Type to search

Autres Entreprendre

Savoir-faire mauricien : l’industrie locale construit sa réputation

Share
Savoir-faire mauricien : l’industrie locale construit  sa réputation | business-magazine.mu

Les articles d’habillement et accessoires, le poisson et les préparations à base de poisson, le sucre de canne, les perles et pierres précieuses et semi-précieuses, comme les prestations hôtelières et touristiques, symbolisent à l’étranger le savoir-faire et les acquis manufacturiers mauriciens. Pour autant, la perception et l’adhésion des consommateurs mauriciens aux produits manufacturés localement ont-elles évolué ?

Quel est l’accueil des produits faits à Maurice auprès de la clientèle domestique, régionale, voire internationale ? Quelles sont les stratégies de communication et de vente que proposent les entreprises locales pour faire la différence ? Et quelle valeur ajoutée apportent-elles ? Le label Made in Moris a-t-il donné une image améliorée des produits fabriqués par des entreprises manufacturières mauriciennes ?

En termes de produits Made in Mauritius les plus prisés pour l’exportation, ce sont les articles d’habillement et les accessoires, le poisson et les préparations à base de poisson, le sucre de canne, les perles, pierres précieuses et semi-précieuses qui tiennent le haut du pavé. De 2014 à 2016, selon les chiffres se rapportant au commerce extérieur publiés par Statistics Mauritius, ces catégories de produits sont le plus exportées, avec notamment Rs 49,91 milliards sur une valeur totale de Rs 81,17 milliards en 2014, Rs 46,37 milliards sur Rs 58,97 milliards en 2015, et Rs 43,61 milliards sur Rs 55,92 milliards. Ainsi, ces produits s’illustrent comme les porte-drapeaux du savoir-faire mauricien, un peu comme les prestations hôtelières dans le domaine des services.

Quand l’on interroge justement les représentants des entreprises manufacturières locales sur le secteur d’activité économique qui symbolise le mieux le savoir-faire local et l’expertise mauricienne, les points de vue divergent. Dev Santchurn, directeur de Manisa, pense que c’est l’habillement, un point qui rejoint l’opinion de Tariq Sohawon, Managing Director de Polytol Paints : «Le secteur du textile représente le mieux le symbole du label de qualité ‘Made in Maurice’ car elle s’exporte très bien à travers le monde. Cette industrie a su se réinventer et s’adapter aux exigences du marché international qui deviennent de plus en plus accrues avec l’avènement du Brexit et la forte concurrence qui prédomine dans ce secteur à l’échelle mondiale». Par contre, à Moroil, l’on opte davantage pour le domaine de l’artisanat et de la création joaillière, alors que Christina Sam See Moi, Senior Manager - Commerciald’Innodis, penche pour quatre secteurs d’activité clés. «Plusieurs secteurs peuvent revendiquer ce droit, notamment le tourisme, l’industrie de la canne et l’industrie textile, pour ne citer que ceux-là, sans compter évidemment l’industrie du poulet, qui est quand même un des rares secteurs, sinon le seul secteur, où le pays est autosuffisant», soutient-elle.

La perception du consommateur

Depuis le lancement du label Made in Moris, quatre années de cela, le regard des consommateurs mauriciens a-t-il évolué positivement par rapport à l’image qu’ils ont des produits fabriqués à Maurice ? «D’après une récente étude, 80-85 % de personnes interrogées sont au courant du label Made in Moris. Tout porte à croire que peu à peu les consommateurs mauriciens s’habituent à cette nouvelle vague et avec le temps, elles finiront par adopter ces produits ou marques qui changeront possiblement leur mode de vie», souligne-t-on du côté de Moroil.

En tant que «fervent défenseur du mouvement Made in Moris», ajoute le porte-parole de la raffi-nerie d’huile comestible, Moroil se donne toutes les chances et demeure convaincue du bien-fondé du label. «Il ne faut pas oublier sa contribution à l’économie nationale, la valeur ajoutée ainsi que la création d’emplois qui en découle… D’ailleurs, le slogan en dit long : ‘Ena nu lamé ladan’»

Une observation que partage Christina Sam See Moi . Le label Made in Moris, étaye-t-elle, gagne du terrain. Le consommateur prend de plus en plus conscience de la qualité des produits fabriqués à Maurice ainsi que de l’importance d’encourager la production locale. «Le label aide aussi à réduire la dépendance du pays des importations et contribue à la création d’emplois», ajoute-t-elle.

Patrick Sénèque est, lui, plus nuancé quand il dit que cette «évolution» dans le comportement des acheteurs mauriciens envers le label Made in Moris pourrait être plus rapide «si le contexte s’y prêtait mieux». En cause ?
L’éternel problème de perception du produit mauricien. «À prix égal, le Mauricien aura tendance à privilégier le produit importé car il le considérera de facture supérieure (sinon comment pourrait-il être exporté ?). La fibre patriotique ne résonne pas encore très fort quand nous faisons nos courses. Les habitudes ont la vie dure», soutient-il.

Heureusement, poursuit-il, de plus en plus de consommateurs mauriciens semblent réaliser que le patriotisme équivaut aussi à «un effort conscient» dans son comportement d’achat de tous les jours pour étendre le rayonnement local du label. Cela n’est pas encore un réflexe ; il faut donc y travailler.

Comme le rappelle Christina Sam See Moi, outre la responsabilité de chaque citoyen de participer au rayonnement des produits manufacturés localement dans la région, le rayonnement international est une question de marketing pour le label Made in Moris.

Le label Made in Moris reconnu

Dans le secteur corporatif aussi, soutient Shirin Gunny, directrice et planificateur stratégique du Made in Moris, les industriels mauriciens s’intéressent davantage à ce label qui donne de  valeur ajoutée à leurs produits. «Nous avons débuté avec 11 membres fondateurs pour arriver à plus de 60 adhérents à ce jour, plus de 200 marques et plus de 2 500 produits. Aujourd’hui, près de 90 % des Mauriciens reconnaissent le label. L’industrie locale emploie et fait vivre des milliers de familles mauriciennes. Le label ne cesse de s’enrichir et inclut de nouveaux produits», indique-t-elle.

Le Made in Moris pèse-t-il plus ou moins lourd, ou a-t-il un impact, comme argument de vente, outil marketing, auprès de consommateurs locaux, régionaux, voire internationaux ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes, explique Shirin Gunny. «En 17 ans, le nombre de supermarchés et d’hypermarchés a augmenté de 307 % (155 en 2017 contre 38 en 2000), sur un total de
9 370 points de vente alimentaires (hypermarchés, supermarchés, supérettes, boutiques, tabagies, ‘cold storage’, etc.) Si tous ces points de vente sont autant d’occasions de choisir un produit fabriqué localement, le Made in Moris a un vrai rôle à jouer auprès des consommateurs Mauriciens. À qualité égale et à prix égal, l’acte d’achat devient une vraie prise de position. C’est ce que nous défendons d’ailleurs dans la campagne de communication sur les ondes ces jours-ci
».

Qui plus est, estime  Shirin Gunny, il est crucial de se démarquer sur un marché ultra-libéralisé comme Maurice où se côtoient à la fois des produits importés et des produits issus du dumping. «Le label Made in Moris représente d’abord et avant tout un argument de qualité et, par ricochet, un argument de vente. Pour rappel, l’obtention de la labellisation se fait en fonction de critères spécifiques et du respect d’un cahier des charges exhaustif qui fait aujourd’hui la force et la crédibilité du Made in Moris. Aujourd’hui, plus que jamais, tout chef d’entreprise recherche un moyen de se démarquer et de montrer sa différence. Le label Made in Moris est donc un réel outil de différenciation. Nous croyons aussi beaucoup au potentiel du Made in Moris pour ce qui est du marché touristique. La diversité de notre offre devrait bientôt nous aider à mener des actions communes dans les hôtels mais aussi à l’aéroport. Sans oublier, bien sûr, la question du ‘local procurement’, ou devrions-nous dire ‘local representation’ dans les hôtels où perdurent des pratiques trop hermétiques. Une vitrine essentielle du Made in Moris à nos yeux», souligne-t-elle.

À ce titre, poursuit notre interlocutrice, Roger Brooks, expert international en marketing touristique, révélait lors du salon Hotel World 2016 de Publi-Promo, que l’authenticité est une valeur ajoutée que recherchent les touristes aujourd’hui. Il a soutenu, nous relate Shirin Gunny, que «les touristes seraient prêts à payer jusqu’à 20 % de plus pour un produit fabriqué à Maurice.»

L’internationalisation du Made in Moris et sa portée sur le marché de l’export est, dit-elle, un nouveau chapitre que l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM) a ouvert cette année. Avec pour méthode l’approche collaborative telle qu’elle a été utilisée pour le Made in Moris. «Cela dit, il y a d’abord tout un travail d’analyse et une vraie réflexion stratégique à faire en amont avant d’en arriver à dire que nous sommes prêts pour une offre collective sur l’export. À ce jour, les industriels et entrepreneurs qui s’y sont risqués et ont réussi sur l’export reconnaissent unanimement combien cette étape est périlleuse, semée d’embûches et de risques sous-estimés», argue-t-elle.

Dev Santchurnest, quant à lui, moins convaincu de la crédibilité, de la pertinence et de la portée locale et internationale du Made in Moris. Au sein de son entreprise, dit-il, leur conviction porte sur la valeur perçue dans un produit pour son acquisition par le consommateur. C’est la raison pour laquelle il n’a pas souhaité entrer dans la démarche et préfère utiliser
la mention Made in Mauritius pour la vente de ses chaussures et accessoires de maroquinerie. «Je ne pense pas que le label a vraiment aidé à promouvoir l’image des produits faits localement. Il n’a pas, non plus, aidé à la commercialisation des produits faits localement. Auprès de consommateurs internationaux, cela n’a aucun sens. Les étrangers connaissent peut-être Maurice ou Mauritius mais pas Moris. Je ne trouve pas comment ce label va motiver les étrangers à acheter», lance-t-il.

Chaque entreprise sur un pied d’égalité

Quand nous demandons justement à Shirin Gunny les barrières entravant ou limitant l’adhésion au label, elle explique qu’il est important de rappeler que le Made in Moris regroupe des entreprises de différentes tailles. L’obtention du label passe par le respect d’un cahier des charges qui a été conçu afin de ne pénaliser
aucune entreprise ou aucun entrepreneur, dit-elle. De plus, le label se veut inclusif, ajoute-t-elle, et l’équipe derrière la gestion du label est «en mesure d’adapter ce cahier des charges à la spécificité du secteur de l’entreprise. Par exemple, en accueillant Ravior, ou Top Nature, le label s’est ouvert à de nouveaux secteurs comme l’artisanat d’art ou l’agriculture.»

Dans la déferlante mouvance mondiale d’éco-responsabilité et d’écocitoyenneté, qui trouve de plus en plus d’échos favorables auprès de consommateurs locaux, l’adoption des produits Made in Mauritius pourrait s’étendre. Tout en cherchant des produits de consommation de plus en sains, le recours aux produits locaux – pour participer à la réduction de l’impact de l’empreinte carbone notamment – dans un mouvement eco-friendly «n’est pas totalement ancré dans la société mauricienne mais la nouvelle génération est quand même de plus en plus eco-friendly et nous pensons que l’évolution se fera graduellement», souligne-t-on chez Moroil.