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François de Senneville : «L’application de la convention multilatérale sera longue»

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François de Senneville : «L’application de la convention multilatérale sera longue» | business-magazine.mu

L’empressement de l’OCDE à contraindre les États à ratifier la convention multilatérale est suspect, observe le Head Africa Desk de Fieldfisher. Pour François de Senneville, Maurice n’a jamais fait obstacle à la lutte contre les pratiques fiscales abusives.

BUSINESSMAG. Après la renégociation du traité avec l’Inde qui marquait la fin d’une ère, Maurice a ratifié la convention multilatérale de l’OCDE. Ce qui implique que les mesures développées dans le cadre du BEPS seront transposées dans nos traités bilatéraux. Concrètement, comment ce nouveau développement va-t-il affecter le global business mauricien ?

La convention multilatérale pour la mise en œuvre du plan BEPS (destiné à lutter contre l’érosion de la base taxable et le transfert de bénéfices) a été signée, le 7 juin dernier, par 68 États qui ont participé à la cérémonie de signature à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Un des piliers de ce plan BEPS est l’instauration de clauses visant à interdire les abus des conventions fiscales.

Comme vous le rappelez, la convention multilatérale a pour objet de permettre de modifier les conventions fiscales bilatérales existantes en mettant en œuvre les mesures relatives aux conventions fiscales élaborées dans le cadre du plan BEPS. Ces mesures portent notamment sur l’utilisation abusive des conventions. La décision de Maurice de signer cette convention n’est pas mauvaise en elle-même, pour autant que ses effets soient limités aux pratiques fiscales abusives dénoncées à juste titre Il convient donc de prendre le temps d’analyser les propositions de cette convention multilatérale, mais surtout chacune des options des États signataires pour les appliquer, ainsi que les réserves autorisées pour chacune de ces propositions. Cela pour nous assurer que chacun de ces choix sera pris après une évaluation des impacts potentiels sur le secteur du global business mauricien.

La France, comme les autres États signataires, a notifié ses choix de façon provisoire lors de la signature sur tous les thèmes et la version définitive des positions qu’elle a prises sera transmise au moment du dépôt de l’instrument de ratification de cette convention. Je comprends que Maurice a également souhaité faire preuve d’une certaine prudence en excluant 19 traités lors de la signature de la convention multilatérale de l’OCDE.

BUSINESSMAG. Comment interprétez-vous l’empressement de l’OCDE à contraindre les États à adopter des mesures visant à combattre l’érosion de la base fiscale et le transfert des bénéfices ?

L’empressement est toujours suspect. Pourquoi se presser surtout sur des mesures susceptibles d’impacter substantiellement notre secteur des services et plus généralement l’économie nationale ?

La convention multilatérale est un nouvel outil très complexe sur lequel même les praticiens devront s’investir pour maîtriser son application. Par exemple, cette convention prévoit, pour les États signataires, des normes minimales (donc obligatoires) pour certaines clauses des conventions fiscales bilatérales qu’ils ont conclues. Cependant, les États sont en mesure de formuler des réserves qui impactent l’application même de ces normes minimales. On voit donc que, même au sein d’une norme minimale (donc obligatoire), les options sont nombreuses et parfois incompatibles entre elles, si bien qu’il est d’ores et déjà prévisible que des discussions bilatérales devront avoir lieu entre les États pour trouver la façon de se conformer à la norme minimale pour l’application de leurs conventions bilatérales.

La mise en œuvre de la convention multilatérale sera longue et complexe et, dans le doute, compte tenu de ses impacts pour le secteur du global business mauricien, il y va de l’intérêt de l’État mauricien d’en faire le strict minimum et, à chaque fois que possible, d’émettre une réserve comme la convention l’y autorise, du moins pour les normes anti-abus facultatives que prévoit cette convention, en vue de n’appliquer aucune de ces propositions facultatives.

BUSINESSMAG. N’était-il pas important de serrer la vis afin d’adopter des mesures pour mettre un terme au «treaty shopping», une pratique adoptée de manière abusive par nombre de multinationales pour éviter d’être imposées dans les pays où elles sont physiquement en activité ?

Toutes les mesures destinées à éviter les pratiques fiscales dommageables, dont le treaty shopping, sont bonnes en soi. Encore faut-il s’assurer de la portée de chaque engagement et de chaque option que prendront les représentants mauriciens concernant l’application de la convention fiscale multilatérale de l’OCDE et qu’ils n’entraînent pas une perte de compétitivité pour le global business mauricien en complexifiant l’application de nos conventions fiscales bilatérales.

BUSINESSMAG. Compte tenu du nouvel environnement fiscal régissant la finance mondiale, n’était-il pas nécessaire pour Maurice de s’aligner sur les meilleures pratiques fiscales afin de s’affirmer comme une juridiction de substance ?

Maurice, à juste titre, n’a jamais fait obstacle à la lutte contre les pratiques fiscales abusives. Les autorités et les opérateurs se montrent toujours favorables à continuer ce combat. Mais il faut s’assurer que ce qu’on nous propose correspond précisément et strictement à ce combat et surtout améliore l’existant.

Lorsque vous conseillez des clients internationaux qui projettent d’investir à Maurice, il faut prendre en considération non seulement les règles fiscales du pays d’investissement (par exemple, Maurice), mais également celles du pays de l’investisseur (par exemple, la France, le Royaume-Uni, ou tout autre pays) et celles de la convention fiscale éventuellement applicable.

Les pays investisseurs précités ont depuis longtemps intégré dans leurs législations des mécanismes anti-abus, anti-évasion, les célèbres CFC (Controlled foreign companies) rules qui permettent de taxer dans le pays de l’investisseur des opérations réalisées dans le pays de l’investissement.

La fiscalité française, par exemple, dispose, depuis des années, d’un arsenal impressionnant sur le sujet et n’a pas attendu l’OCDE pour se protéger contre les véritables paradis fiscaux artificiels et les pratiques fiscales abusives. L’ingénierie fiscale qu’un avocat fiscaliste international propose à ses clients consiste précisément à intégrer l’ensemble de ces règles pour structurer les projets de développement de ses clients à l’international, ce afin de les sécuriser d’un point de vue fiscal afin qu’ils ne soient pas exposés à ces mécanismes.

En d’autres termes, les États investisseurs n’ont pas attendu la convention multilatérale de l’OCDE pour se protéger autant que possible en utilisant leurs propres législations et leur jurisprudence prévoit des principes bien établis pour lutter, notamment contre les abus de droit et la fictivité.

L’essentiel des investissements étrangers à Maurice est donc déjà structuré, pour la plupart, pour résister aux éventuelles critiques des administrations fiscales des pays investisseurs qui veillent en particulier que le véhicule mauricien d’investissement dispose bien de la substance.

Les nouveaux outils pour mieux lutter contre les pratiques fiscales abusives seront toujours les bienvenus mais permettez-moi de douter ou tout au moins de m’interroger sur ces nouveaux outils et sur leur finalité. Les règles fiscales internationales et nationales prévoient déjà de nombreux mécanismes pour lutter contre ces pratiques fiscales abusives. Ce serait une faute grave de ne pas s’interroger sur les retombées potentielles de tout nouvel outil étant donné qu’elles peuvent être très négatives pour notre économie. La convention multilatérale amène, elle, pour sûr, de la complexité qui devrait être un terrain fertile pour générer du contentieux.

BUSINESSMAG. Vous êtes convaincu que l’avenir du centre financier mauricien se trouve en Afrique. La ratification de la convention multilatérale ne risque-t-elle pas de plomber nos ambitions ?

Nos ambitions pour notre centre financier en Afrique sont intactes mais l’application de la convention multilatérale va complexifier celle de nos conventions fiscales bilatérales existantes. Cette convention multilatérale est, en fait, un texte assez souple qui laisse une certaine marge de manœuvre aux États signataires par le truchement des réserves et des options. Par conséquent, l’application des conventions fiscales bilatérales deviendra un exercice plus complexe qu’aujourd’hui du fait des options et des réserves que chaque État signataire prendra pour l’application des différentes clauses, obligatoires ou non obligatoires, prévues dans la convention multilatérale.

BUSINESSMAG. Maintenant qu’on s’est aligné sur la convention multilatérale de l’OCDE serons-nous en mesure de revoir nos traités bilatéraux avec les pays africains afin de permettre aux multinationales d’investir dans ces pays tout en étant imposées au taux de 15 % en vigueur à Maurice ?

Tout ce qui n’est pas interdit est permis. Nous devons continuer à faire preuve d’inventivité fiscale pour préserver la compétitivité fiscale de Maurice. Tant que les mécanismes que nous introduirons dans nos conventions fiscales bilatérales répondront à cet objectif tout en restant compatibles avec les dispositions de la convention multilatérale, ils ne seront pas critiquables.

Dans ce contexte, on pourrait, par exemple, réfléchir à introduire des dispositions dans les nouvelles conventions bilatérales conclues par Maurice avec notamment le Ghana, le Sénégal et Madagascar pour la création de nouvelles zones économiques. Dans le cas où ces conventions permettraient, par exemple, à une filiale d’une société mauricienne implantée dans ces États de bénéficier du même régime fiscal que celui de sa société mère mauricienne (15 %), nul doute qu’il accélérera la création de sociétés mauriciennes destinées à des investissements dans ces autres États? Ce serait une situation gagnant-gagnant.

BUSINESSMAG. Le capital-investissement est l’un des véhicules les plus privilégiés pour les investissements en Afrique. Comment la juridiction mauricienne devrait-elle se positionner dans ce créneau ?

Maurice doit évidemment continuer à se positionner comme une destination de premier choix pour la structuration des fonds dédiés aux investissements en Afrique. Nous disposons d’un track record pour l’accompagnement des investissements en Inde qui sera utile dans cette démarche.

Nous sommes Africains et il est donc logique d’un point de vue tant géographique qu’économique que les véhicules d’investissement dédiés aux investissements en Afrique soient situés en Afrique plutôt qu’à Chypre, Malte ou ailleurs. Il est, en effet, plus aisé de sécuriser et d’optimiser ce type de projet depuis Maurice. Mais si l’on ne fait pas attention, certains ne devraient pas avoir de problème pour nous démontrer que la structuration de ces fonds d’investissement pour l’Afrique pourrait, par exemple, se faire à partir du Luxembourg.

BUSINESSMAG. Comment voyez-vous l’avenir du global business mauricien ?

Le global business ne propose pas qu’un régime fiscal attractif aux investisseurs étrangers. Il est appelé à continuer à se développer pour les diverses raisons qui font son attractivité, mais il est clair que les impacts potentiels de la convention fiscale multilatérale de l’OCDE sont de nature à lui faire perdre en compétitivité dans la mesure où elle complexifiera nécessairement la fiscalité internationale pour les raisons déjà développées.

Il conviendra de combler ce handicap potentiel, notamment par une offre de service à plus forte valeur ajoutée et de continuer à développer la compétitivité du global business mauricien.