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Coralie Gevers: «Une partie du développement de l’immobilier à Tananarive est le fruit de la corruption»

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Coralie Gevers: «Une partie du développement de l’immobilier à Tananarive est le fruit de la corruption» | business-magazine.mu

78 % de la population malgache vit dans la pauvreté. La représentante de la Banque mondiale dans la Grande île explique la méthodologie et les mesures proposées par l’institution pour réduire ce problème. À défaut de l’éradiquer…

BUSINESSMAG. Le conseil d’administration de la Banque mondiale (BM) a annoncé fin juin un nouveau Cadre de partenariat pays (CPP) pour la période 2017-2021. Sur quoi porte ce document exactement ?

Le Cadre de partenariat pays nous permet de programmer avec le gouvernement et les autorités les financements et l’engagement de la BM à Madagascar. Il nous permet également de situer cette programmation par rapport à la redevabilité envers le conseil d’administration de la BM, la redevabilité envers les autorités malgaches et la redevabilité envers la population malgache.

Nous avons déterminé des objectifs ensemble sur les programmes et les zones d’intervention pendant six mois en collaboration avec les autorités, le secteur privé et la société civile, les autres partenaires techniques et financiers. Nous ne sommes pas restés à Tananarive. Nous avons parcouru les grandes villes des provinces.

Nous avons annoncé la programmation de financement de 1,3 milliard de dollars conve-nue lors de la Conférence des bailleurs et des investisseurs à Paris (décembre 2016). Nous nous focalisons sur deux piliers : le premier consiste à améliorer la résilience de la population malgache, surtout les pauvres, et à réduire la fragilité du pays. Le second vise à promouvoir la croissance inclusive.

BUSINESSMAG. Quel est l’état des lieux de la pauvreté à Madagascar ?

On donne souvent une valeur monétaire à la pauvreté mais elle revêt un aspect multidimensionnel. Elle concerne notamment les personnes en situation de malnutrition, la difficulté d’accès aux services sociaux de base comme la santé et l’éducation, l’habitat, les conditions de vie, l’exposition aux désastres et aux chocs.

Dans le cas de Madagascar, la proportion des pauvres au sein de la population est de 78 %. Cela n’a pas beaucoup changé dans le temps, la pauvreté est persistante et profonde. Une grande partie de la population vit bien en deçà de la ligne de la pauvreté. Cet indicateur est basé sur les biens de base de 2 100 kilocalories (kcal) plus quelques biens et services supplémentaires et pour couvrir cela, il faut 535 000 ariary par an. Ce chiffre correspond donc à la ligne de la pauvreté à Madagascar, soit l’équivalent de 1 400 ariary par jour tel que défini par l’Institut national de la statistique (Instat). Le malgache moyen consomme 46 % de moins que celui qui est à la ligne de la pauvreté.

BUSINESSMAG. Selon les termes de la BM, le Cadre de partenariat pays vise avant tout à accroître la résilience des populations. Quelle dimension prend ici le terme «résilience» ?

Les Malgaches sont très exposés aux chocs, dont ceux d’ordre climatique ou sanitaire. Même s’ils parviennent de temps en temps à améliorer leur revenu, il suffit qu’une catastrophe survienne pour qu’ils retombent et doivent recommencer de zéro. La résilience consiste donc à améliorer leur revenu mais de façon durable.

BUSINESSMAG. Par quels moyens y parvenir ?

Nous avançons trois mesures actuellement : l’investissement dans le capital humain, la promotion de l’agriculture résiliente et la réduction de l’exposition aux chocs. Pour le capital humain, nous agissons dès la petite enfance. À Madagascar, un enfant sur deux de moins de cinq ans accuse un retard de croissance. À première vue, cela peut ne pas sembler grave qu’une personne soit plus petite mais il est prouvé scientifiquement que leur cerveau ne se développe pas autant qu’il le pourrait. Nous agissons pour que les enfants malgaches prennent un bon départ dans la vie. Cela amène aussi à investir dans le préscolaire et l’éducation fondamentale.

BUSINESSMAG. Qu’en est-il de l’agriculture ?

On sait que la majorité des Malgaches vivent de l’agriculture. Aussi, essayons-nous d’accroître la productivité. Pour cela, nous agissons sur l’environnement. Comme la déforestation conduit à l’ensablement des rizières, nous encourageons la population à trouver des alternatives à l’abattage des arbres. Nous promouvons aussi l’utilisation de plus d’engrais et de semences améliorées, de même que l’aspect technologique en collaboration avec les associations paysannes et les petits agriculteurs. Nous favorisons l’accès au marché tant physique que financier et travaillons de concert avec plusieurs départements ministériels pour soutenir l’inclusion financière.

BUSINESSMAG. Il y a une troisième mesure, l’exposition aux chocs…

Le coût économique annuel des désastres est estimé à 100 millions de dollars. Dans le cas d’un cyclone de force 4 comme Enawo, les dégâts atteignent facilement les 300 à 400 millions de dollars. Les gens perdent leurs récoltes, leur habitat, leurs routes, leurs centres de santé... Nous limitons les coûts en construisant des infrastructures qui résistent mieux aux cyclones. Nous réduisons également les coûts de réponse aux cyclones en développant des normes cycloniques pour les barrages et les écoles, de même que pour les centres de santé si le désastre arrive. En sus, nous augmentons la capacité de réponse du gouvernement par la mise en place d’un fonds de contingence. J’ajouterai qu’il y a d’autres mécanismes comme l’assurance internationale.

BUSINESSMAG. La BM avance que près de 80 % de la population malgache vit avec moins de 1,90 dollar par jour. Comment arrivez-vous à ce chiffre ?

Nous nous basons sur des enquêtes ménages réalisées par l’Instat. Lors de ces enquêtes, on prend un échantillon représentatif de la population, soit plusieurs milliers de ménages. On cherche ensuite à mesurer la consommation de chacun de ces ménages et leurs revenus. Dans les pays pauvres, on se concentre surtout sur la consommation. Suivant un certain nombre de questions, on demande aux gens ce qu’ils ont mangé, ce qu’ils ont acheté, s’ils sont allés au centre de santé de base (CSB), s’ils ont acheté des médicaments. Les questionnaires de l’Instat détaillent tout. À partir des données ainsi recueillies, on parvient à établir ce que les ménages consomment.

On établit par la suite une ligne de pauvreté nationale sur la base d’un panier de consommation minimum – principalement de la nourriture équivalant à 2 100 kcal par jour et quelques biens essentiels comme la santé, l’éducation. On ne parle pas de télévision ni de téléphone.

L’Instat a établi cette ligne à 535 000 ariary par personne par an et selon l’échantillon considéré dans le cadre de l’enquête, on parvient à démontrer que 78 % de la population malgache ne peut avoir accès à ce panier de consommation moyenne. Ce sont les chiffres de pauvreté nationale qu’on utilise à Madagascar.

BUSINESSMAG. Pourriez-vous nous éclairer davantage par rapport au seuil de 1,90 dollar par jour ?

Ce chiffre n’est pas comparable d’un pays à un autre. Dans le cas de Madagascar, par exemple, il est basé sur la consommation et les coûts malgaches. En fait, la BM a développé une méthode utilisant la parité de pouvoir d’achat qui permet d’égaliser ces données à travers les pays et qui nous permet d’arriver à deux mesures de la pauvreté. La première est celle de 1,90 dollar par jour, que nous considérons comme le seuil de pauvreté extrême alors que la deuxième est celle de 3,10 dollars par jour ; elle est basée sur la parité de pouvoir d’achat. En gros, elle permet de comparer le même panier de consommation, quel que soit le pays.

Ces mesures étaient auparavant d’un dollar et de deux dollars par jour respectivement. Avec l’augmentation du coût de la vie, nous en sommes aujourd’hui à 1,90 dollar et 3,10 dollars mais le concept reste le même. Pour la première mesure, Madagascar est à 78 % et pour la deuxième, à 90 %.

J’insiste sur le fait que les enquêtes sont réalisées par l’Instat et que ce n’est pas la BM qui parcourt le pays pour produire ces statistiques. Les lecteurs qui souhaitent en savoir davantage sur la façon dont on calcule ces taux peuvent consulter la vidéo disponible au lien suivant : http://www.google.com/ www.worldbank.org/en/news/video/2013/09/09/how-is-poverty-measured

BUSINESSMAG. La bonne gouvernance représente, pour la BM, un enjeu majeur en ce qu’il s’agit de la réduction durable de la pauvreté. Or, à Madagascar, les indicateurs semblent démontrer des lacunes à ce niveau. Votre point de vue ?

Nous avons pour mission de réduire la pauvreté. Nous pourrions baisser les bras et dire : «On se retire» ou essayer de trouver des entrées pour avoir une action efficace. Notre approche est la deuxième. Nous allons essayer de travailler là où nous pouvons et nous essayons d’améliorer la gouvernance dans ce pays. Par exemple, nous travaillons sur la décentralisation. Nous ne sommes pas naïfs ; nous savons qu’il y a des risques de corruption au niveau des subventions locales, des transferts aux collectivités et nous ne sommes pas confrontés à des défis seulement à Madagascar. Si nous découvrons des cas de corruption liés aux fonds de la BM, nous agissons et nous l’avons déjà fait. Nous n’en avons pas parlé dans les journaux mais c’est arrivé plusieurs fois, ces trois dernières années.

BUSINESSMAG. Quelles actions avez-vous menées alors ?

Le ministère a pris les actions nécessaires, au point que les fonds IDA (NdlR : fonds mis en place par l’Association internationale de développement – institution de la BM en charge des pays les plus pauvres) doivent être remboursés par l’État malgache. Il y a aussi des sanctions si les fonds ne sont pas bien utilisés. Nous protégeons nos fonds. Par ailleurs, nous mettons en place des règles de sauvegarde fiduciaires avec des procédures, des systèmes de comptabilité, des rapports trimestriels pour nous et pour le ministère des Finances et du budget qui gère la dette publique. Si nous découvrons des dépenses inéligibles ou du vol, l’État doit rembourser. On ne rigole pas avec l’argent des contribuables internationaux et les Malgaches.

BUSINESSMAG. Comment expliquez-vous les inégalités sociales flagrantes à Madagascar ?

L’inégalité est visible, en milieu urbain, notamment. En termes de chiffres, elle est dans les normes et stable. Elle se calcule par la différence entre les revenus les plus élevés et les plus faibles. À Madagascar, il y a les plus grands écarts d’opportunités économiques. Les tireurs de charrettes, les gens qui ramassent les déchets exercent des activités économiques, même si cela est dur. Je les respecte. Il y a aussi des opportunités économiques pour les classes moyennes comme les fonctionnaires, les travailleurs du textile – ils ne font pas partie des plus pauvres. Puis, il y a les chefs d’entreprise…

Il y a, par ailleurs, les fruits de la corruption. Le Service de renseignements financiers (Samifin) essaie de comprendre le mécanisme de cette corruption et de juguler cette situation. Une partie du développement de l’immobilier à Tananarive est le fruit de la corruption.

On voit ces 10 % qui vivent mieux que les autres et cela se traduit par des voitures luxueuses, des téléphones de plus en plus évolués… On ne condamne pas, mais c’est un choix de société. Il y a des sociétés dans lesquelles les gens aisés vivent discrètement mais il y a des sociétés où on veut montrer sa fortune par des dépenses ostentatoires.