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Romeela Mohee : «Pas de déséquilibre sur le marché de l’emploi»

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Romeela Mohee : «Pas de déséquilibre sur le marché  de l’emploi» | business-magazine.mu

Première femme à devenir vice-chancelière de l’Université de Maurice, Romeela Mohee veut faire de l’institution une référence dans le domaine de la recherche. Abordant la question d’employabilité des diplômés, elle insiste que le secteur privé doit faciliter leur intégration en milieu professionnel.

BUSINESSMAG. Comment vous êtes-vous retrouvée à la tête de l’Université de Maurice ?

J’ai rejoint l’Université de Maurice après mes études à l’Institut national des sciences appliquées de Lyon, une grande école d’ingénieurs en France. J’ai une formation d’ingénieur énergétique, avec spécialisation en environnement. En 1989, je me suis jointe à  l’Université de Maurice comme Assistant lecturer. Puis, j’ai gravi les échelons, devenant successivement Lecturer, Senior lecturer, professeur agrégé et professeur. En même temps, j’ai entrepris mon doctorat à l’Université Clemson, aux États-Unis. J’ai aussi fondé le département génie chimique et environnement à l’Université de Maurice en 1994.

De 2009 à 2012, j’étais la première femme doyenne de la faculté d’ingénierie. En 2012, j’ai quitté l’Université de Maurice pour rejoindre le Mauritius Research Council en tant que National Research Chair pour des recherches sur l’environnement et le développement durable. En septembre 2013, je suis retournée à l’Université de Maurice pour occuper le poste de Pro Vice-Chancelor for Academia. J’ai aussi assuré par intérim le poste de vice-chancelier de l’université. Et en décembre 2013, j’ai postulé pour ce poste. C’est ainsi que je me suis retrouvée comme la première femme vice-chancelière de l’Université de Maurice (UoM).

BUSINESSMAG. Quels sont les programmes d’études qui sont en grande demande actuellement ?

Pour l’année académique 2015-16 qui a démarré il y a deux mois, les cours les plus prisés concernent les diplômes de premier cycle en finance, en entrepreneuriat, en médecine, en ingénierie mécanique, en génie civil, en science informatique, ICT Leadership, ICT management, en économie et dans les langues. Du côté de la faculté d’Agriculture, nous avons mis en place de nouveaux cours comme ceux touchant à l’aquaculture et l’agri-business.

BUSINESSMAG. Année après année, les demandes d’inscription à l’Université de Maurice augmentent. Avez-vous la capacité d’y répondre ?

Il faut savoir que jusqu’à présent, nous avons produit 42 000 gradués. Actuellement sur le campus, nous avons 13 000 étudiants. Chaque année, nous prenons 4 000 étudiants sur 15 000 inscriptions. Face à la demande grandissante, nous avons entrepris l’année dernière une expansion importante avec la création de l’University Ebène Branch Building où nous avons bougé le Center for Innovative and Life Long Learning. Le bâtiment accueillera prochainement l’EON Reality et les cours de médecine. Nous avons également changé notre mode d’enseignement. Pour répondre à la forte demande d’inscriptions, nous avons développé également les Blended courses avec 90 heures de Face-to-face learning et 60 heures d’online module. Ce qui réduit la quantité d’enseignants dont nous avons besoin. Dans un premier temps, ces Blended courses seront développés pour le département de Law & Mana-gement. Nous espérons que dans les quatre à cinq ans à venir, trois quarts de nos étudiants de première année auront accès à ces Blended courses.

BUSINESSMAG. Maurice ambitionne de devenir une économie à revenu élevé. Comment l’Université de Maurice accompagnera le pays dans son développement économique pour les quinze années à venir ?

L’UoM, qui a été fondée en 1965, est une émanation du College of Agriculture qui date de 1914. Tout au long de ces 50 ans d’histoire, l’UoM a toujours accompagné le pays dans son développement socio-économique. Pour preuve, quand Maurice a fait sa transition d’une économie agricole pour embrasser l’industrialisation, l’UoM a fondé le School of Engineering et celle d’Industrial Technology.

Quand le pays a poursuivi sa transition vers la finance et l’offshore, la School of Mana-gement & Law a été créée. De même, quand les autorités ont positionné le secteur des Tic comme un des piliers de l’économie, nous avons mis sur pied le département IT, qui est d’ailleurs aujourd’hui aussi important que nos autres facultés. L’année dernière, nous avons inauguré la faculté océanique pour répondre aux besoins de l’économie bleue. Ainsi, l’UoM joue un rôle primordial dans le développement du pays. Nous avons formé des ingénieurs, des médecins, des avocats, des scientifiques, des sociologues… Nous continuerons, bien évidemment, cette démarche.

Vision 2030 aborde le développement de divers secteurs clés, dont l’océan, le port, la marine, les services financiers, les Tic-BPO et la santé. Il est question aussi de se positionner sur l’Afrique. L’UoM dispose d’un nouveau plan stratégique, lequel a été rédigé l’année dernière et approuvé cette année. Ce plan concerne les six prochaines années. Il comprend six directions stratégiques. L’une d’elle concerne l’internalisation où il est question de créer une Asia-Africa Knowledge Platform qui d’ailleurs coïncide avec un des axes de la Vision 2030 du gouvernement qui veut que Maurice devienne une passerelle entre l’Asie et l’Afrique.

Concernant l’économie bleue, l’UoM s’est bien positionnée pour apporter sa contribution au développement de ce secteur en créant une faculté océanique.

BUSINESSMAG. Dans le concret, comment l’UoM apporte-t-elle son soutien au gouvernement ?

Notre mission est de former les étudiants pour qu’ils puissent aller travailler dans les secteurs qui vont être développés conformément au plan d’action Vision 2030.

Actuellement, nous sommes en processus de révision de nos cours et essayons d’en développer de nouveaux. Par exemple, nous proposerons prochainement des cours touchant à l’entrepreneuriat, l’innovation et au nursing. Nous voulons être sûrs que tous les étudiants que nous formons seront employables après leurs études. Il ne faut pas oublier que ces étudiants vont être employés dans des secteurs qui sont censés apporter de la croissance au pays. Notre staff académique est sollicité dans les comités du gouvernement. Par exemple, je suis moi-même membre du National Ocean Council. Au sein de notre personnel, certains sont membres du Board of Investment et de différents comités dans le domaine de l’environnement, de l’énergie et de l’agriculture. Nous avons également des représentants au sein des comités sur la Smart agriculture et la Smart city.

Quand le gouvernement met sur pied un comité, un des membres doit obligatoirement être représentant de l’UoM. Nous avons aussi été sollicités pour la requalification des gradués-chômeurs. Dans ce cas, nous avons développé 27 programmes pour rééduquer les gradués-chômeurs. Nous sommes en discussion avec la Tertiary Education Commission, le ministère de l’Éducation et le ministère de l’Emploi pour concevoir des cours.

BUSINESSMAG. La recherche est synonyme d’innovation. Elle est primordiale pour l’avenir du pays. Quelle est la contribution de l’UoM dans ce domaine ?

Les recherches menées par l’UoM sont méconnues. Actuellement, nous comptons 180 étudiants en PhD. Nous avons effectué un sondage portant sur les cinq dernières années, qui révèle que 2 000 publications sur les recherches de nos étudiants sont apparues dans les journaux internationaux. Nous avons un groupe de Computation chemistry avec des chercheurs qui sont dans le Top 30 mondial. Concernant la recherche dans le tourisme, nous avons deux chercheurs. L’un d’eux a été récemment primé parmi les cinquante premiers au monde dans ce domaine. Je compte personnellement 20 ans de recherche dans la valorisation des déchets et de l’environnement. Ces recherches ont été utilisées à l’international.

L’UoM organise tous les ans des conférences internationales avec la collaboration de chercheurs de renom. La dernière en date est la conférence axée sur le Finance & Accounting où nous avons accueilli des chercheurs de 24 pays.

BUSINESSMAG. Quelles sont les actions qui sont entreprises au niveau de l’UoM pour que ces recherches soient connues ?

Il est impératif de faire connaître les recherches qui sont entreprises à l’UoM. Par le biais de notre Doctors School, nous comptons rendre ces recherches publiques. De plus, nous avons récemment mis en place le Knowledge Transfer Office, afin que ces recherches puissent être utilisées par les décideurs.

Nos étudiants font beaucoup de recherches appliquées. Nous développons des produits novateurs.Bref, nous sommes porteurs d’idées.

Pendant fort longtemps, l’UoM a été une Developmental university. Aujourd’hui, nous voulons nous positionner comme une Research lead university. Pour y arriver, nous devons avoir plus de Research centers of excellence, ce qui nécessitera des fonds. Il faut investir dans les laboratoires, le personnel, les échanges avec les autres universités et inviter les chercheurs internationaux. Nous invitons déjà une quinzaine de chercheurs internationaux par an. Il faut faire mieux.

Notre plus grand défi demeure les fonds. Le budget annuel de l’UoM est d’environ Rs 900 millions et l’État nous finance à hauteur d’à peu près Rs 500 millions. Le reste est financé par nous-mêmes à travers les frais d’études, nos services de consultant et nos recherches. Pendant trois ans, nous n’avons pas augmenté les frais d’études. Parallèlement, nous avons démarré de nouveaux cours, créé une faculté, de nouveaux laboratoires, fait l’acquisition d’équipements. Pour pouvoir développer tous les projets contenus dans le plan stratégique, nous avons besoin d’investissements conséquents. D’où notre rapprochement avec le secteur privé. S’il est vrai que le secteur privé finance nos recherches, nous avons toutefois besoin de financements plus importants et de subventions additionnelles du gouvernement.

BUSINESSMAG. La qualité de l’enseignement à l’UoM est souvent pointée du doigt. Qui plus est, le fait que l’institution est à la traîne dans les classements mondiaux n’améliore pas son image. Vos commentaires ?

Je ne suis pas d’accord avec cette critique. Au niveau de la qualité de l’enseignement à l’UoM, il faut savoir que nous avons des systèmes très rigoureux. D’abord, il y a un système de Quality assurers, lequel a été validé depuis des années. Nous disposons également d’un système de modération pour tous les papiers d’examens. De plus, chaque année, nous recevons une trentaine, voire une cinquantaine d’External examiners qui valident nos cours, notre qualité académique. Pour preuve, l’année dernière, la majorité des External examiners ont qualifié nos cours comme étant au-dessus de la moyenne. Nous avons aussi été confrontés à des External audits.

En 2005, nous avons entrepris un premier Cycle quality audit qui a été commandité par la TEC et mené par des professeurs internationaux. Nous avons fait un deuxième Cycle quality audit en 2012. Et cette année, il y a eu la visite de la Quality Assurance Agency du Royaume-Uni, qui a validé la qualité de notre enseignement. En ingénierie, nous travaillons sur l’obtention d’une  International Accreditation avec des cours dans ce domaine. C’est un processus qui prend trois ans. Pour cela, les professionnels du secteur, soit ceux de l’Engineering Council of South Africa (ECSA) revoient nos cours d’ingénierie. Par ailleurs, depuis que j’ai été nommée vice-chancelière, une de mes priorités a été de renforcer les compétences de nos enseignants, afin de dispenser des cours de qualité. Le Commonwealth of Learning Canada nous a apporté son soutien en formant nos enseignants et en effec-tuant des Quality audits pour les universités.

S’agissant du classement de l’UoM, je vous avouerais que c’est très compliqué. Les agences de notation, à l’instar du Times Higher Education et du Shanghai Ranking exigent des critères auxquels nous ne pouvons répondre. Ainsi, par exemple, le Times Higher Education demande ceci : des fonds dont dispose l’université et la somme accordée à la recherche. Or, nous sommes tributaires des subventions accordées par le gouvernement. Quant au Shanghai Ranking, il demande le nombre de prix Nobel qu’on a remporté, le nombre de professeurs internationaux que nous employons et ayant obtenu des prix à l’étranger. Ou encore le nombre d’étudiants étrangers que nous accueillons. D’autres nous demandent combien de campus résidentiels nous disposons. Vu que nous ne pouvons satisfaire tous ces critères, nous nous retrouvons au bas du classement.

Il y a aussi un classement basé sur la présence de l’université sur la Toile. Nous sommes passés de la 88e à la 63e position dans ce classement. Nous faisons beaucoup d’efforts pour avoir un bon site web. De plus, nous encourageons les étudiants à utiliser davantage les réseaux sociaux.

Par ailleurs, l’année dernière, nous avons collaboré avec la TEC pour un Internal ranking à Maurice.

BUSINESSMAG. Quelle sera votre stratégie pour insuffler un nouveau dynamisme à l’UoM ?

À l’avenir, l’UoM se concentrera davantage sur l’obtention des accréditations professionnelles et internationales. Nous voulons que nos étudiants puissent aussi exercer dans d’autres pays. Depuis ma nomination, j’ai développé des joint-courses. Nous allons établir un joint-course avec l’université de Canberra en Sport science. Les étudiants suivront le cours pendant deux ans à Maurice et un an à Canberra. Nous travaillons aussi avec la Birmingham City University dans l’optique d’un Joint nursing course. L’intérêt de cette formation est que l’étudiant aura la possibilité de travailler en Angleterre.

Nous avons lancé, le 2 septembre, un MBA en Innovation & Leadership en partenariat avec un groupe australien, DUCER. La partie théorique est assurée par l’UoM. La seconde partie de la formation se fera au sein des industries. Toujours avec DUCER, nous nous penchons sur un autre cours : le One million entrepreneurship degree pour la région africaine. L’UoM en est le partenaire privilégié. Grâce à ce programme d’études, l’étudiant sera en mesure de bâtir sa propre entreprise. Il s’agit d’un BSc en entrepreneuriat que nous entamerons probablement l’année prochaine.

BUSINESSMAG. N’est-il pas temps pour l’UoM de se réinventer pour être au diapason de l’évolution du pays ?

Bien sûr ! C’est pour cela que nous sommes venus de l’avant avec un nouveau plan stratégique. Nous ne répondrons pas uniquement aux besoins du pays, mais aussi à ceux de la communauté internationale. Ce plan stratégique comprend six principaux axes, dont l’employabilité.

Pour améliorer l’employabilité, l’UoM a décidé d’organiser plusieurs activités, à l’instar du récent salon de l’emploi où l’on a accueilli des représentants des secteurs privé et public qui sont venus discuter avec nos gradués. L’année dernière, j’ai organisé un Employability workshop. Nous recevons, par ailleurs, des demandes de la Chine, de l’Australie, de l’Inde pour aller vers l’Afrique.

Avec la faculté océanique, nous avons conclu des accords de principe avec l’université d’Aberdeen, au Royaume-Uni. Nous avons également conçu un cours de Continuing Professional Development en Oil & Gas Enterprise Management en mai dernier. Nous désirons conclure des partenariats à l’international pour notre faculté océanique. À ce jour, nous avons des partenariats avec l’Ocean Institute de l’université de Western Australia ou encore avec l’Afrique du Sud sur l’Ocean Governance, avec l’Inde pour le Coastal Engineering. Nous avons aussi le Sustainable comity engagement.

BUSINESSMAG. Ces dernières années, le secteur privé n’a eu de cesse de mettre en exergue le décalage entre les compétences académiques et les besoins du marché du travail. Pourra-t-on résoudre ce problème ?

Je ne pense pas qu’il y ait un déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché de l’emploi. Il faut bien cerner le mandat de l’UoM et celui de l’industrie. À l’UoM, nous avons toujours été à l’écoute du secteur privé, avec lequel nous collaborons. Par exemple, nous avons un Advisory Council où avant d’entamer un cours nous faisons appel au secteur privé. Le but est de savoir si ce cours répond aux besoins des industries locales. Pendant le cursus, les étudiants sont placés dans ces industries. Ainsi, les ingénieurs sont placés pendant six mois dans l’industrie. Pour les autres étudiants, la période de placement est d’un à trois mois. En sus, nous avons 800 part-timers du secteur privé qui dispensent des cours à l’UoM.

Nous avons également un système de Consultative committee, qui réunit les membres de l’UoM et nos partenaires de l’industrie. Nous nous réunissons tous les trois mois pour cerner leurs attentes. Je ne crois pas dans ce déséquilibre car le mandat de l’UoM est de former les étudiants à réfléchir, à leur inculquer les connaissances de base. Quand nous démarrons un cours, c’est un contrat que nous signons avec l’étudiant. Nous sommes obligés de suivre à la lettre le cursus.

C’est dans le secteur des Tic que ce problème de mismatch est le plus présent. Or, c’est une industrie qui change tous les six mois. Cela dit, je pense que les industries ont également un rôle à jouer. Elles doivent recycler leurs employés. Cela se fait dans d’autres pays.

À la faculté de l’Agriculture, on a introduit le six months within the industry. Ce programme permet aux étudiants d’être au contact des nouvelles technologies utilisées dans les industries.

Nous avons également élaboré des Dual Courses.Cela suite à la demande du gouvernement. La formation est comme suit : six mois à l’université et six mois au sein de l’industrie.

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