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Menace de crise : Maurice vulnérable à l’onde de choc

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Menace de crise : Maurice vulnérable à l’onde de choc | business-magazine.mu

La crise de 2007 avait mis le monde à genoux. Selon le Fonds monétaire international (FMI), en l’espace de deux ans, elle a coûté à l’économie mondiale plus de 4 000 milliards de dollars. Aujourd’hui encore, la planète panse ses blessures. Afin de prévenir un nouveau chaos, le secteur financier mondial a été réformé et assaini. Les instances internationales comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) surveillent de près les pratiques fiscales abusives. De même, des normes comptables comme l’IFRS 9 ont été adoptées pour expurger autant que possible le système financier des actifs toxiques.

Douze ans après, le monde est à nouveau au bord d’une crise. Et on en voit d’ailleurs les prémices. Cette fois-ci, la cause du ralentissement de l’économie mondiale n’est pas d’origine financière. Elle est structurelle et tient beaucoup plus à un désordre sur le plan du commerce international. La guerre commerciale à laquelle se livrent les États-Unis et la Chine – les deux grosses puissances mondiales – constitue le principal foyer de tension. La détermination du président Donald Trump à s’enfermer dans une politique isolationniste et à taxer les importations chinoises jusqu’à 25 % a accentué la pression sur le yuan. En guise de riposte, Pékin a choisi de laisser se déprécier sa devise et de relever son droit de douane sur des importations américaines à plus de 75 milliards, ce qui crée un vent de panique sur les places financières. Pire encore, le produit intérieur brut (Pib) a chuté au deuxième trimestre pour atteindre son niveau le plus bas depuis 27 ans.

L’ALLEMAGNE ET SINGAPOUR EN DIFFICULTÉ

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Parmi, les premières victimes corollaires du bras de fer entre Washington et Pékin, l’on retrouve Singapour et l’Allemagne. Car ce sont de gros exportateurs sur le marché chinois. Dans le cas de l’Allemagne, la récession est imminente. Pour la première fois, son obligation à 30 ans a donné un rendement négatif.

Dans la zone euro, la tension est montée d’un cran avec l’annonce du Premier ministre, Boris Johnson, que le Royaume-Uni quitterait l’Union européenne avec ou sans accord d’ici à fin octobre. Les analystes craignent qu’un «hard Brexit» plombe davantage la valeur de la livre sterling. Une éventuelle parité avec l’euro n’est pas à écarter.

Dans les économies émergentes, la situation est critique. Le Brésil et l’Argentine sont en récession depuis plusieurs trimestres. Et ils ne sont pas les seuls. D’autres pays enregistrent une baisse de leur Pib : le Chili, la Colombie, la Corée du Sud, la Lettonie, Malte, la Russie et la Turquie. Il faut y ajouter l’Italie et la Norvège. Par ailleurs, la crise nucléaire iranienne n’arrange pas les choses. Lors du Sommet du G7 à Biarritz, le président français, Emmanuel Macron, a voulu désamorcer la crise et éviter de se retrouver cette fois-ci avec une crise pétrolière.

Clairement, l’économie mondiale est sur un volcan. Et il faut parer au pire. Déjà, le FMI a abaissé ses prévisions de croissance de l’économie mondiale de 3,7 % à 3,2 %. L’agence de notation Moody’s tire également la sonnette d’alarme et n’écarte pas la survenance d’une crise économique.

À Maurice, la Banque centrale a réagi en optant pour la voie de la détente monétaire en abaissant le taux directeur de 15 points de base. Or, il semblerait qu’on n’ait pas encore pris la pleine mesure de la menace. Jusqu’à présent, les politiques et le secteur privé sont restés relativement silencieux sur la question.

De l’avis de Clensy Appavoo, Senior Partner d’Appavoo & Associates, il est temps qu’on sorte de cette léthargie, car la situation internationale est en train de se dégrader rapidement. Il se dit d’autant plus inquiet que le niveau mondial de la dette publique a atteint 63 milliards de dollars en 2018. «Lors d’une conférence à Londres, j’ai constaté le sentiment de pessimisme qui anime les experts financiers par rapport à l’économie mondiale. Ils parlent d’une descente aux enfers de la finance mondiale qui sera bien plus sévère que la crise de 2008. Le terme utilisé est un tsunami financier. D’ailleurs, le début de la crise se fait déjà sentir dans certains États européens. À Maurice, l’on ne ressent pas les effets de la crise de façon directe car il y a de gros projets, notamment, dans le domaine des infrastructures qui soutiennent notre économie», observe-t-il.

RISQUE DE RETRAIT DANS LES BANQUES

Outre

Lors de la crise de 2007, Maurice avait fait preuve de résilience car notre secteur financier est robuste. Rien que les actifs du secteur bancaire dépassent Rs 1,3 billion. De plus, de par la petitesse de notre économie, nous sommes restés loin de l’épicentre. Mais démontrera-t-on la même résilience dans l’éventualité d’une nouvelle crise ? Selon le consultant international Kevin Teeroovengadum, il est clair que l’économie mauricienne pourrait être durement touchée par une crise dont l’ampleur risque d’être similaire à celle de la Grande Dépression.

«Sur la scène globale, nous représentons moins de 0,015 % du Pib mondial. Nous sommes très petits et, théoriquement, nous devrions être moins impactés. Or, la grande différence avec la crise de 2007, c’est qu’en 2019, Maurice est beaucoup plus connecté au monde global et le secteur d’exportation est plus vulnérable», observe-t-il. Et d’ajouter qu’il y a deux risques majeurs. D’abord, il est possible que les investisseurs internationaux retirent leur argent de nos banques et l’achemine vers des abris plus sûrs à l’étranger. Dans cette éventualité, comment les banques réagiront-elles ? A-t-on suffisamment de réserves pour faire face à un tel scénario ?, se demande-t-il.

Secundo, un certain nombre de secteurs comme le sucre, le tourisme et le textile font face à des problèmes structurels qui auront un impact dans le futur. Par exemple, l’Allemagne, qui est le quatrième plus gros marché émetteur du tourisme, est en repli cette année.

L’économiste Pierre Dinan abonde dans le même sens. Il explique que l’économie locale est extrêmement dépendante du commerce international et, qu’à ce titre, nous sommes tributaires de ce qui se passe dans le monde. «Quand les grandes puissances éternuent, nous avons la grippe. Les gens ne réalisent pas cela. Nous avons besoin de devises pour importer. Nous aurons beau imprimer notre roupie, nous ne pourrons pas importer nos besoins essentiels. À une certaine époque, le montant total des importations et d’exportations était plus grand que le Pib. Ce n’est plus le cas. Cela indique que le commerce international ne va pas dans le bon sens. Il nous faut exporter pour pouvoir importer. Si les marchés se rétrécissent, cela devient problématique. Le sucre, le tourisme et le secteur manufacturier sont en difficulté. La finance aussi passe par des moments difficiles. Dans l’éventualité d’une crise, Maurice sera non seulement affecté par les problèmes internes – dont une productivité qui ne répond pas à la hausse des salaires –, mais aussi par des facteurs externes», analyse-t-il.

MAURICE SERA IMPACTÉ DIRECTEMENT ET INDIRECTEMENT

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De son côté, Rishy Lutchman, trésorier à Bank One, fait remarquer que la dernière crise a changé le paysage économique global. Et qu’avec la mondialisation, aucune économie ne peut se protéger totalement contre les contrecoups de la récession. Selon lui, Maurice est susceptible de faire preuve de résilience pendant une courte période, mais étant une petite économie dépendante d’un ensemble de facteurs externes, il sera impacté par la récession directement ou indirectement. Il étaye ses propos : «Il y a eu une baisse dans le tourisme en raison de la concurrence, mais cela peut s’accentuer si nous sommes frappés par une crise. Concernant le secteur manufacturier, s’il y a une baisse de la demande, cela affectera les résultats des opérateurs. Tout cela risque d’affecter notre environnement économique et social. Il faudra trouver des alternatives sur la façon dont on peut renforcer les piliers économiques. Dans le même temps, il s’agira de se tourner vers l’Afrique comme porte d’entrée pour mitiger l’impact».

Revenant à la situation dans la zone euro, où la perspective d’un «hard Brexit» est plus que jamais d’actualité, fort vraisemblablement, la livre sterling, qui s’est dépréciée d’environ 14 % depuis le référendum sur le Brexit en juin 2016, devrait encore plonger. Et si tel est le cas, les exportations vers le Royaume-Uni pourraient prendre un sérieux coup. Déjà, au deuxième trimestre, l’on a enregistré une baisse de 15,1 % sur le marché britannique. À ce chapitre, Kevin Teeroovengadum ne cache pas ses craintes. «Si la livre sterling s’affaiblit, cela aura un impact négatif sur deux secteurs : l’exportation et le tourisme. La Grande-Bretagne est le troisième marché émetteur touristique. Imaginez que la livre sterling chute à Rs 40 ; cela voudra dire que Maurice deviendra immédiatement plus cher pour les Britanniques», observe-t-il.

Il est rejoint par Dean D’Sa, l’Executive Director de PLEION Investment Adviser. Il estime que l’accès de Maurice va définitivement changer. «Le Royaume-Uni et les compagnies européennes ont passé les deux dernières années à adopter des plans sur la façon d’opérer dans un monde avec le Brexit. Dans certains cas, ces plans comprenaient le déplacement des employés vers un autre pays. Ces compagnies qui accédaient au Royaume-Uni via l’Europe – en proposant un service à valeur ajoutée – seront probablement les plus affectées», soutient-il. Et de prévenir : «La question que je voudrais poser est : dans quelle mesure les exportateurs mauriciens sont-ils préparés à un ‘hard Brexit’ ?»

Valeur du jour, rien n’indique une amélioration de la situation au niveau du commerce international. Sans doute, une issue heureuse au Brexit – avec un accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sur la question du libre déplacement des personnes – et au conflit entre Washington et Pékin, devrait ramener un certain équilibre dans l’économie mondiale. Loin de l’épicentre, Maurice reste spectateur. Une posture qu’il faudra changer si l’on veut se prémunir des effets indirects négatifs du ralentissement économique mondial.

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