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Serge Zafimahova : «La dette publique équivaut à 39,33 % du PIB malgache»

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Serge Zafimahova : «La dette publique équivaut à 39

La dette publique malgache constitue un aspect plus ou moins inconnu des agrégats économiques. Serge Zafimahova, l’un des fondateurs du Club de développement et éthique, apporte un éclairage sur la question, tout en abordant d’autres facettes des relations avec les bailleurs de fonds.

BUSINESSMAG. Quel est le niveau actuel de la dette publique malgache ?

La dette publique est l’ensemble des engagements d’un État pour une date donnée. Elle est issue des flux de ressources empruntées et remboursées pour cette date donnée. Deux critères principaux sont en général utilisés pour évaluer un pays. D’abord, sa solvabilité. Il s’agit de savoir si à terme, les ressources du pays peuvent lui permettre de rembourser toutes ses dettes. L’autre critère est la liquidité. Ici, il faut déterminer si le pays dispose de ressources suffisantes à court terme pour financer le service de la dette.

Le niveau d’endettement du pays se situait à fin décembre 2015 à environ US$ 3,31 milliards, soit 39,33 % du PIB. Alors que la dette extérieure représente 74,03% du total de la dette.

BUSINESSMAG. L’aide publique au développement ou, plus précisément, l’endettement est-il une solution pour répondre à la débâcle socio-économique ?

La question est pertinente et surtout d’actualité, car incessamment, la communauté internationale organisera une conférence des bailleurs de fonds et des investisseurs potentiels qui aura lieu à Paris et dont l’objectif est de collecter des fonds devant servir le développement de Madagascar. Il s’agit, dans sa majorité, de dettes basées sur des prêts concessionnels et partiellement de dons qui seront contractés auprès de bailleurs de fonds.

BUSINESSMAG. Les dirigeants de Madagascar s’appuient systématiquement sur l’investissement public comme moteur de la croissance. Pourquoi ?

Il convient de retracer l’historique : peu après son accession au pouvoir, le président Philibert Tsiranana a mis en place le Fonds national de développement économique, suivi vers la fin des années 1960 de l’affectation d’une partie du budget de fonctionnement vers les investissements à travers la Société nationale d’investissement. Les ressources étant jugées insuffisantes lors de la deuxième République, l’État s’est endetté à partir des années 1977 en usant de dette intérieure et de prêts aussi bien auprès des pays bénéficiaires de pétrodollars que des pays du bloc socialiste.

L’utilisation des ressources ainsi obtenues a été des plus inefficaces, mettant le pays dans une situation de pénurie sans précédent. À partir de 1981, les relations avec les institutions de Bretton Woods ont repris : elles sont alors intervenues de nouveau et ont favorisé les investissements à outrance engendrant les éléphants blancs. La stratégie d’industrialisation durant la deuxième République s’appuyait, entre autres, sur le Fonds national d’investissement et l’Institut malagasy d’innovation).

BUSINESSMAG. Qu’en est-il de la dette extérieure ?

La dette extérieure de Madagascar est essentiellement des dettes publiques et très marginalement des dettes privées. Jusqu’ici, les emprunts extérieurs importants contractés même par le secteur privé agissant à Madagascar sont sous garantie souveraine de l’État malagasy via le Trésor La dette extérieure est passée de US$ 180 millions en 1976 à US$ 3,9 milliards en 1989. Vers la fin des années ’90, il y a eu une autre tentative de relance par les investissements publics.

BUSINESSMAG. Cette stratégie a-t-elle donné des résultats probants ?

Non, l’échec a été à nouveau au rendez-vous, faute de vision structurante, de politiques publiques cohérentes et d’une gestion rigoureuse des finances publiques. Les crises politiques de 1991 (1991 à 1992) et de 2009 (2009 à 2013) ont démontré la part importante de l’économie souterraine et parallèle à Madagascar, qui est caractérisée par le dynamisme du secteur informel. La crise de 2009 a aussi mis en exergue l’extraversion de l’économie formelle et la dépendance du secteur des services particulièrement les cabinets d’études et de conseils et des organisations de la société civile, au rythme des accords de financement avec les partenaires techniques et financiers. Le système coercitif du secteur bancaire à Madagascar et le non-respect du secret bancaire par l’État sont des mesures antiéconomiques et déstructurent encore plus l’économie en faveur d’activités non déclarées.

BUSINESSMAG. Quelles en sont les conséquences ?    

La corruption, la mauvaise gouvernance et le non-droit se sont accentués au fil du temps : l’indice de Perception de la corruption est de 28/100, plaçant Madagascar au 123e rang sur 175 pays dans le monde, tandis que l’indice Mo Ibrahim (gouvernance publique) est de 49,1 %, plaçant Madagascar au 29e pays africain. Le capital humain se dégrade de manière palpable tant du point de vue physique (le taux d’insuffisance pondérale pour les enfants de moins de 5 ans est de 20 %) qu’intellectuel (le taux d’achèvement au lycée est de 17,9% en 2015) et de l’éthique.

La démagogie qui sied dans la politique éducative hypothèque l’avenir des établissements publics primaires et secondaires du fait d’une qualité d’enseignement au rabais. La dégradation du capital infrastructurel est encore plus inquiétante. À titre d’illustration : sur 1 000 km², Madagascar n’a que 9,9 km de routes bitumées, tandis que Maurice en a 999 km. Ou encore en termes d’énergie, le KWh par habitant à Madagascar est de 53,7 KWh contre 1 855,2 KWh pour Maurice, par exemple.

BUSINESSMAG. Parlons de l’énergie justement. Quelle analyse le Club de développement et éthique fait-elle de la situation ?

On s’endette pour sauver la Jirama ! La Jirama, ou la société nationale d’électricité, compte 114 centres à travers le pays, dont plus de 76,31 % fournissent moins de 2 MW (mégawatt) d’électricité. Ainsi, 101 centres sur les 114 existants sont en état structurellement déficitaires. Seuls 13 centres couvrent leurs coûts de production avec leurs recettes. Le problème de la Jirama est que le coût de production est supérieur à son prix de vente, sans parler du vol d’électricité par des usagers et du trafic de carburant au sein de la société.

La libéralisation de la production d’électricité en faveur du secteur privé nécessite un contrôle et un audit des prix de vente à la Jirama. L’État opte pour l’affermage comme technique de privatisation des centres commercialement rentables. Cette approche implique que les investissements en matériel seraient contre-garantis par le Trésor L’État doit prendre en considération que les centres non rentables mais nécessaires ne trouveront pas d’acquéreurs privés. Par exemple, les localités les plus riches en ressources minières sont les plus pauvres en ressources énergétiques et en eau. L’approche de répartir des projets hydroélectriques d’importance au niveau de zone ciblée est ainsi la meilleure stratégie.

BUSINESSMAG. Quelle solution partielle recommandez-vous ?

Le passage de l’usage du gasoil en fuel lourd réduira de manière significative la vente à perte. En se fournissant en fuel lourd auprès de Madagascar Oil, la Jirama réduira considérablement ses charges en carburant. Il faut savoir qu’une partie du carburant de l’exploitation revient à l’État via l’OMNIS qui est actionnaire. La question se pose: pourquoi les responsables étatiques et la Jirama refusent d’opter pour la fourniture de fuel lourd par Madagascar Oil ?

BUSINESSMAG. Quels en sont les avantages ?

Les essais techniques de Madagascar Oil contredisent les affirmations de la Jirama que l’utilisation de fuel lourd de Tsimiroro n’est pas conforme. La Jirama refuse même des essais sur ses installations avec la garantie de Madagascar Oil de remettre à neuf toute machine détériorée dans le cadre des essais. Si l’US Geological Survey (USGS) évalue les réserves estimées en gaz naturel à environ 167,2 milliards de pieds cubes, le ministre auprès de la Présidence chargé des Mines et du Pétrole, a annoncé officiellement des réserves prouvées de 23 milliards de pieds cubes. Il a également fait part des essais concluants dans la région de Toliary en fourniture d’électricité à partir du gaz naturel.

Sur financement de la Banque mondiale, il est annoncé un méga projet de centrale hydroélectrique appelé Sahofika (fleuve Onive) de 300 MW (extensible à 600 MW), représentant un investissement de 797 millions d’euros en faveur du groupe français Eiffage après appel d’offres. Cette annonce réjouissante apporte aussi son lot de questions. Si l’agence Ecofin a annoncé le méga projet le 29 août dernier, par contre, les officiels malagasy n’ont rien dit à ce jour. Il faut multiplier les opportunités d’investissement d’infrastructure tout en tenant compte de l’impact environnemental. Cela exige des règles claires et une transparence en matière de partenariat public-privé (PPP), dont le cadre juridique devrait être dévoilé lors de la conférence des bailleurs et des investisseurs à Paris.

BUSINESSMAG. Quels sont les tenants et aboutissants de cette conférence de bailleurs de fonds et des investisseurs?

Elle se tiendra au début du mois de décembre à Paris. Mais est-ce bien le moment ? Est-on prêt à emprunter à nouveau cette voie ? Les balises sont-elles bien en place: les politiques publiques, la société civile, les acteurs de la communication, les droits civils et politiques, les règlements sur les codes de conduite, le code de change, etc.? Les conditions de réussite d’une telle réunion sont-elles réunies ? Il faut toutefois savoir quand même que cette conférence apporte trois grands objectifs. D’abord, identifier les appuis financiers attendus des bailleurs de fonds publics (gouvernements, institutions de financement du développement bilatérales, multilatérales ou régionales), puis présenter à la communauté des investisseurs privés les potentialités et les secteurs d’activités pour lesquels le pays souhaite l’intervention du secteur privé et finalement attirer l’attention de la communauté internationale sur l’importance de la biodiversité unique, et donc de son capital naturel en tant que bien public mondial (global public good), ainsi que sur la nécessité de la préserver.

BUSINESSMAG. La politique des gouvernements successifs de financer le développement à travers l’endettement a-t-elle tout de même produit des notes positives ?

L’endettement n’est pas forcément une mauvaise initiative. Cependant, le facteur clé de la réussite d’endettement d’un pays est d’associer ses citoyens dans son processus d’affectation. Il faut dire qu’à travers le paiement direct et / ou indirect d’impôt, tout citoyen, titulaire ou non d’une carte d’identité nationale, contribue à rembourser les services de la dette extérieure. En effet, l’endettement suppose un remboursement de la dette par l’État. Si la rentabilité économique des projets financés par les dettes est supérieure de manière significative au taux d’intérêt, alors le choix est judicieux. Or, cette rentabilité est acquise si la participation du citoyen sera effective car le pays crée une communauté d’intérêts et engage la responsabilisation de chacun. Il faudra donc créer un mécanisme pour cette meilleure participation citoyenne.

L’endettement doit avoir comme point d’appui une stratégie structurante de développement et de croissance. L’on se doit d’auditer tous les engagements financiers relatifs aux dettes extérieures et aux dettes intérieures de Madagascar. Notre pays devra s’investir dans la mobilisation de ses ressources intérieures. Cela lui permettra de ne pas être dépendant de l’extérieur, mais surtout obligera les dirigeants à être davantage redevables envers ses citoyens. Tout endettement doit être accompagné d’un effort présent et futur de mobilisation des ressources internes.

Le pays doit disposer d’une politique de développement à long terme solide lui permettant de couvrir les dettes sur une période relativement longue (plus de 20 ans). Sinon, il risque de faire faillite et de pénaliser les générations futures. Autant le fait de s’endetter peut servir à la bonne cause pour un pays étant donné que les projets structurants (routes, aéroports, etc.) relèvent de la responsabilité de l’État, autant il peut conduire à la perte d’un pays, hypothéquant toute initiative économique.

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