Type to search

En couverture

Jérôme Isautier (PDG des Établissements Isautier) – «une entreprise sans âme n’est pas durable»

Share
Jérôme Isautier (PDG des Établissements Isautier) - «une entreprise sans âme n’est pas durable» | business-magazine.mu

Distillerie de rhum et de liqueurs depuis 1845, les Établissements Isautier s’imposent comme la plus ancienne société de La Réunion. Jouissant d’une reconnaissance mondiale, le groupe est sur une bonne dynamique. Business Magazine océan Indien a rencontré son PDG.

}


BUSINESS MAGAZNE. La Maison Isautier a fêté ses 173 ans. Comment expliquez-vous cette longévité ?

Ce sont les frères Louis et Charles Isautier qui ont créé le groupe en 1845 à travers une distillerie et des terres à cannes. Et ce, avec la particularité de se former en société. C’est ce qui explique, je pense, sa longévité. Les actions sont, en effet, diluées au fil des années et des successions mais l’activité reste toujours en commun au sein d’une seule et unique société. Les actifs restent consolidés dans le groupe qui demeure le propriétaire de l’ensemble du patrimoine. Les héritiers ont simplement quelques actions et des dividendes. Contrairement à ce qui arrive dans les autres familles où les actifs entrent directement dans le patrimoine et finissent par disparaître.


BUSINESS MAGAZNE. Une longévité empreinte d’une réelle success-story ? 

En ce moment, on a vraiment le vent en poupe mais cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années 1900, le groupe dirigé par veuve Antoinette Isautier était au haut de la vague et les rhums Isautier étaient primés internationalement. Puis, dans les années 1970, les trois frères aux commandes – Fred, Charles et Henri Isautier – ont connu la guerre en 1945 et La Réunion a connu un blocus, entraînant des privations importantes.

Le groupe s’est beaucoup diversifié dans les années 60 à 70 avec la création de la filière lait avec la SICALAIT et de la première fabrique d’huile. De même, il s’est engagé dans la fabrication d’encaustique, de parfums, de chocolat, de bougies, de meubles avec la SOREMA qui a fermé en 1990. 

Mais dans les années 1972, arrivent à La Réunion les premiers conteneurs, rendant les importations plus faciles. Le groupe a eu du mal à rester compétitif avec des problèmes de différentiel concurrentiel de compétitivité par rapport aux entreprises nationales (environ 1/1000), puis face au développement de la grande distribution – Prisunic, de Chateauvieux et les Score – qui passait par des centrales d’achats en métropole. Le petit fabricant local ne comptait donc pas assez pour le marché, et c’est encore le cas aujourd’hui même si le côté responsabilité sociétale est mieux pris en compte qu’à l’époque. Le groupe Isautier n’a donc pas pris le virage de la grande distribution et a choisi de rester dans l’industrie. C’était une philosophie forte, même si nous avons failli mourir face à la concurrence. En 1990, c’était presque le cas : on avait quasiment fermé toutes les sociétés, sauf l’agriculture (canne à sucre et élevage bovin) et le rhum. Ce qui nous a permis de redémarrer, ce sont nos terrains issus de l’agriculture déclassés propices à des projets immobiliers, dont les profits ont été réinvestis dans le rhum, notamment dans la technique, afin de relancer son côté qualitatif. Car pour faire un bon alcool, il faut du qualitatif bien sûr, mais nous devons aussi véhiculer une certaine force. C’est justement cette force qui nous différencie. Nous accompagnons la force créole à travers nos produits. Cela permet de soulever des montagnes. 


BUSINESS MAGAZINE. Les rhums Isautier sont régulièrement primés lors des différents concours internationaux…  

Quand on voit nos produits récompensés à New York, en Chine, où nous avons obtenu en 2015 le prix de Meilleur alcool mondial de l’année pour le rhum vieux 7 ans d’âge devant 60 pays, et les plus grands du monde, c’est comme si une comète tombe dans votre jardin ! 

Un peu comme les montres suisses, notre stratégie c’est de petits volumes mais dans l’excellence. Dans cette optique, nous avons recruté le meilleur œnologue français, Mathieu Cosse, qui nous accompagne depuis maintenant une quinzaine d’années. Notre force aussi, alors qu’on est là depuis 173 ans, c’est que nous nous projetons dans 150 ans ! Nous n’avons pas de limite d’horizon. Nous ne revendrons pas la société. Nous sommes une société familiale, notre but est de passer les générations au fur et à mesure, de progresser. Nous avons donc du temps devant nous et pouvons investir sur le long terme.


}«Nous

BUSINESS MAGAZINE. Que faites-vous de mieux que la concurrence ?

Je crois que ce que l’on a réussi plus que d’autres, c’est une combinaison originale : nous nous sommes inspirés de la culture réunionnaise que nous avons modernisée. Isautier, c’est la garantie d’un goût original que la ménagère ne peut pas copier. Toutes les ménagères de La Réunion ont un bocal de rhum arrangé dans leur cuisine, et nous ne sommes pas là pour faire ce qu’elles savent déjà très bien faire. Nous sortons des sentiers battus ; nous devons trouver des idées, des parfums modernes qui sont cohérents avec la culture créole et en même temps qui sont destinés à conquérir les consommateurs français de métropole et internationaux.

Depuis environ huit ans, le groupe réalise en moyenne entre 30 et 60% de croissance annuelle, tous les rhums arrangés confondus et spécialement Banane flambée. L’année dernière, nous avons fait 60 % d’augmentation. Les rhums arrangés Isautier ont connu la deuxième plus forte croissance sur le marché français en valeur absolue de tout le secteur du rhum. Le premier étant Diageo avec Captain Morgan, deuxième Isautier devant Bacardi, Rhum Charrette. Nous sommes le leader sur le rhum arrangé avec plus de 70 % de parts de marché en Métropole et à La Réunion. Chatel doit détenir 20 % des parts de marché, les 10 % restants, ce sont les petits artisans. En fait, il y a beaucoup de fabricants mais ils vendent très peu.


BUSINESS MAGAZINE. Qui sont vos clients ?

Principalement, pour les rhums arrangés, ce sont des consommateurs à La Réunion et en métropole. Pourquoi ? Pour les rhums arrangés, l’intérêt fait le goût. C’est une combinaison parfaite et équilibrée entre parfum et alcool : dans l’imaginaire collective, nos produits s’inscrivent dans la culture créole.

Et pour cela, il faut citer absolument une personne qui est décédée malheureusement en mars dernier, Danièle Lenormand. C’est vraiment la personne chez nous qui a fait avancer ce concept de fierté culturelle. Parce que nous avons pu faire des produits à la mode genre chewing-gum ou fraise Tagada, mais nous n’avons pas voulu prendre ce parti. Nous avons choisi d’accompagner l’histoire créole, et c’est la Route des Indes qu’on vend en réalité.


BUSINESS MAGAZINE. Vous l’avez évoqué, votre directrice générale adjointe depuis 2002, Danièle Lenormand, s’est éteinte en mars dernier. Quel impact cela a-t-il eu sur le groupe ?

Un impact important. C’était une personne exceptionnelle, une grande créole dont l’action a largement dépassé le groupe Isautier. Très clairement, l’ambition de Danièle Lenormand était de conquérir le monde, d’où les médailles qu’on essayait d’obtenir dans le monde entier. Le but : faire reconnaître nos produits comme exceptionnels à travers nos médailles afin d’être repérés par les revendeurs à l’affût de produits originaux pour alimenter leur propre marché. Les autres ont suivi un peu notre exemple, mais c’est quand même Isautier le précurseur. À titre d’exemple, nous avons obtenu 42 médailles internationales en 2015. Et personne d’autre dans les DOM, ni à La Réunion ni ailleurs, n’a obtenu autant de médailles en un an. Et à ce jour, on a tellement de demande qu’on n’est pas capable de produire !


«Le groupenest le leadernsur le marchéndu rhumnarrangé»n,author:"}},{index:5,type:Textarea,name:Text++


BUSINESS MAGAZINE. Vous n’avez pas de capacité de production suffisante ?

Nous avons des problèmes de production et comme on nous ne voulons pas lâcher la qualité, nous avons freiné les ventes. Ce qui est incroyable pour une entreprise ! Dans la zone océan Indien, nous sommes distribués uniquement en hors taxes parce que nous n’avons pas encore trouvé les bons distributeurs et nous nous concentrons un peu sur les marchés les plus pertinents, notamment le marché français qui n’arrête pas d’exploser. Nous mettons donc les moyens pour avoir des capacités de production plus importantes afin de recommencer notre démarchage mondial et d’alimenter ces marchés qui attendent nos produits. Le groupe a un peu décalé notre ambition internationale car le but quand on développe un marché, c’est de le faire dans la durée. 


BUSINESS MAGAZINE. Vous développez votre branche recherche et développement. Mais 26 % de votre production est destinée à l’exportation. Les marchés extérieurs adhèrent-ils aux mêmes goûts que les locaux ?

Les deux marchés se rejoignent. Il peut y avoir quelques produits spécifiques pour le marché réunionnais. Il y a l’exemple de notre Anisette spéciale pour les sarcives. C’est très local car la ménagère métropolitaine ne fait pas de sarcives. Mais la plupart des produits, les rhums arrangés notamment, sont pour les marchés international, français et réunionnais. Il n’y a pas beaucoup de différence de consommation. Ici, nous avons juste une culture créole plus développée.  

Nous faisons des produits plutôt universels mais qui représentent toujours La Réunion. Un produit doit toujours avoir une âme. Le groupe est de plus en plus présent et devient une marque incontournable du marché français. Pour des créoles venant de La Réunion, c’est une grande fierté. Ils se sont approprié la marque et nos produits. Il y a une fierté réciproque.

Nos concurrents ont compris notre succès et essaient de nous copier. Récemment, Rivière du Mât a lancé sa gamme de rhums arrangés; Chatel avait été plus rapide, à nous de renforcer nos positions. Le but d’Isautier n’est pas pour autant d’être seul au monde ; il y a de la place pour tout le monde. Nous sommes des compétiteurs forts sur le marché de La Réunion mais il ne faut pas s’arrêter à cela et avoir une ambition mondiale parce que le groupe en est capable.

Mais il faut faire attention parce que nous sommes copiés même par les Antillais, qui pourtant critiquaient ce type d’alcool, les Canadiens, les Malgaches… et aussi par les Mauriciens avec un peu plus de légitimité car ils sont aussi sur la Route des Indes, mais ce n’était pas leur culture. La Réunion reste la plus légitime dans la culture du rhum arrangé. Nous sommes donc en train d’essayer – puisque c’est notre histoire avec la Compagnie des Indes et notre culture –, et collectivement avec les confrères réunionnais de réserver l’appellation «rhum arrangé» pour La Réunion, même si c’est difficile.


},{index:6,type:Quote,name:Quote,value:{quote:«Il n’y a pasnde limite aundéveloppement»,author:}},{index:7,type:Textarea,name:Text
Tags:

You Might also Like