariats avec les opérateurs de la région? Sur certains territoires comme Madagascar, le coût de la main-d’œuvre est très bas. Peut-être que des opérateurs européens seront intéressés à venir produire à Madagascar pour exporter ensuite en Europe. Ce faisant, on peut utiliser l’ouverture comme un atout. Dans tous les cas, il faut être vigilant sur l’investissement productif, qui doit profiter à nos territoires et à nos opérateurs.

BUSINESSMAG. Récemment, il y a eu un forum économique sur l’économie numérique à Madagascar. Le numérique offre-t-il de nouvelles perspectives de coopération à nos économies, et si oui comment ?

Ce forum était important parce que c’était le premier à vocation thématique. C’était le vœu des opérateurs. Au sein de l’UCCIOI, l’un de nos axes d’intervention est la structuration de la filière Tic dans la zone océan Indien. Nous avons tenu un premier comité avec des groupements
affiliés à différents territoires.

Au niveau de l’économie numérique, on est sur la bonne voie. À Maurice, il y a des centres d’appels qui ont été créés par des entreprises de La Réunion. À Madagascar, on retrouve des structures d’externalisation. Il faut que tout le monde profite de l’économie numérique. Certains territoires sont bien moins dotés en infrastructure que d’autres. L’enjeu est là. Il faut arriver à réduire ces inégalités au niveau de la connectivité pour que tout le monde profite du système.

BUSINESSMAG. L’inégalité dans le niveau de développement entre les îles ne constitue-t-elle pas un frein au commerce régional ?

Je ne vois pas cela comme un frein. Dans cette inégalité, il faut trouver des complémentarités. Et ces complémentarités existent entre les territoires. C’est ce qu’il faut mettre en avant. Je vais vous donner un exemple très simple qui est le mien. J’ai des structures à Madagascar, à Maurice et Mayotte. Ces complémentarités me permettent de répondre à mon marché. Aujourd’hui, je suis sur une mission où je mobilise de la ressource à Madagascar, Mayotte et à La Réunion. En faisant intervenir des ressources humaines sur différents territoires, d’une part, j’ai des prestataires très complémentaires en termes d’expérience et, d’autre part, je peux être très compétitive. Si je n’avais pas de la ressource malgache, avec mes coûts français, je n’aurais pas été en mesure de répondre à un appel d’offres aux Comores.

Il faut que les opérateurs aillent dans cette direction notamment en matière de prestations de service. C’est dans cette optique que l’UCCIOI prône sa plateforme d’e-business. Nous voulons mobiliser les ressources, identifier les opérateurs dans les îles, trouver la bonne alchimie en termes d’expériences et les meilleurs coûts afin de gagner en compétitivité à l’export. Nous avons tout intérêt à nous engager dans cette voie.

Nous devons aussi nous atteler à réduire les inégalités. Pour y arriver, il faut que l’on puisse développer l’activité économique sur certains territoires. L’accord signé entre Maurice et Madagascar sur le développement d’une zone économique spéciale va dans le bon sens. On ne développera ces économies qu’en s’implantant sur le territoire, en créant de la richesse et de l’emploi sur place. C’est ainsi qu’on pourra réduire les inégalités.

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