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Jayen Cuttaree – Il faut sauver ce pays

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Jayen Cuttaree - Il faut sauver ce pays | business-magazine.mu

En tant qu’observateur de la société mauricienne, que retenez-vous de l’année 2018 ?

Il semblerait que 2018 soit une année pré-électorale. L’ouverture de plusieurs chantiers, dont le Metro Express, le développement de plusieurs axes routiers et l’asphaltage de plusieurs routes à travers l’île en témoignent. À cela, il faut ajouter l’introduction du salaire minimum. Mais 2018 a également vu l’éclatement d’une série de scandales touchant plusieurs institutions, notamment la présidence. Il n’y a pas de doute ; c’était une année très difficile pour le pays.

2019 marquera la deuxième année de Pravind Jugnauth à la tête du pays. Que pouvez-vous dire de sa performance ?

Se démarque-t-il des autres dirigeants politiques ? J’ai travaillé avec Pravind Jugnauth au sein du gouvernement MSM-MMM de 2000 à 2005. Nous avons collaboré sur la réforme sucrière et nous avons défendu – avec l’aide de certains cadres compétents et motivés – les intérêts du secteur sucrier mauricien à l’Organisation mondiale du commerce et à l’Union européenne. Pravind Jugnauth était un bosseur et avait un esprit d’ouverture que j’appréciais. Malheureusement, sa défaite aux élections de 2005 l’a beaucoup marqué. Il était convaincu que c’était Paul Bérenger qui avait orchestré sa défaite en influençant délibérément les votes des militants dans sa circonscription. Il m’a dit que c’était un complot de Paul Bérenger pour garder le poste de Premier ministre pendant cinq ans après les élections. C’était aussi la conviction de sir Anerood Jugnauth.

La deuxième année de Pravind Jugnauth a été marquée par une pléiade de projets, certains très controversables. Le côté positif de l’action gouvernementale est certainement dans le domaine social. Le salaire minimum, la Negative income tax, les projets de logements sociaux et les efforts en faveur de la sécurité routière sont des mesures qu’il faut saluer.

Mais le gros problème de ce gouvernement est lié à l’entourage de Pravind Jugnauth, à la corruption, au népotisme et au clientélisme. Depuis le départ du PMSD du gouvernement, Pravind Jugnauth donne l’impression qu’il a peur de perdre sa majorité. Il tolère toutes sortes de choses inacceptables de la part de certains de ses députés de peur que cela ne débouche sur des élections partielles. Prenons l’exemple de Kalyan Tarolah : Pravind Jugnauth aurait dû le mettre à la porte de son parti. Il donne l’impression d’être un leader faible, contrairement à son père. Il paiera le prix fort pour cela aux prochaines élections. 

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Ses adversaires l’accusent d’usurper le poste de Premier ministre. Quelle est votre lecture de cette passation de pouvoir entre père et fils ?

Le principe d’un passage de pouvoir pendant un mandat électoral est quelque chose de tout à fait normal. Nous l’avions fait en 2005, mais la démarche avait obtenu la bénédiction de la population. S’agissant de l’accession de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre, la situation est totalement différente. L’alliance Lepep avait vendu à l’électorat le tandem Anerood Jugnauth et Vishnu Lutchmeenaraidoo afin de faire revivre les années fastes de l’économie mauricienne. Et cela a mordu ! C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’arrivée de Pravind Jugnauth au pouvoir. Je n’en fais pas une affaire de personnalité, mais une affaire de principe.

Si, par exemple, Anerood Jugnauth était dans l’incapacité d’exercer ses fonctions, ç’aurait été au parti de décider de son successeur. Qu’ils auraient choisi Pravind Jugnauth ou un autre, sur un plan purement politique, je n’aurai eu aucun problème avec cette décision. Mais ce qui s’est passé est complètement différent ; c’était une promotion, un passage de pouvoir entre père et fils qui était programmé derrière le dos de l’électorat mauricien. Les électeurs have been conned. Dans quelle démocratie voyez-vous cela ?

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Votre ancien parti a aussi connu pas mal de remous cette année, avec en prime une nouvelle scission. Que représente le MMM en 2018 et comment voyez-vous son avenir ?

Je crois fermement que le MMM a toujours un avenir mais il connaîtra des difficultés lors des prochaines élections. Les membres qui sont partis ou qui ont été expulsés comptaient parmi les meilleurs éléments du parti et ne sont pas facilement remplaçables. Beaucoup de militants sont toujours fidèles au parti à cause de Paul Bérenger. C’est un attachement émotionnel qu’il ne faut pas essayer de comprendre. Le MMM se trouve face à un dilemme. Un grand nombre de militants fidèles ne croient pas que le MMM avec Paul Bérenger candidat au poste de Premier ministre remportera les prochaines élections générales. Mais ils ne cautionneront pas, non plus, une nouvelle alliance.

Je trouve que Paul Bérenger a failli dans son rôle de leader et de rassembleur. Son jugement n’est pas digne de l’homme des années de braise. Les pressions internes prennent parfois le dessus et nous avons vu le départ, par exemple, d’éléments féminins très compétents dont l’absence se fera ressentir aux prochaines élections. Il y a trop de jockeying for position de la part de certains pour s’assurer une place dans la haute hiérarchie du parti. Quand je vois Xavier-Luc Duval, qui est devenu le leader de l’Opposition avec le soutien des députés élus sous la bannière du MMM, je me demande comment nous en sommes arrivés là.

Je pense que le MMM devrait aller seul aux prochaines élections mais avec une équipe remaniée, une prédominance de jeunes et de femmes. Le parti doit présenter un projet politique afin de rassurer le pays que le MMM entend et comprend les aspirations des jeunes et des plus vulnérables de notre société. C’est la seule manière de faire revivre les années de braise. Certes, son leader vieillit, mais il a gardé son fighting spirit. Il saura relever le défi de recréer un nouveau MMM en phase avec les aspirations du pays. C’est une tâche difficile, mais c’est le seul moyen de sauver le parti.

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Les discours des différents leaders politiques ces joursci donnent le ton de la prochaine campagne électorale. Pensez-vous que le pays se dirige vers une lutte à trois ?

Je suis convaincu que nous allons vers une lutte à trois. Le MSM et le Parti travailliste vont s’entredéchirer ; ce sont deux partis ennemis. Ils se retrouvent pour un objectif politique : le pouvoir. Les rancunes traditionnelles seront exacerbées par les événements qui ont suivi les dernières élections, avec notamment l’arrestation de Navin Ramgoolam dans des conditions inimaginables. Un règlement de comptes entre le MSM et le Parti travailliste se prépare.

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Que diriez-vous d’une nouvelle configuration PTr-MMM ?

Une coalition entre le MMM et le Parti travailliste est impossible, surtout après qu’ils ont été sanctionnés par leurs électorats respectifs lors des dernières législatives. Par contre, une alliance MSM-MMM aurait été plus acceptable aux militants mais l’épisode du remake avorté rend ce scénario impossible. De toute façon, je crois que le MMM se présentera seul avec Paul Bérenger comme Premier ministre. Ce sera sa seule chance pour relever le défi électoral.


Un retour de Navin Ramgoolam au pouvoir est-il possible ?

Je pense que Navin Ramgoolam va gagner les prochaines élections. Si Paul Bérenger avait maintenu l’unité au sein de son parti, en recrutant de nouvelles têtes et créant une nouvelle équipe, il aurait été en mesure de remporter les élections. Pour revenir à Navin Ramgoolam, je dois dire qu’il est intelligent : quand il était au pouvoir, il a fait ses quatre cents coups et maintenant il parle de rupture car il veut montrer qu’il a tourné la page. Ma théorie, c’est que dans une élection, c’est le core vote d’un parti qui décide. Aujourd’hui, le Parti travailliste garde son core vote de 30 %, et il a besoin de seulement 20 % pour gagner les élections. Nous savons que les gens ont une façon de voter. Par exemple, avec ce core vote de 30 %, si Navin Ramgoolam sait bien mener sa barque, il pourra aller chercher 70 % de votes au sein de la communauté musulmane.

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La réforme électorale est revenue sur le tapis pour la énième fois. Tous s’accordent sur la nécessité d’une réforme, mais pourtant on n’y parvient pas. Pourquoi ?

À Maurice, comme dans plusieurs pays, il y a des progressistes, des conservateurs et des réactionnaires. La réforme électorale a toujours suscité des passions. C’est pourquoi je pense que présenter un tel projet quelques mois avant une élection est une erreur. Les décisions politiques qui enflamment une nation telles que la réforme électorale devraient être prises dans le sillage d’une victoire électorale. C’est beaucoup plus facile de trouver un consensus entre les progressistes et les conservateurs ; les réactionnaires sont plus influents à l’approche des élections. Ce sont eux qui vont finir ce pays. Et maintenant, je vois qu’ils ont une plateforme dans les médias pour faire avancer leur cause Voyons ce qui se passe avec la présente proposition de réforme. L’objectif est de réduire la disparité entre le vote populaire et le nombre de sièges remportés par le gouvernement et l’opposition.

À Maurice, nous avons besoin de deux tiers ou de trois quarts de sièges pour amender la Constitution. Les résultats des élections à Maurice sont faussés car l’opposition n’obtient pas le nombre de sièges qui aurait dû lui revenir avec le vote populaire. C’est totalement antidémocratique car cela ne reflète pas la volonté de l’électorat. Ainsi, on a vu aux dernières élections que l’alliance gagnante, avec moins de 50 % de votes, a eu une majorité de plus de trois quarts pour changer la Constitution à sa guise. C’est une atteinte au tissu démocratique du pays qu’on ne devrait pas tolérer.


Dans la présente proposition du gouvernement, on essaie de corriger cela par une dose de proportionnelle, mais on vient après rétablir l’écart qu’on a essayé de corriger par une nouvelle allocation de sièges en faveur du gouvernement. C’est de la folie furieuse. Je pensais que le Premier ministre était sincère avec son projet de réforme. Mais la façon dont il a procédé fait penser que dès le départ, il n’allait faire aucune concession et savait que sa proposition allait vers un échec. Je vois cela comme un subterfuge. Je pense que Pravind Jugnauth n’a jamais eu l’intention de faire cette réforme électorale. Sinon, il ne l’aurait pas fait à la fin de son mandat mais au départ, quand c’était beaucoup plus facile d’avoir un consensus. Et, deuxièmement, il ne peut pas venir avec une proposition réglée, décidée quand il n’a pas la majorité et ensuite demander aux parlementaires de l’Opposition de voter avec lui.

Lors des dernières élections, l’alliance gouvernementale n’a pas obtenu 50 % mais 70 % des sièges. Ils ont mis le pays sens dessus dessous avec une majorité qu’ils n’ont pas mais qui est issue d’un système électoral. Un tel système n’est pas possible. C’est pour cela que nous avions demandé un rééquilibrage pour rendre le Parlement plus représentatif. Maintenant ils viennent avec une dose de proportionnel ainsi que des propositions additionnelles pour redonner la différence initiale des sièges aux partis du gouvernement. Dans quel pays pensez-vous qu’on puisse accepter cela ? Ce faisant, c’est tout le fondement de l’argumentation d’une réforme électorale qui est foutu par terre.

Certains analystes pensent que le gouvernement se donne trois mois pour convaincre le MMM. Vos commentaires ?

Le MMM irait voter quoi ? Sur cette question de réforme électorale, ce n’est pas Pravind Jugnauth qui décide, mais Anerood Jugnauth. Et il a toujours été contre une réforme électorale.


Qu’en est-il des propositions du gouvernement sur le financement des partis politiques ?

Je ne crois pas que l’électorat se laissera séduire par ce qui a été mis devant lui. La classe politique s’est dévaluée aux yeux de l’électorat. Chercher à financer les partis politiques avec l’argent des contribuables sera donc une initiative très impopulaire. Une solution plus acceptable serait de financer certaines dépenses, par exemple, le coût des affiches et des bulletins de vote.

Les élections telles qu’elles sont organisées à Maurice coûtent cher. Ce qui explique que les partis doivent chercher des fonds, du secteur privé, par exemple, pour financer leur campagne. Il faut ainsi trouver des méthodes plus modernes et plus efficaces pour faire la campagne électorale.

D’ailleurs, je ne crois pas que les réunions ou autres congrès des partisans soient très efficaces pour convaincre les électeurs. Nous devrons suivre l’exemple des grandes démocraties de l’Ouest où la campagne se fait à travers les médias et les réseaux sociaux. Encore faut-il que l’État contribue à libéraliser les ondes, surtout la télévision, et mettre un cadre régulateur pour assurer l’indépendance de ces médias. 

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