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Interview Rencontre

Bruno Piat (Medine Agriculture): «Nous nous engageons dans la filière rizicole sur une base pilote»

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Bruno Piat (Medine Agriculture): «Nous nous engageons dans la filière rizicole sur une base pilote» | business-magazine.mu

Alors que la récolte des oignons tire à sa fin, Bruno Piat, General Manager, Cane Cultivation and Diversification à Medine Agriculture, commente la production de cette année. Il aborde également d’autres questions d’envergure nationale telle l’utilisation d’intrants biologiques.

BUSINESSMAG. La récolte d’oignons, qui débute en octobre, s’achèvera dans quelques jours. Quelle place occupe cette plante dans la production de Medine Agriculture ?

L’oignon constitue la part la plus importante de notre production, soit 36 % en termes de tonnage et de recettes. Nous sommes assez satisfaits du rendement de cette année. Nous pensons récolter 1 450 tonnes d’oignons, c’est-à-dire environ 60 tonnes de plus que l’an dernier. En général, les Mauriciens préfèrent les oignons rouges, qui représentent 80 % de notre production. Nous en cultivons quatre types.

 

BUSINESSMAG. À quoi attribuez-vous cette augmentation ?

Il faut préciser que cette augmentation provient d’un meilleur rendement à l’hectare et non d’une superficie additionnelle dédiée à la culture de l’oignon. Elle s’explique donc par les pratiques culturales que nous adoptons et améliorons constamment depuis plus de quinze ans. En outre, le climat a été très favorable ces derniers mois. Lorsque l’hiver est froid et sec, les risques de maladies sont considérablement réduits.

 

BUSINESSMAG. Quelle est la contribution de Medine Agriculture à la production nationale de fruits et légumes ?

Nous ne sommes pas loin des 4 000 tonnes de produits frais, ce qui représente 4 % de la production nationale. Nous récolterons cette année 600 tonnes de carottes, 630 tonnes de pommes d’amour, 500 tonnes de giraumons, 350 tonnes de pommes de terre, 80 tonnes de laitues et 45 tonnes de produits divers, tels que le «butternut» (un type de courge) et la tomate. Du côté des fruits, notre produit phare est la banane et notre récolte est estimée à 175 tonnes. Ensuite, nous produirons environ 20 tonnes de mangues, 13 tonnes de jujubes et 9 tonnes de litchis.

 

BUSINESSMAG. À quels marchés votre production est-elle destinée ?

La majeure partie est écoulée par les grossistes, qui absorbent 50 % de notre production. Ensuite, viennent, dans l’ordre : les détaillants et distributeurs (35 %), les supermarchés, qui commercialisent notre marque «Jardins de Medine» (13 %) et, finalement, les restaurants, traiteurs et hôtels (2 %).

 

BUSINESSMAG. Dans le rapport annuel 2015 de Medine, il était question de freiner la diversification de votre secteur fruits et légumes afin de limiter les pertes. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Notre secteur fruits et légumes se porte nettement mieux. Les deux dernières années ont été très encourageantes. Après les résultats financiers décevants de 2013, nous avons entièrement repensé le projet. Nous avons identifié les terres sous culture vivrière dont les rendements étaient inférieurs et les avons converties en plantations de canne à sucre. Par contre, dans les champs dits à fort potentiel, nous avons travaillé à optimiser les rendements et à diminuer les rebuts. Résultat : sur une superficie réduite de moitié, nous produisons 75 % de ce que nous faisions précédemment. En d’autres mots, alors que nous produisions 5 000 tonnes sur 275 hectares de terre, nous produisons en moyenne 3 800 tonnes sur 125 hectares. Accroître la productivité des terrains est un exercice permanent auquel s’attelle une équipe de professionnels passionnée et pleine de ressources.

 

BUSINESSMAG. Vous projetiez également de vendre un volume plus important de produits sous la marque «Jardins de Medine»…

Notre marque «Jardins de Medine» a été lancée en septembre 2012. Cette année-là, nous avons écoulé 7 % de notre production sous ce label et très rapidement, ce chiffre a doublé. Cette année, nous prévoyons d’écouler 16 % de notre production sous la marque «Jardins de Medine», ce qui représentera 26 % du chiffre d’affaires total de notre activité fruits et légumes. L’intérêt des consommateurs pour ces produits de première qualité va grandissant.

 

BUSINESSMAG. Selon vos résultats financiers au 30 juin 2016, les revenus du pôle Agriculture ont augmenté de Rs 56 M, passant à Rs 789 M. Quelle est la contribution de la culture vivrière et de l’élevage de poulets de chair à cette recette ? Est-elle appelée à croître ?

De ces Rs 789 millions, 12 % proviennent des fruits et légumes, soit Rs 94 millions, ce qui représente une amélioration par rapport à l’année précédente (Rs 83 millions). Cette augmentation de Rs 56 millions provient principalement de la production de poulets de chair qui était auparavant sous Sodia Ltd, filiale dissoute en décembre 2015 et incorporée à Medine Ltd. La plus grosse activité, qui reste le sucre, n’a pas subi de grands changements en termes de recette, ces deux dernières années.

Cette année, les fruits et légumes devraient représenter 10 % du budget et la production de poulets de chair, 15 %, pour un chiffre d’affaires total de Rs 948 millions pour le pôle Agriculture. Cette augmentation par rapport à l’année 2015-16 est cette fois principalement due à l’intégration complète de la production de poulets de chair à Medine Ltd et la production énergétique à partir de la bagasse.

Nous travaillons en ce moment sur des projets dans ces deux filières (poulet et fruits & légumes) et s’ils se réalisent, ils contribueront certainement à améliorer le chiffre d’affaires de la compagnie.

 

BUSINESSMAG. Dans son dernier plan stratégique, le ministère de l’Agriculture fait mention du potentiel de certains produits pour le marché du frais ou la transformation, notamment, l’oi-gnon toupie, le champignon, la papaye, le fruit de la passion et la goyave. Medine Agriculture regarde-t-il dans la même direction ?

Nous travaillons effectivement sur le fruit de la passion et la goyave. Quant à la papaye, elle est commercialisée depuis peu sous notre marque «Jardins de Medine» et connaît des débuts bien encourageants. Des cultures comme l’oignon toupie requièrent toutefois une main-d’œuvre abondante, surtout au niveau de la transplantation et à Medine, nous favorisons les cultures qui peuvent être mécanisées, du moins jusqu’à un certain point. Nous allons, par ailleurs, initier un essai semi-industriel pour la culture du riz sur une parcelle de cinq hectares très prochainement.

 

BUSINESSMAG. Au niveau national, peut-on envisager une participation plus importante de l’agrobusiness aux exportations à court, moyen et long termes ?

Nos exportations, dont le sucre constitue la part la plus importante, ont baissé de manière considérable ces quinze dernières années, passant de 600 000 tonnes à 400 000 tonnes. Cette réduction est attribuée à l’abandon des terres — principalement par les petits planteurs — et à l’utilisation des terres à d’autres fins. Les autorités et les usiniers font beaucoup d’efforts pour pallier cette diminution tout en sachant que Maurice ne produira plus autant de sucre qu’il y a 15 ans. La terre étant une ressource limitée, notre agriculture est donc en compétition avec les autres secteurs d’activités, qui eux aussi ont besoin de terres pour leur développement.

Quant aux fruits et légumes, la valeur des exportations au niveau national ces cinq dernières années se chiffre entre Rs 175 et Rs 200 millions par an et ne montre pas de signes de progression. Pour pouvoir exporter, il faut être compétitif sur le marché international et Maurice, étant éloigné des principaux marchés, a un désavantage certain. Cela dit, nous pensons qu’il y a des marchés de niche que nous pouvons exploiter. À Medine, nous avons fait un essai d’exportation avec les litchis, l’an dernier. Ils ont été vendus à la foire de Rungis, en France. Ce premier essai a été satisfaisant et nous allons le renouveler cette année avec un volume plus important. Nous travaillons aussi en ce moment sur l’exportation d’oignons vers La Réunion.

 

BUSINESSMAG. Les autorités croient fermement à la culture biologique. À votre avis, peut-on vraiment s’engager à grande échelle dans cette voie à Maurice ?

La culture biologique est en vogue mais le sujet n’est pas encore tout à fait compris. Compte tenu de la divergence d’opinions, à Medine, nous avons procédé à divers essais allant dans le sens d’un plus grand respect des éléments naturels.

Nous avons testé une dizaine de biofertilisants et de biostimulants en association avec des fertilisants classiques. Les premiers contiennent des éléments nutritifs et sont directement absorbés par les plantes. Les seconds stimulent les processus naturels pour améliorer l’absorption des nutriments. Plusieurs des tests effectués ont donné des résultats très intéressants.

Il y a aussi les biopesticides (à base d’extraits de plantes, de bactéries ou de champignons) qui peuvent être intégrés dans un programme de lutte contre des insectes ravageurs et des maladies. L’utilisation de biopesticides est tout à fait adaptée à la culture à petite échelle. Mais à l’échelle industrielle, c’est plus compliqué dû à la pression des maladies et des insectes qui se développent de manière plus importante étant donné l’envergure des cultures.

À Maurice, une vingtaine de biopesticides sont enregistrés et à Medine, nous en utilisons quelques-uns dans nos programmes de lutte intégrés. Afin que les agriculteurs puissent mener ce projet à terme et en garantir le succès, ils auront besoin d’une gamme de produits suffisamment large pour couvrir toutes les nuisances associées aux cultures vivrières. Je pense qu’il nous faudrait un plan de transition ; une période déterminée durant laquelle nous diminuerons progressivement l’utilisation des produits chimiques en introduisant les biopesticides.

 

BUSINESSMAG. Comment expliquer que nous ne soyons autosuffisants qu’à 76 % pour la pomme de terre, 40 % pour l’oignon et 18 % pour l’ail ?

La pomme de terre est cultivée par un plus grand nombre de planteurs qui en maîtrisent la production, ce qui explique les 76 %. Quant à l’oignon, il demande une préparation du sol plus fine, donc des investissements additionnels. Bien que la culture de l’oignon ne soit pas aussi bien maîtrisée que celle de la pomme de terre, beaucoup de nouveaux planteurs se sont lancés dans cette culture et le tonnage d’oignons produits localement est en hausse. Cela a d’ailleurs des répercussions directes sur la vente, qui est plus difficile cette année.

S’agissant de l’ail, sa production est restée peu développée. Je pense que ce sont les rendements à l’hectare que nous obtenons qui ne sont pas soutenables. À Medine, nous avions initié un projet il y a deux ans, mais il n’a pas été concluant. Nous essayons de trouver d’autres variétés d’ail qui s’adapteront bien à notre climat avec des rendements acceptables pour que le projet soit viable.

Mais il faut surtout savoir que ces trois produits sont saisonniers, ce qui implique le recours au stockage. Or, celui-ci a un coût qui devra être passé au consommateur avec pour résultat un produit local plus cher qu’un produit importé pendant l’entre-saison. Ajouté à cela, il y a le problème de disponibilité des terres, car ces cultures nécessitent de bonnes terres, de préférence irriguées. Donc, l’équation n’est pas aussi simple à résoudre !

 

BUSINESSMAG. Selon les derniers chiffres disponibles (2013), les importations de produits agricoles (Rs 36,4 Mds) à Maurice devancent largement les exportations (Rs 23,6 Mds). Doit-on s’en inquiéter ?

Ce n’est pas inquiétant dans le sens que Maurice a toujours été un importateur net de produits agricoles. Nous sommes un petit pays isolé avec une superficie agricole restreinte à laquelle s’ajoutent un coût de production élevé et des conditions climatiques extrêmes. Cette situation découle du fait que vers la fin des années ’90, les autorités ont décidé de libéraliser l’importation de plusieurs produits agricoles comme le maïs, l’ail, la viande de bœuf, et plus récemment le sel. En fait, c’est un choix de favoriser l’importation de produits alimentaires plutôt que d’en produire localement à l’avantage du consommateur et non du producteur.

 

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