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L’économie autrement – Pour une croissance à visage humain

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L’économie autrement - Pour une croissance à visage humain | business-magazine.mu

Touchera, touchera pas ? À quelques encablures de la présentation du Budget 2018-19, la question est sur toutes les lèvres. Vous l’aurez certainement deviné ; il s’agit bien évidemment de la croissance.  

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Le pays renouera-t-il avec une croissance de 4 % à la fin de la présente année fiscale ? Cette barre psychologique, nous ne l’avons pas atteinte depuis bientôt une décade, mais pourtant les ministres des Finances annoncent chaque année, dans le cadre de l’exercice budgétaire, qu’ils ont élaboré la meilleure stratégie posible pour parvenir à cet objectif.

Devenue l’objet de tous les fantasmes, la croissance monopolise l’attention non seulement à Maurice, mais également ailleurs. Cette obsession pour ce paramètre économique s’est renforcée dans le sillage de la crise mondiale. D’autant plus que c’est l’un des principaux outils des institutions multilatérales pour jauger de la situation économique globale. Un peu comme le service météo en période cyclonique à Maurice, le Fonds monétaire international a été au cœur de l’évolution des principales économies de la planète durant la tempête financière. D’ailleurs, c’est l’institution de Bretton Woods qui est venue annoncer dans l’un de ses bulletins de santé de l’économie mondiale que la croissance est à nouveau sur les rails. 


Les inégalités se creusent


À Maurice, en dépit des fortes turbulences sur le plan global, l’économie n’a pas basculé en récession. Certes, il y a eu une baisse de régime mais le produit intérieur brut (Pib) a toujours été en croissance avec une moyenne de 3,5 %. Est-ce pour autant que nous vivons mieux ? La question soulève des passions et ils sont nombreux à monter au créneau pour dire qu’une forte croissance ou une croissance tout court n’impacte pas automatiquement le niveau de vie de manière positive. 

Le postulat de la Banque mondiale dans un récent rapport intitulé Combattre les inégalités en créant des marchés de l’emploi plus équitables est sans équivoque à ce sujet. «L’Île Maurice est souvent citée comme l’un des rares exemples de réussite en Afrique du fait de sa remarquable croissance économique enregistrée ces dix dernières années. Cependant, cette période a également été marquée par une faible redistribution de cette prospérité et une hausse des inégalités», écrivent les auteurs.

Pire, l’institution relève que l’écart entre les revenus des 10 % des ménages les plus pauvres et les plus riches s’est creusé pour atteindre 37 % de 2001 à 2015. À l’origine de cette dégradation : l’inégalité des revenus personnels. Marco Ranzani, économiste au pôle Pauvreté de la Banque mondiale, pointe du doigt une pénurie de compétences découlant des changements structurels sur ces dix dernières années. 


Les défis de notre époque


Cette analyse apporte de l’eau au moulin de ceux qui jugent que le traditionnel Pib ou encore le taux de chômage ne permettent pas de mesurer efficacement l’état du pays. D’autres instruments sont nécessaires pour évaluer le bien-être. 

Le moine bouddhiste Matthieu Ricard attirait l’attention dans une interview à Business Magazine sur le fait qu’à Davos, il est désormais question lors des tables rondes de compassion, de bienveillance, d’altruisme et de solidarité. Une chose inimaginable il y a dix ans. Ce qui témoigne d’une évolution de la société. 

«Notre époque est confrontée à de nombreux défis. L’une de nos difficultés majeures consiste à concilier les impératifs de l’économie, de la recherche du bonheur et du respect de l’environnement. Ces impératifs correspondent à trois échelles de temps : le court, le moyen et le long, auxquelles se superposent trois types d’intérêts : les nôtres, ceux de nos proches et ceux de tous les êtres», explique notre interlocuteur. Celui qui a étudié la génétique cellulaire avant de se tourner vers le bouddhisme identifie deux problèmes qu’il considère que l’économie de marché et la maximisation de nos intérêts personnels ne pourront jamais résoudre. Il s’agit de la pauvreté au milieu de l’abondance et les biens communs notamment la qualité de l’air, des océans, la recherche médicale et les libertés démocratiques. Pour y parvenir, l’interprète français du DalaïLama estime qu’il faudrait une économie qui mette l’accent sur la considération d’autrui.


Croissance inclusive


C’est probablement dans le cadre de cette même mouvance mondiale à laquelle se réfère Matthieu Ricard que s’inscrit également Business Mauritius. L’association parle désormais de croissance durable et inclusive. Le président de la principale organisation du secteur privé, Cédric de Spéville, est convaincu que le développement durable sera le moteur d’un modèle de croissance inclusive. Et le CEO, Kevin Ramkaloan, d’ajouter que Business Mauritius se penche sur l’ébauche d’une «politique sociale en lien avec la croissance inclusive». 

Cette thématique sera abordée par la commission Sustainability and Inclusive Growth de Business Mauritius ce mercredi. Le but est d’accroître l’engagement des membres de l’organisation au développement communautaire. 

Dans les rangs du gouvernement, l’on se dit conscient que le fossé entre riches et pauvres s’est creusé. Une situation que le Premier ministre attribue à «une politique économique libérale extrême sans vision et sans pitié pour les vulnérables». Une des réponses à cela, fait ressortir Pravind Jugnauth, est l’introduction d’un salaire minimum national.

Or, le salaire minimum n’est malheureusement pas une panacée. Seul, il ne sera pas un antidote aux inégalités et à la fracture sociale. Au contraire, en l’absence de garde-fous, il pourra créer voire accentuer les problématiques qui confrontent déjà l’économie.

Sous ce registre, l’affaissement de la productivité constitue un enjeu de taille pour les pouvoirs publics. Les derniers chiffres de Statistics Mauritius indiquent qu’entre 2007 et 2017, la compensation des salariés a crû en moyenne de 5,4 % annuellement. En revanche, la productivité de la main-d’œuvre n’a progressé que de 1,3 % par an durant la même période. Pour éviter que le salaire minimum ne contribue davantage à cette tendance, il est nécessaire de développer des mesures pour outiller les employés à travers la formation. En ce sens, un salaire minimum soutenu par un Skills development programme aiderait à amortir les effets pernicieux sur la productivité. Le cas échéant, le cercle vicieux ne se brisera pas car le prochain ajustement de salaire par le Pay Research Bureau créera à nouveau des disparités. Est-ce alors de la croissance inclusive ? Nous avons certes augmenté le salaire minimum, mais ceux qui le touchent seront relativement toujours les plus pauvres. Tandis qu’avec un programme de formation, on ouvre de nouvelles opportunités pour l’employé.

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Pib, une mesure dépassée ?

«Le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue». Cette phrase prononcée il y a 50 ans par Robert Kennedy lors d’un discours durant la campagne présidentielle américaine démontre que la controverse ne date pas d’hier. Dans le monde économique, ils sont nombreux à remettre en cause la capacité du Pib à mesurer le progrès social. Cela dit, il y a également les défenseurs du Pib. Ils considèrent cet indicateur comme l’une des plus grandes inventions du 20e siècle. Car avant la Grande Dépression, il n’y avait que les revenus fiscaux comme mesure statistique agrégée de l’économie. Pour être au diapason des changements structurels au sein de leurs économies respectives, les instituts de statistiques de plusieurs pays sont en train de remettre à jour leurs méthodologies. C’est ainsi qu’en Europe, nous assistons à l’inclusion de nouvelles activités dans le panier de biens et services. La prostitution, la drogue ainsi que d’autres activités illicites ont réussi à se frayer un chemin dans le calcul du Pib. Des ajustements statistiques qui, aux yeux de nombre d’analystes, n’arrivent toujours pas à évaluer efficacement les changements dans le niveau de vie. Toutefois, ce n’est pas demain la veille que nous réussirons à trouver un autre outil pour remplacer le fameux Pib. N’empêche, les agences chargées de récolter et de diffuser les données ne devraient pas pour autant rester les bras croisés. Elles gagneraient à continuer à affiner leurs méthodologies en y incluant d’autres indicateurs socio-économiques.



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