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Jean Pierre Lim Kong: «Maurice traverse une phase de remise en question»

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Jean Pierre Lim Kong: «Maurice  traverse une phase de remise en question» | business-magazine.mu

Le Groupe Innodis reste financièrement stable en dépit de l’épisode de salmonellose qui a impacté la vente du poulet et de la réintroduction des droits de douane sur une série de produits. Sous la férule de son nouveau CEO, il s’apprête à mettre en place des stratégies pour doper sa croissance.

BUSINESSMAG. Vous venez de prendre les rênes d’Innodis, l’un des principaux acteurs dans la distribution alimentaire. Comment se porte le groupe ?

Mes prédécesseurs ont bâti une excellente entreprise basée sur des valeurs solides. Ils ont inculqué une culture saine et une forte éthique du travail ainsi qu’une haute exigence de qualité qui ont permis à l’entreprise de faire un progrès énorme. Nous brassons aujourd’hui un chiffre d’affaires de plus de Rs 4 milliards et fabriquons une très large gamme de produits de qualité. De nouveaux métiers ont vu le jour. Quant à nos opérations, elles sont aujourd’hui diversifiées. Ainsi, la production du poulet a connu une importante intégration verticale. Nous sommes par ailleurs cotés sur le marché officiel de la Bourse.

En 44 ans d’existence, Innodis a bien grandi. L’esprit d’entrepreneuriat des pères fondateurs et les valeurs familiales sont bien ancrés dans l’entreprise. Bien entendu, il y a toujours des choses à améliorer, de nouvelles structures à mettre en place, afin que le Groupe puisse évoluer avec son temps et se positionner pour sa croissance sur le long terme.

BUSINESSMAG. Le Groupe a-t-il les reins suffisamment solides pour affronter la concurrence dans son secteur d’activité ?

Depuis des années, le Groupe fait face à la concurrence, mais a malgré tout pu afficher une croissance soutenue en s’appuyant sur la qualité de ses produits, son sens de l’innovation et son aptitude à réagir face aux changements au niveau de la demande. Certes, cette concurrence a été accentuée ces dernières années avec l’émergence de nouveaux opérateurs dans les divers secteurs d’activité dans lesquels nous opérons, mais le jeu de la concurrence reste sain, et nous sommes confiants que les mesures prises pour diversifier nos opérations, maîtriser nos coûts de production et assainir nos marges continueront à porter leurs fruits.

BUSINESSMAG. Qu’en est-il de l’environnement dans lequel vous opérez ?

Innodis compte près d’un demi-siècle d’expérience dans le domaine de la distribution alimentaire et dessert plus de 5 700 points de vente à travers l’île. Nous disposons d’importants moyens logistiques et d’un personnel expérimenté et dévoué. Nous mettons l’accent sur la qualité des produits que nous fabriquons et distribuons. Nous investissons continuellement dans la formation de notre personnel et dans nos outils de travail pour gagner en efficience et en productivité. Nous sommes constamment à la recherche de moyens pour améliorer nos systèmes et nos méthodes de travail.

BUSINESSMAG. Vos opérations semblent sous pression comme en témoigne votre bilan financier…

Nous avons effectivement connu des périodes difficiles ces derniers temps, à commencer par la psychose qui avait gagné le public en septembre 2016 suite à l’annonce de la découverte de la salmonellose dans un lot de poussins qui était destiné à un groupe de petits éleveurs. Même si je n’étais pas encore là, j’ai suivi cet épisode, et il m’a semblé clair qu’il n’y avait pas d’épizootie, et surtout que les gros producteurs n’étaient nullement concernés. Malgré tout, les consommateurs ont préféré jouer la carte de la prudence, ce qui a occasionné une chute générale de la demande du poulet vers septembre 2016 jusqu’à la fin de l’année dernière. Les exportations d’aliments pour animaux (par le biais de notre filiale Meaders Feeds) et de poussins ont également accusé le coup, suite à des restrictions préventives mises en place par les pays importateurs, notamment les Seychelles et Madagascar, cela suite à l’épisode de la salmonellose.

Par ailleurs, des droits de douane de l’ordre de 15 % ont été réintroduits l’an dernier sur la margarine importée de l’Afrique du Sud. Ces droits de douane avaient été enlevés dans le cadre du traité de la Southern African Development Community (SADC), pas seulement sur la margarine, mais également sur une longue liste de produits, afin de favoriser les échanges commerciaux parmi les pays membres. Cette réintroduction a également pesé sur nos comptes.

Cela dit, nous avons déjà pris des mesures pour nous assurer que nous opérons avec des marges correctes, afin qu’au final, nous puissions dégager une profitabilité saine.

BUSINESSMAG. Avez-vous défini vos priorités ?

En premier lieu, c’est la croissance. Pour cela, nous sommes en train de rebâtir une vision commune, de rassembler les équipes autour de cette vision et de développer des stratégies pour donner vie à cette vision. Nous passerons bientôt à la mise en œuvre de ces stratégies de croissance. Il nous faudra nous donner les moyens d’atteindre nos objectifs et travailler dur pour y arriver.

Nous nous focaliserons aussi sur la maîtrise des fondamentaux de l’entreprise, l’attente des clients et l’optimisation de nos ressources financières et humaines. Notre succès dépendra surtout de notre capacité à rassembler et motiver nos collaborateurs, et à améliorer leur bien-être au travail, afin qu’ils œuvrent tous ensemble pour l’entreprise. Je voudrais m’assurer que les collaborateurs sont pleinement heureux à leur poste. Je voudrais qu’ils se sentent valorisés, afin qu’ils soient motivés à travailler encore plus efficacement.

Nous devons continuer à satisfaire et même dépasser les attentes de nos clients et leur offrir un produit de qualité, à un prix juste, avec le sourire. De même, il nous faut innover sans cesse et améliorer l’efficacité de l’entreprise continuellement afin d’assurer sa pérennité. Il faudra travailler sur tous ces fronts, et je m’y emploierai.

BUSINESSMAG. Depuis quelques années, les statistiques officielles démontrent une baisse de la consommation. Cela se reflète au niveau de l’alimentaire ?

Le secteur alimentaire est plutôt stable, même si les besoins, les goûts et les attentes des consommateurs évoluent avec le temps.

BUSINESSMAG. Quels sont les principaux défis auxquels vous faites face ?

Il y a d’abord les défis propres à toute société opérant dans l’environnement concurrentiel dans lequel nous évoluons. Nous devons nous assurer que nous ne traînons pas les pieds quand il s’agit d’être à l’écoute des consommateurs, d’innovation, du service clientèle – des éléments de base – mais qui méritent toute notre attention. Dans beaucoup de cas, il faut être en mesure d’offrir un service sur mesure pour le client. La qualité est bien entendu non négociable.

Après, dans l’alimentation, il y a la gestion et le stockage des aliments périssables. Il faut aussi pouvoir répondre aux différents segments du marché, qui n’ont pas forcément les mêmes attentes et préférences sur le plan de la consommation. Le marché est particulièrement segmenté à Maurice, non seulement par rapport aux tranches d’âge, mais du fait que nous vivons dans une société pluriculturelle et qu’il y a des variations dans le pouvoir d’achat. L’un des défis à relever consiste à répondre à l’évolution de la demande vers des produits qui contribuent à une bonne santé tout en pratiquant des prix abordables.

Cela dit, nous avons déjà enclenché une stratégie de diversification pour inclure des produits non-alimentaires dans notre portefeuille. En sus des couches Huggies que nous commercialisons depuis des années, nous proposons des détergents importés d’Égypte et en fabriquons également localement. Nous devrions étendre notre secteur non-alimentaire à l’avenir.

BUSINESSMAG. Est-il possible de continuer à croître à Maurice ?

Beaucoup s’accordent à dire que la croissance à long terme pour les entreprises mauriciennes se trouve en Afrique. Je pense qu’il y a une part de vérité dans cette réflexion, vu la taille du marché à Maurice. Il y a encore des perspectives de croissance à exploiter localement, que ce soit dans l’alimentaire ou le non-alimentaire. Nous voulons, au final, être encore plus présents dans les foyers mauriciens, avec des produits qui améliorent la qualité de vie des consommateurs.

BUSINESSMAG.Innodis est également implanté au Mozambique. Comment se portent vos activités dans ce pays de l’Afrique de l’Est ?

Nous sommes assez optimistes pour notre production de poulet au Mozambique. Nous avons une performance opérationnelle stable, et nous sommes en bonne voie pour passer de 40 000 poulets à 50 000 poulets par semaine dans un proche avenir, avec l’apport de nouveaux «contract growers». Les autorités ont également envoyé des signaux assez forts pour promouvoir la production locale. Elles ont, entre autres, annoncé des interdictions d’importation de poulet au Mozambique.

BUSINESSMAG. Avez-vous des visées sur d’autres pays du continent ou dans l’océan Indien ?

Nous nous concentrons pour le moment sur nos opérations à Maurice et au Mozambique, tout en continuant à exporter nos produits laitiers fabriqués localement vers d’autres pays de l’océan indien, de l’Afrique et d’Asie. Nous avons engagé des discussions avec des opérateurs étrangers pour envisager des options de partenariat, mais ces discussions sont encore à un stade embryonnaire. Il faut aussi dire que Maurice vient de vivre un événement politique majeur avec la passation de pouvoir.

BUSINESSMAG. Ne faut-il pas craindre que la politique prenne le pas sur l’économie ?

Le pays traverse en ce moment une phase de remise en question, ce qui est d’ailleurs le cas un peu partout à travers le monde, et qui semble déboucher dans plusieurs cas à une refonte de la classe politique. Cela a le mérite de pousser les gens à la réflexion et de promouvoir des débats d’idées qui espérons-le, auront des retombées positives pour Maurice. En tout cas, je ne crains pas que la politique prenne le pas sur l’économie. Les deux sont intimement liées d’ailleurs, et s’il faut prendre le temps de consolider les assises politiques, cela ne pourra qu’être bénéfique à l’économie sur le long terme.

BUSINESSMAG. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la situation économique ?

Comme je l’ai dit, nous sommes dans une phase de remise en question. Jusqu’ici, le taux de croissance n’a pas été à la hauteur des attentes. Cependant, il y a, semble-t-il, une embellie ces derniers temps sur le plan du climat des affaires. Du côté d’Innodis, c’est en tout cas business as usual. En même temps, nous nous remettons en question. Cela ne nous empêche pas d’aller de l’avant avec nos divers projets.

BUSINESSMAG. Avons-nous les moyens d’atteindre une croissance de 4 % d’ici à la fin de l’année ?

Le Budget comprend une série de mesures pour booster l’économie et alimenter la croissance.  Cet objectif de croissance n’est pas hors de portée si les projets annoncés dans le Budget sont mis en chantier dans les délais prévus et si les secteurs public et privé jouent pleinement leur rôle.