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Interview Rencontre

David Constantin (cinéaste): «Développons l’industrie locale du cinéma tout en attirant les équipes de tournage»

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David Constantin (cinéaste): «Développons l’industrie locale du cinéma tout en attirant les équipes de tournage» | business-magazine.mu

Il compte 18 ans d’expérience dans l’audiovisuel et le cinéma. Son premier long-métrage, Lonbraz Kann, qui a bénéficié du Film Rebate Scheme, vient d’être acheté par TV5. En observateur avisé, David Constantin fait le point sur le développement de l’industrie cinématographique locale.

BUSINESSMAG. Introduit en 2012 pour encourager les cinéastes étrangers à faire leur tournage à Maurice, en bénéficiant notamment d’une subvention de 30 % sur les dépenses de production admissibles, le Film Rebate Scheme sera revu. Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour l’industrie cinématographique mauricienne ?

Le fait qu’aucune mention n’avait pas été faite dans le Budget sur le Film Rebate Scheme, nous pensions que le fonctionnement du programme allait demeurer intact. Aucune information n’a été officiellement communiquée aux acteurs locaux du secteur depuis les élections générales. C’est en mettant bout à bout des bribes d’informations que nous avons fini par comprendre que le Scheme était gelé pour un temps indéterminé. Cette absence de communication et ce flou ont des conséquences graves sur le secteur. Par exemple, il y a eu le départ d’un opérateur important du secteur, Media Rentals, qui, faute d’information sur l’avenir du secteur, a plié bagage.

On ne peut que se réjouir d’entendre le Premier ministre parler à nouveau du Rebate Scheme, mais tout cela reste toujours extrêmement flou et insuffisant pour ceux qui évoluent dans ce secteur.

BUSINESSMAG. Après trois ans, ne fallait-il pas procéder à quelques retouches au Film Rebate Scheme ?

Bien sûr, le Film Rebate Scheme a besoin d’être amélioré. Il faut, par exemple, y inclure un mécanisme assurant l’emploi et la formation des techniciens locaux. Mais je note au passage qu’une fois de plus, on préfère avoir recours à de l’expertise étrangère plutôt que d’inclure les acteurs locaux dans l’élaboration d’une nouvelle version du Scheme. C’est l’un des rares secteurs où les opérateurs ne sont pas consultés pour élaborer un programme dont ils sont les bénéficiaires.

Par ailleurs, je tiens à souligner qu’en créant le Film Rebate Scheme, le Board of Investment a repris quelque part la mission de la Mauritius Film Development Corporation (MFDC), qui aurait dû gérer ce Scheme.

BUSINESSMAG. Depuis trois décennies, on nous promet la création d’une industrie cinématographique. Or, celle-ci n’a toujours pas décollé…

La MFDC ne peut fonctionner si elle ne bénéficie pas d’un soutien fort de l’État. Il faut se demander quels sont les moyens financiers, physiques, culturels et logistiques qui ont jusqu’ici été mis à la disposition de l’organisme pour l’aider à fonctionner au mieux de ses capacités.

Ces 10 à 15 dernières années, la MFDC a servi à caser des proches des politiques, et non des gens compétents qui avaient un réel intérêt pour développer le secteur. Attendons voir ce que fera la nouvelle direction pour développer l’industrie.

BUSINESSMAG. Qu’est-ce qui explique qu’on n’arrive pas à cerner le potentiel de l’industrie cinématographique ?

La plupart des gens ne savent pas ce que c’est le cinéma. Pour eux, c’est du divertissement. Or, il y a différents types de cinéma : d’auteur, de fiction ou encore les documentaires. Il y a des emplois, des équipes de tournage qui viennent. C’est toute une industrie.

Selon le programme ACP-EU d’appui au secteur culturel de l’Union européenne, le chiffre d’affaires des biens et services créatifs était de $ 425 milliards en 2005. Les exportations de biens et services créatifs étaient de $1,77 milliard dans la région Afrique-Caraïbes-Pacifique, en comptant l’Afrique du Sud. Tandis que les importations se chiffraient à $ 4,28 milliards.

C’est vrai qu’il y a beaucoup d’argent en jeu dans l’industrie créative, mais il faut créer les conditions pour cela. Cela veut dire qu’il faut former de la main-d’œuvre, installer aux postes décisionnels des gens compétents et regarder ailleurs. Le meilleur exemple reste les États-Unis. Un film y rapporte 10, voire 20 plus fois à l’État que le montant de son soutien financier. C’est extrêmement rentable pour l’économie locale.

Des pays comme Saint Domingue, Cuba, les Bahamas, la Jamaïque et le Maroc, qui ont mis en place ce genre de soutien à la production cinématographique, ont pu développer leur industrie cinématographique.

Prenons l’exemple du Maroc. Il y a 20 ans, le pays a commencé à vouloir produire de gros films américains. On a fait venir des équipes de tournage et offert un Rebate scheme. Par la suite, le Maroc a créé une industrie du film, une école de cinéma, un fonds de soutien et un festival de films. Les grosses productions américaines viennent tourner au Maroc parce que les conditions y sont favorables : la main-d’œuvre qualifiée est disponible à moins chère.

Bien sûr, on ne va pas répliquer le même modèle à Maurice. N’empêche, on peut faire venir des équipes de tournage d’Europe, d’Inde, des pays de l’Asie du Sud-Est, d’Australie et de Chine. Ce sont des marchés potentiels pour notre industrie cinématographique.

Le développement de l’industrie cinématographique doit se faire sur deux fronts : en incitant les équipes de tournage à venir à Maurice et en créant une industrie locale où les Mauriciens produiront leurs propres films.

BUSINESSMAG. Chaque année, 75 équipes de production viennent à Maurice pour tourner des films, selon la MFDC. Sommes-nous sur la bonne voie ?

J’aimerais savoir combien de Mauriciens ont été employés sur ces tournages, à quels postes, et pendant combien de jours. Je m’entretiens souvent avec des gens qui travaillent avec des équipes de tournage indiennes. Je dois dire qu’elles emploient très peu de gens localement. Par contre, une équipe allemande qui était venue tourner plusieurs téléfilms a employé de nombreux Mauriciens.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire venir les équipes indiennes, mais qu’on ne doit pas diriger tous les efforts uniquement sur l’Inde.

BUSINESSMAG. Votre long-métrage, Lonbraz Kann, a bénéficié du Film Rebate Scheme, du programme ACP-UE d’appui aux secteurs culturels de l’UE, et a employé d’autres leviers comme le «crowdfunding» pour sa production. Y a-t-il des mécènes prêts à investir dans le cinéma à Maurice ?

Il n’y a pas de mécène qui considère que mettre de l’argent dans un film constitue un investissement. Dans beaucoup de pays, des sociétés et des particuliers investissent dans les films parce qu’en retour, ils peuvent être détaxés grâce à des mécanismes de défiscalisation. Ailleurs, le secteur bancaire a développé des produits spécifiques pour soutenir un film.

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