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Réinventer le textile

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Réinventer le textile | business-magazine.mu

Le Brexit a mis au jour les faiblesses de la filière textile et habillement locale. Pour faire front et demeurer compétitifs, les opérateurs envisagent plusieurs options dont une stratégie régionale intégrée.

La filière textile et habillement mauricienne est à la croisée des chemins. Bousculée par les secousses qui ont suivi le référendum du Brexit, à compter de juin 2016, elle se retrouve dans l’obligation de se remettre en question afin de relever les défis à venir. Il faut savoir, en effet, que la majeure partie des exportations de ce segment a été jusqu’ici destinée au marché britannique (58 %). En conséquence, les effets de la chute de la livre sterling dans le sillage du Brexit n’ont pas tardé à se faire sentir. Ainsi, en 2016, le textile-habillement a généré Rs 27,2 millions de revenus contre Rs 29,5 millions en 2015.

La situation inquiète d’autant plus que, selon les derniers chiffres de la Mauritius Export Association (Mexa), la filière représente 54 % des exportations du pays alors que sa participation au produit intérieur brut est de 3,7 %. De plus, quelque 40 000 emplois sont concernés par le sort de cette industrie. Face aux difficultés engendrées par la conjoncture internationale, les opérateurs du textile-habillement ont été forcés d’admettre que le modèle d’affaires sur lequel repose la filière est désormais dépassé. Mis en place dans les années 80, il peine à être encore porteur de croissance. Dès lors, différentes propositions ont été faites afin de préserver le dynamisme de l’industrie.

Hemant Kumar Jugnarain, General Manager d’Esquel Mauritius, entreprise opérant quatre unités de production à Maurice pour un volume d’exportations de 12 millions de chemises par an, indique, pour sa part, avoir choisi, avec le soutien de son groupe, une transition vers l’automatisation. «Notre but est de nous engager dans la voie d’une industrie textile de nouvelle génération prenant appui sur des machines sophistiquées, notamment au niveau de la confection ou de la découpe».

Pour le GM, il est préférable pour les entreprises textiles du pays de ne pas se cantonner à un business model particulier mais de demeurer assez flexibles, en fonction de la demande. «Si le textile mauricien désire évoluer, il doit avoir dans sa boîte à outils une collection de modèles au moyen desquels il pourra optimiser sa capacité de production». Il mentionne, à ce propos, trois modes de production pouvant être adoptés – automatisé, «modulaire» ou une combinaison des deux – dépendant du nombre de pièces à réaliser ou encore de la complexité des détails les constituant.

«Dans le but de pérenniser le textile-habillement mauricien, il est impératif que ce secteur se lance dans divers créneaux», suggère quant à lui Harold Mayer, Chief Executive Officer de CIEL Textile. Cette avenue, le pôle textile du groupe CIEL, l’une des plus importantes sociétés du pays, l’a déjà empruntée. Implantée dans la Grande île depuis plus de 30 ans, CIEL Textile mise sur une «stratégie régionale intégrée Maurice-Madagascar» qui, de l’avis d’Harold Mayer, est essentielle pour l’avenir du textile local. Et le CEO d’ajouter qu’«il est grand temps d’arrêter de percevoir Madagascar comme un concurrent pour Maurice dans ce secteur» et de privilégier plutôt la complémentarité.

Au niveau de CIEL Textile, la moitié des matières premières produites à Maurice est convertie localement et l’autre moitié dans la Grande île. «À Maurice, Consolidated Fabrics se concentre sur les chemises et Consolidated Dyeing & Fabrics sur les T-shirts tandis que les pulls sont fabriqués à partir de Madagascar», précise Harold Mayer. Un choix motivé par le coût de production, beaucoup plus élevé à Maurice sur ce créneau particulier, soit Rs 60 supplémentaires par pull. «Si nous n’avions pas cette stratégie régionale intégrant Madagascar, nous n’aurions pu rentabiliser nos usines de textile à Maurice», insiste le CEO. Cet axe de coopération bilatérale, d’autres opérateurs locaux se mettent graduellement à le considérer. Citons, à ce chapitre, Sonia Wear, Tropic Knits et la CMT. Il y a une prise de conscience du fait que sans l’apport de la Grande île, le textile mauricien aura beaucoup de mal à tenir la route. D’un autre côté, «Madagascar peut se replier sur Maurice, en cas de crise économique et politique». Pour les entreprises du pays, c’est une pièce indispensable du puzzle que constitue la sauvegarde de la filière à long terme.

Le haut de gamme, alternative au manque de main-d’œuvre

Annoncé dans le Budget 2016-2017, l’«Air Freight Rebate Scheme» est entré en vigueur le 1er avril. à travers ce plan, le gouvernement tente de redynamiser les exportations de la filière textile-habillement vers l’Union européenne – y compris la Grande-Bretagne – avec une réduction de 40% du fret aérien. Il vise aussi à accroître la compétitivité des entreprises locales en leur permettant d’honorer des délais de livraison plus courts («speed-to-market»).

Harold Mayer accueille favorablement cette mesure et encourage les usines textiles exportatrices à en profiter pleinement afin de faire de Maurice une plateforme pour le «high-end» – les produits de niche. En effet, dit-il, «le textile mauricien ne pourra jamais concurrencer le Bangladesh, la Chine, l’Inde ou le Vietnam sur le créneau des produits basiques pour une question de coûts». Toutefois, avance le CEO, Maurice est tout à fait de taille à rivaliser avec la Turquie ou l’Europe de l’Est sur le segment des produits de niche, avec le concours des nouvelles facilités introduites par le gouvernement. Chose impossible autrefois vu que l’acheminement des produits haut de gamme par voie maritime vers le Vieux continent prenait six semaines tandis que la Turquie et l’Europe de l’Est effectuent leurs livraisons en deux jours. «Avec l’‘Air Freight Rebate Scheme’, nous pouvons, aujourd’hui, faire du ‘speed-to-market’», fait valoir Harold Mayer.

La stratégie régionale Maurice-Madagascar s’inscrit dans cette même démarche consistant, pour les opérateurs textiles, à se concentrer sur la production haut de gamme à Maurice tandis que les produits basiques ou «low-end» sont fabriqués dans la Grande île. La problématique du manque de main-d’œuvre s’en trouve dans le même temps résolue puisqu’en se concentrant sur le «high-end», les usines textiles locales ont davantage recours à l’automatisation, favorisant les processus de fabrication à haute intensité de capital. CIEL Textile est de ces entreprises locales qui ont vu l’intérêt de répartir leur production entre les deux îles : elle a consenti à des investissements conséquents dans les machines de pointe à Maurice et mis à profit la main-d’œuvre qualifiée et compétitive disponible dans la Grande île.