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Paul Jones, CEO – LUX* : «Nous aurons 20 à 25 hôtels en Asie d’ici 10 ans»

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Paul Jones

Hôtelier respecté depuis 30 ans, Paul Jones n’accorde que de rares interviews. Pour Business Magazine, il lève un coin du voile sur la stratégie de développement de LUX* pour la prochaine décennie.

BUSINESSMAG. IBL a renouvelé votre contrat pour trois ans. Est-ce une marque de confiance ou parce que vous avez sauvé Naïade de la noyade ?

Sans doute oui, c’est une marque de confiance. C’est aussi parce que je voudrais continuer à travailler. J’ai toujours aimé travailler. J’étais supposé arrêter l’année prochaine, mais j’ai commencé tellement de choses que je dois les continuer. La marque LUX* est jeune. En décembre, elle fêtera son cinquième anniversaire. Pendant ces cinq ans, pas mal de choses ont changé mais il reste énormément à faire. Les hôtels pour lesquels nous avons signé des contrats de gestion vont ouvrir l’année prochaine et en 2018, il y a encore beaucoup de défis à relever. C’est très important que je sois présent pour l’ouverture de ces hôtels, dont un aux Maldives, un à La Réunion, un à Ajman et un en Turquie, plus ceux en Chine qui font partie de la LUX* Tea horse road. Nous avons une vision sur le très long terme pour la Tea horse road. Il s’agit d’un circuit sur l’ancienne route du thé et des chevaux, avec ses plantations qui s’étendent jusqu’au Tibet. Je vois entre 10 et 15 hôtels dans cette région. Mais cela prendra des années à se concrétiser ; ce n’est pas quelque chose que l’on va faire en deux ou trois ans. On pense ouvrir en moyenne un hôtel par an – ce seront de petits hôtels – sous contrat de gestion pendant les dix prochaines années. Le sud de la Chine regorge de paysages magnifiques, avec des rivières, des gorges, des montagnes. L’année dernière, je suis allé deux fois au Tibet et c’est une région extraordinaire. Ce qu’il y a d’unique sur la route du thé, ce sont les minorités. En Chine, il y a 56 minorités ayant chacune ses spécificités en termes de langue, de cuisine, de danse, de coutumes, etc., et la plupart se trouvent dans ce coin du pays. Cette partie du monde est très mal connue, même par les Chinois, qui sont nombreux à venir de Pékin ou de Shanghai pour la visiter.

BUSINESSMAG. Les nouvelles dessertes d’Air Mauritius vont soutenir votre stratégie d’expansion en Chine ?

Absolument. La Chine est le marché le plus important parce qu’il est le plus grand, avec 1,3 milliard d’habitants. C’est le plus grand pourvoyeur de touristes dans le monde. La Chine est un marché prometteur : aux Maldives, ce sont 1 000 Chinois qui débarquent en moyenne chaque jour ; c’est énorme. La Chine est très importante pour les Maldives.

BUSINESSMAG. Comment une marque aussi jeune que LUX* peut-elle décrocher des contrats dans un pays qu’elle connaît à peine et face à la concurrence de groupes internationaux ?

Effectivement, c’est très difficile. C’est un défi. Maintenant que nous avons deux hôtels en Chine et un bureau à Shanghai, nous commençons à avoir une certaine organisation dans le pays. Le bébé est né, nous avons créé un noyau et d’autres contrats viendront au fur et à mesure dans différentes régions de la Chine. Nous aurons des hôtels ailleurs que sur la route du thé. Et nous ne nous arrêterons pas à la Chine car depuis ce pays, nous avons une fenêtre ouverte sur l’Asie du Sud-Est. Nous avons d’ailleurs signé un contrat au Vietnam. Là-bas, il y a une île qui fait face au Cambodge : Phu Quoc. LUX* se trouve au nord de l’île avec une plage de 3 kilomètres. On a déjà travaillé sur le design de l’hôtel avec les architectes et tout l’établissement sera développé sur pilotis. Ce sera un hôtel vraiment spécial.

Notre croissance va être organique. Dès que nous sommes actifs et opérationnels dans un endroit, nous attirons d’autres investisseurs qui ont vu notre travail et qui viennent vers nous pour nous demander de travailler avec eux.

BUSINESSMAG. Donc vous ciblez la Chine et les pays limitrophes. Quels sont vos objectifs réels en Asie ?

Je pense que d’ici dix ans, nous aurons 20 à 25 en hôtels en Asie, y compris en Chine. Une bonne partie de notre croissance future se fera en Asie. Le chiffre d’affaires et les profits réalisés par le groupe hors de Maurice vont augmenter substantiellement. Historiquement, nous sommes propriétaires de sept hôtels : cinq ici, un à La Réunion et un aux Maldives. Mais notre mission n’est pas d’être propriétaire d’hôtels. Notre mission, c’est de gérer des hôtels. Pour comprendre l’intérêt de cette stratégie, il n’y a qu’à regarder ce qui se passe à l’étranger. Par exemple, le groupe Accor est en train de complétement séparer sa management company, dont le chiffre d’affaires et les bénéfices sont supérieurs à ceux de la property company.

En étant une management company, c’est la marque LUX* qui est mise en avant. LUX* veut dire lumière. Nous voulons alléger la notion de luxe, la rendre plus fun, plus légère, plus dynamique. Nous avons voulu innover, surprendre les clients. Par exemple, le Food truck, personne n’avait fait un food truck dans un hôtel. Nous avons aussi été les premiers à torréfier du café dans un hôtel. Nous avons proposé de la glace au bord de la piscine et la clientèle apprécie. Nous avons des cabines téléphoniques et même une Rolls Royce à Belle-Mare. Il faut créer du plaisir pour les yeux, pour le palais, pour tous les sens. Nous misons sur des expériences différentes. Il faut bien comprendre que le site TripAdvisor a changé le monde de l’hôtellerie. Le client a pris le contrôle. Il raconte son expérience en direct sur Internet et ses avis sont lus partout dans le monde.

BUSINESSMAG. Le conseil d’administration vous a fait totalement confiance pour ces idées innovantes ?

Le board est très supportive. Je suis supposé être un expert ; il m’a confié une responsabilité, il me fait confiance et ne se mêle pas des détails des opérations. Par contre, il attend des résultats. Je présente mon budget et je suis exigeant, même si je reste discipliné ! Les résultats financiers sont importants aussi pour moi, parce que si je ne réalise pas 20 % de croissance du bénéfice par action, je ne suis pas heureux. C’est mon objectif parce que c’est important pour ceux qui investissent avec nous, c’est la moindre des choses. Réaliser 20 % a toujours été pour moi le seuil acceptable.

BUSINESSMAG. En 2010, quand vous prenez la barre de l’ex-Naïade, le groupe est au bord de la faillite…

C’était un challenge ! Ça l’est toujours, d’ailleurs, mais j’adore ce que je fais. Je suis concentré sur les gens, c’est-à-dire sur mon rôle de transmettre l’enthousiasme et l’énergie au personnel et aux clients.

BUSINESSMAG. Vous parliez de chiffres, on sait que le secteur hôtelier est le deuxième plus endetté. Quels sont vos objectifs en termes de désendettement ?

Nous continuons à rembourser notre dette, entre 500 et 600 millions de roupies par an. De toute façon, je ne connais aucune compagnie qui n’a pas de dette. La clé du désendettement réside avant tout dans une progression des bénéfices. Nous avons amélioré notre situation par rapport à la dette. Nous avons discuté avec les banques, qui nous donnent maintenant une meilleure latitude mais toujours avec une certaine rigueur concernant certains ratios.

Dans l’optique de la réduction de la dette, on peut imaginer d’autres solutions pour les hôtels dont nous sommes propriétaires. Actuellement, on investit 30 millions de dollars US dans notre hôtel aux Maldives pour le faire monter en gamme. Fermé pendant trois mois, il rouvre ses portes ce 1er septembre. Nous étudions d’autres possibilités parallèlement. À Grand-Baie, nous avons un superbe site 5-étoiles sur lequel nous avons un hôtel trois-étoiles…

BUSINESSMAG. À Maurice, votre capacité de développement est toutefois limitée par le manque d’espace ?

Nous pouvons améliorer les hôtels que nous avons déjà. Par exemple, si on convertit un hôtel 3-étoiles en 5-étoiles, l’excédent brut d’exploitation va quadrupler, voire quintupler. S’agissant des hôtels qui opèrent déjà dans la catégorie 5-étoiles, on peut aussi les repositionner ou investir dans leur rénovation.

BUSINESSMAG. Les hôteliers se plaignent souvent de la volatilité des taux de change. Dans quelle mesure cela affecte-t-il vos opérations ?

À Maurice, on travaille en euro pour le marché européen et en livre pour le marché britannique. Donc quand on convertit, on est gagnant ou perdant, comme récemment avec la chute de la livre. Nous préparons le devis dans la monnaie du pays parce que nous ne sommes pas dans le business du change. Nous faisons un peu de couverture de risque de change, mais pas beaucoup parce que nous voulons éviter des problèmes.

BUSINESSMAG. Un euro à Rs 37, par exemple, affecte-t-il votre compétitivité ?

Oui cela nous affecte, mais nous pouvons anticiper la courbe et prévoir cela dans notre budget.

BUSINESSMAG. Pour un hôtelier ou un exportateur, n’y a-t-il pas un autre moyen d’améliorer sa compétitivité, au lieu de tout le temps critiquer une roupie forte ou de se battre pour un euro à Rs 40 ? Avec la volatilité sur le marché international des changes, ne faut-il pas s’habituer à ces fluctuations qui sont devenues – passez-nous l’expression – monnaie courante ?

Si nous faisons les prix en euro, c’est mieux pour la clientèle parce que c’est sa monnaie. Je le répète : c’est au change que nous perdons. Il ne s’agit pas là de notre compétitivité, mais d’un impact sur nos résultats. C’est la nature de notre business qui est ainsi. Nous devons faire avec. Moi je ne peux pas me plaindre. Je ne suis pas un technicien, je ne connais pas le taux réel de conversion de la roupie. Nous ne souhaitons pas que la roupie soit maintenue artificiellement à un niveau précis par rapport à une autre devise. Il faut que le niveau de la roupie reflète sa valeur réelle. Mais ce n’est pas la partie la plus importante de notre business. De toute façon, nous n’avons pas de contrôle sur les fluctuations de change, à moins que nous ne proposions des devis en roupie. Mais dans ce cas, ce sont nos intermédiaires qui devraient calculer le change. Donc je préfère nettement proposer les tarifs dans la monnaie du pays avec lequel nous traitons.

BUSINESSMAG. Êtes-vous satisfait de la performance du groupe pour l’exercice financier clos le 30 juin dernier ?

Vous savez que la Bourse de Maurice est très sévère. Donc je ne peux rien dire à ce stade ! Ce que je peux dire, c’est que nous avons observé que l’industrie touristique a beaucoup changé ces deux dernières années. Le gouvernement a pris des décisions très sages, notamment le ministère du Tourisme qui nous aide à avoir plus de capacité aérienne.

BUSINESSMAG. Ce ministère a aussi gelé les projets hôteliers et vous n’étiez pas particulièrement favorable à cette décision…

Oui c’est vrai, je l’ai dit il y a quelques mois, mais il vient de les dégeler ! Je crois qu’il l’a fait parce que l’industrie était en crise. De mon côté, ce n’est pas le gel en lui-même qui m’a dérangé. Ce que je voulais dire, c’est que si l’on veut avoir plus de sièges et laisser venir les autres compagnies aériennes, il faut aussi plus de chambres. C’est une équation vraie et le ministre en est conscient. Je l’ai déjà dit maintes fois : la concurrence est très importante. Dans l’histoire de l’hôtellerie à Maurice, la concurrence a toujours été bénéfique au secteur.

BUSINESSMAG. Bénéfique à Air Mauritius également ?

Absolument. C’est important, même primordial. Parce que si l’on pense qu’on est protégé artificiellement, à ce moment-là il y a d’autres règles du jeu. Donc il vaut mieux avoir la concurrence, car cela exige d’une compagnie qu’elle soit performante à tous les niveaux. Personnellement, je suis très motivé par la question. Car j’ai toujours voulu être un leader et pas un follower. La concurrence est mondiale, il s’agit de nous différencier par rapport à des concurrents mondiaux. C’est valable pour nous chez LUX*, c’est valable pour Air Mauritius et c’est valable pour toute autre compagnie. Sinon, pourquoi croyez-vous qu’un investisseur d’un autre pays nous choisirait pour être son partenaire ?

BUSINESSMAG. Êtes-vous en faveur des low-cost airlines ?

Dans les années 70-80, les gens étaient contre les charters parce qu’ils voulaient promouvoir l’image de marque haut de gamme de l’île Maurice. C’était le mantra de sir Seewoosagur Ramgoolam, sir Gaëtan Duval et autres. Les stars venaient et servaient de locomotives pour attirer les touristes. Je suis d’accord et j’ai d’ailleurs participé à cela. Il y a certains pays qui ont accepté les charters au début, comme la République dominicaine. C’est un très joli pays et il n’y a pas de raison pour qu’il n’ait pas une vocation de tourisme haut de gamme, mais les Dominicains ont préféré exploiter la formule charter. Maurice a fait un choix différent dès le départ : nous n’avons pas voulu de l’image de destination charter. C’était une décision très sage à l’époque. Mais depuis, il y a eu pas mal de développement dans le secteur touristique, des établissements 5-étoiles, 4-étoiles et autres, ce qui est très bien.

BUSINESSMAG. En 2011, le meurtre de Michaela Harte a ébranlé votre groupe. Que retenez-vous de cette affaire et a-t-elle changé votre façon d’opérer ?

Cette affaire m’a bouleversé. Qui aurait pu envisager une chose pareille ? Effectivement, ça a changé les choses. Nous avons revu l’aspect sécurité. Nous avons plus de caméras et nous faisons plus de surveillance. Il faut aussi prendre soin du personnel et s’assurer qu’il bénéficie du succès qu’il contribue à créer. Nous donnons au personnel un bonus basé sur l’excédent brut d’exploitation. Nous investissons aussi beaucoup dans la formation. Quand j’ai pris la barre de LUX*, le personnel faisait en moyenne 4 heures de formation par an, maintenant il en fait 150.

BUSINESSMAG. La baisse de la dépense par touriste est un sujet qui fait débat. Certains l’attribuent à la politique «All inclusive» pratiquée par les hôtels…

Je ne pense pas. En ce qui concerne LUX*, nos tarifs pour les chambres ont augmenté chaque année, en moyenne de 15 %, ce qui est énorme. Il y a différents types de clients, certains aiment la formule Tout compris et d’autres, non. Moi, je ne rougis pas d’offrir du All inclusive, c’est ce que les clients veulent. La clientèle qui aime le All inclusive est la même que celle qui aime les croisières qui pratiquent, elles aussi, le All inclusive. Les gens apprécient cette formule parce qu’ils savent à l’avance combien ils doivent budgéter pour leur séjour.

BUSINESSMAG. Le principal grief exprimé par rapport à la formule All inclusive, c’est que les hôteliers prennent les clients en otage...

Ce n’est pas vrai, c’est une fausse perception. Le client chinois, par exemple, dès qu’il arrive, il veut tout de suite sortir et partir en excursion. Les Chinois fonctionnent différemment. Ils n’aiment pas trop la plage, ils se lèvent très tôt et prennent leurs repas très tôt. C’est pourquoi nous devons diversifier le marché. Et les Chinois sont des amateurs de shopping. Quand ils visitent un pays, il faut qu’ils achètent au moins une dizaine de cadeaux. D’ailleurs, on les voit partout à Port-Louis, dans les centres commerciaux, etc. Donc, il ne faut pas critiquer les hôteliers ! Nous sommes simplement en train de répondre aux besoins de la clientèle. On ne peut pas nous blâmer parce que nous donnons aux clients ce qu’ils veulent ! Nous avons investi de grosses sommes pour développer des hôtels et la rentabilité n’est pas acquise. Nous devons travailler dur pour cela. Et puis, il y a différentes offres All inclusive et différentes catégories d’hôtels. Donc chacun y trouve son compte. Et cela ne veut pas dire qu’un client qui achète un forfait All inclusive est un touriste bas de gamme.

BUSINESSMAG. Un mot sur la fusion GML/IBL?

Je suis très enthousiaste car elle permet de saisir le potentiel qui s’offre à nous en tant que groupe afin de poursuivre sur la voie de la croissance.

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