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Interview Rencontre

Après le COVID-19 : repenser la sécurité

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Après le COVID-19 : repenser la sécurité | business-magazine.mu

DR AVINAASH MUNOHUR - Politologue

Research Fellow au laboratoire sur le changement social et politique, Université de Paris Sorbonne Cité


Nous ne pouvons qu’être en admiration devant la capacité de réponse qu’a eue la Corée du Sud face à la vitesse de propagation du COVID-19. Cette réponse témoigne du bon état de préparation de l’État sudcoréen, de la discipline de sa population et de la capacité de ses décideurs à agir rapidement et efficacement dans un moment où la préservation de la sécurité de la population était critique. Il s’agit d’une erreur de penser la sécurité comme relevant exclusivement des dispositifs policiers. La notion de sécurité dans la pensée politique moderne relève de tout un ensemble de dispositifs et d’institutions dont l’objectif est la gestion et la protection d’une population. Ainsi, lorsque nous parlons de sécurité, cette notion inclut tout aussi bien les dispositifs policiers que des institutions comme le système éducatif, le système de santé publique, les dispositifs de la sécurité alimentaire, de la sécurité routière, etc. Ainsi, l’insécurité est aussi produite lorsque les écoles ne disciplinent plus les individus, ne leur donnent pas les outils critiques qui leur permettent de construire leur vie et ne leur permettent pas un accès égal aux opportunités économiques ; lorsque les hôpitaux ne soignent plus avec l’efficacité qu’elles devraient ; lorsque des terres arables parfaitement productives ne sont pas utilisées afin de permettre une réduction de notre dépendance aux importations ; lorsqu’une planification et un usage prudent de nos ressources maritimes ne sont pas mis en place ; et lorsque ses citoyens se retrouvent en situation de précarité et d’exclusion malgré le fait d’avoir un revenu stable et d’être propriétaires de leurs logements. Le premier devoir du gouvernement est justement de s’assurer que l’État ne glisse pas lui-même dans une situation de fragilité pouvant accélérer la production de la précarité. Le COVID-19 a rendu ce glissement encore plus visible à Maurice et nous ne faisons qu’entrevoir les réformes et les changements que nous serons dans l’obligation de mettre en place afin de mieux nous armer contre les disruptions – qui seront de plus en plus nombreuses – produites par la mondialisation. Par exemple, il devient impératif de moderniser les forces de police. Un dispositif de surveillance comme Safe City – et qui est utilisé «après coup» – ne suffit pas. Il faut que les policiers soient munis d’un équipement leur permettant de faire face à la nouvelle donne de la criminalité et d’une formation mettant l’accent sur la prévention. Nos pompiers doivent aussi être mieux équipés et formés à un élargissement de leur domaine d’intervention – comme les sapeurs-pompiers en France. Ils ont un rôle hautement stratégique dans la coordination et le soutien logistique à tous les services sécuritaires – soutien qui passe par le développement de véritables centres opérationnels régionaux qui permettront une meilleure implantation territoriale et une action plus efficace. Des protocoles doivent aussi être négociés et signés avec des pays amis afin de permettre aux hôpitaux d’être immédiatement alimentés en équipements et en médicaments dans des situations d’urgence – comme pour les masques et les respirateurs dans le cas présent. Nous devons également faire évoluer notre stratégie de santé publique en mettant l’accent sur les nouvelles technologies et sur les données critiques (comme le vieillissement de la population). Nous devons aussi mettre la discipline, la valorisation de tous les talents, l’éducation civique, citoyenne et républicaine au cœur du système scolaire. L’inéluctable transformation des industries locales, les impératifs de l’indépendance énergétique, et le développement de l’économie bleue requièrent d’autres compétences. Les accords signés récemment avec des institutions tertiaires étrangères vont dans le bon sens, mais il ne faut pas négliger les offres de formation valorisant les métiers techniques et les nouveaux métiers. Ces derniers sont porteurs de nombreux emplois et de croissance importante, en plus d’être essentiels à la production de l’inclusion socioéconomique de tous. Il ne s’agit pas ici uniquement de donner quelques exemples de propositions que nous devons considérer, mais bien plutôt de comprendre à quel point ces transformations sont indispensables afin d’inverser la tendance vers l’insécurité et afin de pouvoir entamer la conversion de notre pays vers un autre modèle de développement. L’évolution d’un modèle économique doit forcément être accompagnée d’une évolution des dispositifs et des institutions de sécurité. Ainsi, lorsque nous affirmons qu’un autre modèle de développement est nécessaire, nous affirmons dans le même temps qu’un autre modèle social est nécessaire. En d’autres termes, il ne peut y avoir de progrès possible sans une sécurité retrouvée. La problématique d’un autre modèle de développement sera abordée dans notre prochain billet.