Type to search

En couverture

Rundheersing Bheenick : « Les ménages vivant sous le seuil de pauvreté en hausse »

Share
Rundheersing Bheenick : « Les ménages vivant sous le seuil de pauvreté en hausse » | business-magazine.mu

Reconduit pour un nouveau mandat de trois ans à la tête de la Banque de Maurice, Rundheersing Bheenick ne compte pas changer de cap. De la stabilité monétaire et financière dépend la stabilité sociale, insiste-t-il. Il s’est confié en exclusivité à Business Magazine.

BUSINESSMAG. Votre mandat vient d’être renouvelé pour une période de trois ans. Dans quel état d’esprit abordez-vous cette nouvelle période à la tête de la Banque de Maurice ?

Le Premier ministre a jugé bon de me donner un troisième mandat en tant que Gouverneur de la Banque centrale. Je ressens vivement le besoin d’être à la hauteur de la confiance qu’il a placée en moi et en même temps, je jauge sans complaisance la responsabilité qui m’en incombe. Cela dit, durant les six dernières années que j’ai passées à la Banque de Maurice, je pense que l’organisme a beaucoup progressé. J’ai le sentiment du devoir accompli surtout quand je me réfère aux nombreuses reconnaissances internationales qui nous ont été attribuées. Tout cela dans une période délicate avec la crise financière mondiale sans précédent suivie de la crise de la zone euro, comme toile de fond. à l’intérieur même de la Banque, j’ai eu à faire face à une succession de crises tant au niveau des syndicats du personnel qu’au niveau du conseil d’administration de la Banque. Je crois que la Banque centrale répond de plus en plus aux besoins actuels du pays.

À l’aube de mon troisième mandat comme Gouverneur de la Banque de Maurice et au crépuscule de ma carrière, je me sens revitalisé pour donner le meilleur de moi-même, afin de faire progresser davantage l’institution et accroître le bien-être économique de la population.

BUSINESSMAG. Est-ce qu’un changement de cap est possible ?

L’inflation demeure toujours la priorité des priorités pour la Banque centrale.  N’oubliez pas que le taux directeur, qui fait couler autant d’encre, n’est qu’un instrument parmi d’autres. La meilleure contribution qu’une banque centrale peut faire au développement de son pays est d’assurer la stabilité macroéconomique et financière. Les théoriciens vous diront qu’à long terme, la politique monétaire a un effet neutre.

BUSINESSMAG. Comment expliquez-vous le fait d’avoir été mis en minorité à deux reprises par le comité de politique monétaire ? Sur quoi portent les divergences ?

Il ne faut pas avoir d’état d’âme sur le fait de se retrouver en minorité au sein du comité de politique monétaire (CPM). C’est une situation dans laquelle d’autres Gouverneurs se sont retrouvés à maintes reprises avant moi : sir Mervyn King de la Bank of England, par exemple.

La position de chaque membre au sein du CPM est une décision individuelle. Le Code of Conductdes membres du comité stipule clairement que ces derniers doivent « uphold the benefits to the overall economy as the ultimate goal. » Ils doivent par ailleurs être « honest, objective and impartial in the performance of their duties.» Ou encore sont tenus de : «not seek or take instructions from government or any organization that they belong to, nor shall they act as delegates or representatives of any interest groups or industry in the discharge of their duties.»

Comme je l’ai fait remarquer à la conférence de presse au lendemain de la réunion du CPM, il y avait deux écoles de pensée.  L’une prônait une approche plus prudente vis-à-vis des risques inflationnistes surtout avec la hausse des salaires dans la foulée des derniers rapports PRB 1 et PRB 2 et les possibles retombées sur les revendications salariales du secteur privé. L’autre prônait la relance de la croissance vu que l’économie mondiale s’était détériorée. 

Cela n’a pas été une décision simple ou instantanée. Il y a eu des hésitations avant qu’on n’arrive à une décision finale. Mais je crois que la représentation faite par le Secrétaire financier a pesé lourd dans la balance. C’est une décision qui a surpris le marché et rendu certaines personnes perplexes. Je compte parmi ces dernières.

J’estime qu’en théorie, dans un environnement où toutes les conditions sont réunies et les acteurs se comportent en agents autonomes, des divergences au sein du comité démontrent une situation saine où la décision est prise de manière indépendante, sans parti pris en se basant simplement sur les dernières données économiques, les perspectives d’avenir et l’appréciation des uns et des autres. D’où l’idée même de la création d’un CPM qui était de donner une certaine indépendance et objectivité à la prise de décision, au lieu de laisser la décision au seul Gouverneur et ses collègues comme cela se faisait avant le lancement du CPM en avril 2007.

Lors de la réunion de juin 2013, la divergence est venue principalement de l’appréciation des données économiques et de ce qui pourrait se passer dans les prochains mois.

Notre appréciation du côté de la Banque de Maurice est qu’avec le PRB 1 et PRB 2, la consommation tout comme les revendications salariales dans d’autres secteurs de l’économie allaient accélérer. Bien qu’il y ait eu des divergences sur les prévisions d’inflation pour décembre 2013, il y avait unanimité sur la tendance à la hausse. Il nous fallait donc agir d’une part, pour contenir la consommation et encourager l’épargne et, d’autre part, pour contenir les risques inflationnistes à l’horizon 2013. Nous étions nous aussi préoccupés par la croissance. C’est pour cela que nous avions proposé une augmentation de seulement 10 points de base. Cela n’aurait peut-être eu aucun effet sur la croissance, mais aurait préparé les opérateurs économiques à mieux gérer l’impact du PRB 1 et PRB 2 et donnerait un coup de pouce à l’épargne qui est en chute libre depuis que le taux d’intérêt réel est négatif. Ce qui est le cas depuis août 2011. 

Je vois mal comment la baisse de 25 points de base aiderait à relancer la croissance.  Nous en avions fait l’expérience dans un passé pas trop lointain (septembre 2010) où la baisse de 100 points de base n’avait eu aucun effet sur la croissance et l’emploi. Dans le dernier sondage de PluriConseil, il est fort intéressant de  noter que neuf analystes sur dix sont d’avis que la baisse de 25 points de base ne relancerait pas la croissance, alors que 70 % craignent la chute accrue de l’épargne. D’autant plus que dans une période de crise, ce sont surtout les mesures non conventionnelles telles que la Special Line of Credit in Foreign Currency, que la Banque avait introduite l’année dernière, qui marchent le mieux pour soutenir les variables économiques du Supply Side. D’ailleurs, le ministère des Finances nous a emboîté le pas en proposant récemment une ligne de crédit en devises pour les institutions de crédit-bail.

BUSINESSMAG. Est-ce si difficile de regarder dans la même direction au sein du comité de politique monétaire ?

Je crois que j’ai déjà répondu à votre question. Ce qui importe, c’est que le comité soit à la hauteur de la tâche qui lui incombe.

BUSINESSMAG. Nous avons terminé la première partie de l’année avec une inflation de 3,6 %. êtes-vous toujours inquiet d’une résurgence des pressions inflationnistes ?

Plusieurs facteurs expliquent cela, dont la politique monétaire menée jusqu’ici qui a contribué à contenir les risques inflationnistes et à bien ancrer les anticipations d’inflation. J’ouvre une parenthèse pour rejeter totalement la thèse selon laquelle le CPM a perdu de sa crédibilité, du moins jusqu’à la toute dernière décision que je trouve inexplicable. C’est bel et bien la politique prônée par ce comité, accompagnée de mesures d’appoint de la Banque centrale sur d’autres fronts (Cash Reserve Ratio, Foreign Exchange Exposure Limits, Public Debt Holdings Limits), qui ont fait l’inflation en glissement sur un an chuter de 11,9 % en décembre 2006 à 0,1 % en octobre 2009, le niveau le plus bas depuis plus de deux décennies. Il faut aussi savoir qu’une récente étude de la Chambre de Commerce et de l’Industrie démontre qu’à cause de la crise, plusieurs entreprises continuent de reporter la hausse potentielle de leurs prix. Il faut également tenir en ligne de compte que si au niveau global, les politiques monétaires sont largement accommodantes, sur le local nous avons eu le PRB 1 et PRB 2, une certaine dépréciation de la roupie, surtout vis-à-vis du dollar (la devise majeure de nos importations). Donc, les risques inflationnistes sont bel et bien présents. Avec l’inflation, il nous faut rester prudent car elle peut nous surprendre et dans la conjoncture actuelle, il ne serait pas souhaitable d’avoir à augmenter le taux d’intérêt de manière brusque. Il faut préparer les différentes parties concernées pour éviter toute Policy Surprise qui peut être nuisible. Dans la conjoncture actuelle, imaginez qu’après la baisse du Repo Rate, les risques inflationnistes se matérialisent et que l’inflation nous surprenne. Nous allons peut-être alors devoir brusquement augmenter le Repo Rate. Une telle décision donnerait la perception que le comité est erratique et manque de prévoyance. Les entreprises seront moins aptes à prendre des risques pour investir puisqu’il y aura un manque de cohérence dans la conduite de la politique monétaire. Et cela serait néfaste pour l’économie. Il ne faut pas oublier que la stabilité financière et monétaire est aussi responsable de la stabilité sociale. Une politique monétaire laxiste qui tond davantage les plus démunis inciterait ces derniers à descendre dans la rue pour chercher réparation. N’oublions pas qu’autour de nous, il y a eu un mouvement de citoyens avec le Printemps Arabe et plus près de nous, la révolte des syndicats en Afrique du Sud. La politique monétaire est une arme à double tranchant qu’il nous faut savoir utiliser à bon escient.

BUSINESSMAG. Justement quelle lecture faites-vous du dernier Household Budget Survey plus particulièrement du panier des ménages ?

Si on analyse les trois derniers Household Budget Surveys qui sont publiés tous les cinq ans, nous constatons que la proportion des ménages vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté. Au cours de la dernière décennie, l’écart s’est creusé. La proportion des ménages vivant sous le seuil de la pauvreté est passée de 6,4 % en 2001 / 02 pour passer à 9,4 % en 2012, une détérioration qui est bien reflétée par le Gini Coefficient qui est passé de 0,371 en 2001 / 02 à 0,413 en 2012. Le Gini Coefficient est une mesure, dans la fourchette de 0 à 1, de l’inégalité de revenus. Le 0 représente l’égalité totale et le 1 l’inégalité absolue. Cette détérioration, à mon avis, n’a jamais été aussi mauvaise.

S’agissant du panier des ménages, le poids des items Food and Non-alcoholic Beverages et Transport a diminué tandis que celui des items Education et Health a connu une hausse. En conséquence, le panier des ménages représente de plus en plus la classe moyenne et de moins en moins les pauvres. Il va sans dire que l’incidence de l’inflation sur les pauvres est plus importante que celle sur la classe moyenne. Le fait que nous ayons plus de pauvres et que le panier des ménages soit moins représentatif des pauvres, il faut être davantage plus prudent avec l’inflation et la politique monétaire par ricochet.

BUSINESSMAG. Ailleurs, les autorités monétaires ont apporté leur soutien à la croissance. Pourquoi insistez-vous que dans le cas de Maurice une détente monétaire n’aura pas d’impact sur le taux de croissance ?

Je crois que vous faites erreur sur deux points : premièrement, il n’y a pas d’opposition entre la croissance  et l’inflation, et deuxièmement nous avons aussi prôné une politique de détente monétaire prudente – il y a eu une baisse soutenue du Repo Rate de 9,25 % en juillet 2007 à 5,75 % en juin 2010, alors que l’inflation baissait en parallèle. J’insiste qu’il ne faut pas focaliser sur le Nominal GDP Growth mais sur le Real GDP Growth, c’est-à-dire, la croissance nette d’inflation. Je maintiens que la meilleure contribution qu’une Banque centrale comme la nôtre peut faire à la croissance est la stabilité macroéconomique et financière. La stabilité financière va de pair avec la stabilité fiscale. Sans cette stabilité, point de croissance soutenable, équitable et inclusive. Pour notre type d’économie, notre politique monétaire est très accommodante.

Je m’explique. Certaines personnes croient que parce que plusieurs pays avancés ont rabaissé leur Policy Rate jusqu’à zéro ou presque, nous pouvons nous permettre encore de réduire notre Repo Rate. Il faut comprendre que beaucoup de ces pays ont une moyenne d’inflation de moins de 2 %  – dans certains cas sont en déflation comme au Japon – et ont des marchés financiers plus souples qui rendent la conduite de la politique monétaire plus efficace. La réalité à Maurice est tout autre. Nous avons eu pendant plusieurs décennies une inflation moyenne de 6 % et nos marchés financiers ne sont pas assez sophistiqués pour espérer que la politique monétaire apporte une correction rapide. Si nous ramenons le Repo Rate à un niveau trop bas et la maintenons à ce niveau pendant trop longtemps, il y aura deux effets.  Premièrement, nous allons encourager une consommation effrénée accompagnée de Malinvestment et de fièvre spéculative, au détriment de l’épargne nationale qui est déjà à un niveau historiquement bas. Deuxièmement, cela nous mènera tout droit à une crise de la balance des paiements du même type que la Grèce avec la troïka. Ce n’est pas le genre d’avenir que nous à la Banque souhaiterions léguer à nos concitoyens. Je ne vois pas comment une augmentation de la croissance non-soutenable peut nous sortir de cet engrenage. Je maintiens qu’il nous faut une croissance soutenable, équitable et inclusive. Cette logique est renforcée à la lumière de la détérioration du Gini Coefficient que nous venons d’évoquer plus haut.

BUSINESSMAG. Après avoir pris connaissance des dernières données statistiques, maintenez-vous les prévisions de croissance de la BoM pour 2013 ?

D’après les estimations de la Banque, nous prévoyons une croissance dans une fourchette de 3,2 % à 3,7 % pour 2013, ce qui n’est pas loin des prévisions que Statistics Mauritius avance. Valeur du jour, il n’y a aucune raison de revisiter cette fourchette dans quelque direction que ce soit.

BUSINESSMAG. Pourtant, le ministère des Finances ne semble pas partager votre optimisme sur la croissance. D’ailleurs, vous avez eu l’occasion de suivre l’exposé du Secrétaire financier lors de la dernière réunion du CPM.

Je ne suis certainement pas optimiste, mais plutôt un réaliste prudent. Il ne faut pas que nous tombions dans la facilité de croire que ce qui marche ailleurs marchera obligatoirement ici. L’économie mauricienne a ses spécificités et les solutions doivent être taillées sur mesure pour une petite économie complètement ouverte et dépendante de l’extérieur tant pour l’énergie que pour les denrées alimentaires. Une dépréciation de la monnaie, telle suivie par le Vietnam et le Bangladesh, pour venir à la rescousse des exportateurs et qui trouve écho à Maurice aux Finances, ressemblerait à une taxe des plus régressives faisant porter la casquette aux pauvres et à d’autres au bas de l’échelle, d’une façon grossièrement injuste. Cela relève d’une responsabilité fiscale. Et toute Banque centrale qui se respecte préférerait que des décisions de ce genre et de telle envergure soient prises par les autorités fiscales.

Le Secrétaire financier pense pouvoir contenir les pertes d’emploi avec la baisse du Repo Rate. Je ne partage pas l’avis du Secrétaire financier sur ce point et sur plusieurs autres points qu’il a évoqués lors de son passage au CPM. La crise globale qui perdure a certes compliqué les choses. Les entreprises préfèrent attendre avant d’embaucher. Mais force est de constater que l’économie continue de générer des emplois dans plusieurs secteurs. Même dans le secteur du textile qui est utilisé très souvent ou même trop souvent pour donner l’impression que tout va mal, les offres d’emplois sont bel et bien présentes. Le problème du chômage actuel est surtout un problème structurel. Le Mismatch entre l’offre et la demande d’emplois fait qu’il y a un nombre d’entrants sur le marché du travail qui n’arrive pas à se faire embaucher alors que les offres d’emplois persistent. Ce n’est pas la politique monétaire qui pourra résoudre cela.

Je le répète : la politique monétaire ne peut être un outil pour rectifier ce qui n’a pas marché ailleurs. Le taux d’intérêt est une variable économique trop importante qui influence plusieurs activités économiques dont la consommation et l’investissement. Je souhaiterais vivement qu’on enterre ce débat futile et stérile qui oppose la croissance à l’inflation, transformé à Maurice en une bataille rangée entre la Banque centrale et les Finances et consorts.

BUSINESSMAG. Quels sont donc les obstacles à la progression de l’économie mauricienne?

Il nous faut beaucoup apprendre des Japonais, pour qui, Work is Worship. Il nous faut plus de productivité et de compétitivité réelles. Il nous faut poursuivre les réformes structurelles et revoir notre Modus Operandi à plusieurs niveaux. Malgré plusieurs décisions annoncées surtout au niveau des gros projets d’infrastructure, il y a toujours un problème au niveau de leur mise en œuvre. Il faudra voir ce qui ne marche pas et même tout changer s’il le faut pour aller beaucoup plus vite. Il faut une approche holistique, un plan à long terme de concert avec toutes les parties concernées de l’économie, surtout avec le secteur privé.

Dans le dernier discours programme 2012-2015 du gouvernement, on avait annoncé la mise en place d’une National Strategic Transformation Commission, qui se fait toujours attendre et qui a été omise à travers plusieurs budgets. Je crois sincèrement que nous courons le risque non seulement de nous faire rattraper par nos pairs africains, mais aussi de nous faire devancer si on ne réfléchit pas sérieusement à un profond re-engineering de notre économie. La stratégie qui formule que les Finances englobent le ministère du Plan n’a malheureusement pas fonctionné. Il est temps de changer de fusil d’épaule. Et je note qu’il y a plusieurs voix qui demandent qu’on bouge dans cette direction.

BUSINESSMAG. Dans le Budget 2012, le gouvernement avait annoncé qu’il allait conférer à la BoM plus de pouvoir pour exercer un meilleur contrôle sur les frais bancaires. Où en sont les choses ?

Je vous fais remarquer que le pouvoir de réglementer les frais bancaires faisait déjà partie de la législation bancaire bien avant le Budget 2012. Les amendements apportés à la législation bancaire en décembre dernier apportent, en fait, plus de clarification et de précision quant au champ d’action de la Banque centrale dans ce domaine. C’est un amendement qui est tout à fait en ligne avec notre politique visant à protéger les droits des consommateurs. Je vous rappelle également que, bien avant cet amendement, la Banque avait déjà mis en place un groupe de travail chargé d’examiner les clauses défavorables aux consommateurs et clients des services financiers dans les contrats financiers. 

Un des volets de travail de ce groupe consiste à étudier les redevances et impositions, y compris les commissions perçues par les institutions financières. En effet, plusieurs des plaintes que nous avons reçues au niveau du groupe de travail ont trait aux frais bancaires que les plaignants estiment trop onéreux. C’est un travail long et complexe qui demande une certaine expertise. Nous avons ainsi mis en place un sous-comité technique pour étudier la question et faire des recommandations. La Banque, à la lumière de ces recommandations, prendra une décision sur le plafonnement des frais et charges bancaires.

Depuis novembre 2008, la Banque centrale a exigé que les listes des frais bancaires soient affichées sur les sites web des banques et soient accessibles à partir du site web de la Banque centrale. Nous avons insisté pour que les CAMEL Ratings de nos banques soient rendus publics depuis juin 2011. Je crois comprendre que nous sommes le premier pays en Afrique à le faire. Nous avons aussi exigé la mise en place d’un Consumer Complaints Desk dans chaque banque. Nous avons un comptoir identique à la Banque centrale, toujours dans le souci de mieux informer les clients des banques. Je ne parle pas des changements au niveau de la bonne gouvernance. Nous sommes très soucieux de maintenir nos banques dans un Customer-friendly mode tout en assurant leur solvabilité.

BUSINESSMAG. Vous avez fait état de votre inquiétude par rapport au niveau d’endettement de certains secteurs. Quels sont les risques qui y sont associés ?

Les secteurs du tourisme et de la construction représentent plus de 40 % de crédit bancaire alloué au secteur privé. Ces deux secteurs passent actuellement par une mauvaise phase qui pourrait avoir une incidence sur la capacité de remboursement de leurs dettes. Le niveau des crédits impayés pourrait se détériorer avec des répercussions négatives sur la qualité des actifs des banques. Ces dernières doivent donc renforcer leur vigilance face à ces secteurs pour éviter des pertes potentielles.  La Banque a émis récemment un Consultation Paper préconisant un certain nombre de normes macro-prudentielles pour mieux protéger le secteur bancaire contre de tels risques. Ces normes visent à juguler une certaine exubérance qu’on a décelée dans l’octroi de prêts au secteur de la construction qui semble avoir bénéficié des spéculations plus qu’autre chose.  Nous ne voudrions pas financer une bulle spéculative parce que la suite risque d’être amère, pas seulement pour les banques, mais pour toute la population qui dépend du crédit bancaire pour financer ses activités économiques. Des taux d’intérêt trop bas alimentent ce genre de spéculation d’un côté et de l’autre, détournent l’épargne vers les régimes non-réglementés risqués qui offrent des rendements plus élevés, le retour sur les dépôts bancaires étant trop minime pour combattre les effets inflationnistes. Par conséquent, la Banque demeure prudente vis-à-vis de ce genre de développement. Cela m’amène à l’esprit la belle formule attribuée à un ancien président de la Federal Reserve Bank (FED) selon laquelle c’est le rôle du Gouverneur de la FED «to take away the punch bowl as the party gets going». La fête bat son plein dans le secteur du tourisme et la construction et il y aura toujours des personnes qui diront : « Que la fête continue et to hell with the consequences ». Mais justement, la Banque centrale dit que c’est le moment de prendre les mesures nécessaires car elle, elle se soucie des conséquences.

BUSINESSMAG. Nous avons assisté à plusieurs interventions de la Banque centrale sur le marché des changes depuis le début de l’année. Comment se porte la roupie ?

La roupie se porte bien. D’après les dernières analyses du Fonds monétaire International, rendues publiques en avril, la roupie reflétait les fondamentaux économiques du pays. Depuis, le dollar a grimpé tandis que l’euro a chuté pour des raisons propres à eux. La roupie s’est légèrement ajustée face à ces nouvelles données. La roupie continue donc de refléter les fondamentaux économiques du pays.

Nos interventions sur le marché des changes sont faites en vue de poursuivre notre programme d’Operation Reserve Reconstitution (ORR) lancé en juin 2012, dans le but d’augmenter nos réserves et, dans certain cas, pour corriger les volatilités excessives du taux de change. 

Mais l’ORR ne peut être poursuivi ad vitam aeternam. Les effets sur notre bilan se font déjà sentir. Je vous rappelle qu’à la récente réunion des ministres des Finances et des Gouverneurs des banques centrales du G20 les 19 et 20 juillet 2013, ces derniers ont réaffirmé «…que la volatilité excessive des flux financiers et des mouvements désordonnés des taux de change ont des implications néfastes pour la stabilité économique et financière. Des politiques macroéconomiques saines et des cadres prudentiels solides aideront à remédier toute la volatilité potentielle. »

Les banques centrales des grands pays ont été encouragées à suivre des régimes de change davantage liés au marché, à accroître la flexibilité des taux de change pour refléter les fondamentaux économiques sous-jacents, à éviter les désalignements persistants des taux de change et à s’abstenir de procéder à des dévaluations compétitives des monnaies. Le Mauricien lambda sera surpris d’apprendre que sa Banque centrale à lui fait déjà ces choses depuis cinq ans déjà et qu’elle se fait taper sur les doigts pour autant.

Tags:

You Might also Like