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Interview Rencontre

Devesh Dukhira: «Une reprise du prix du sucre fin 2015 est possible»

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Devesh Dukhira: «Une reprise du prix du sucre fin 2015 est possible» | business-magazine.mu

Le CEO du Syndicat des sucres fait le bilan de la performance de l’industrie sucrière locale qui continue à ressentir les effets de la baisse des prix en Europe. Selon lui, il est impératif que nous renforcions notre présence sur le marché européen tout en nous tournant vers des marchés avec lesquels nous bénéficions d’accords préférentiels.

BUSINESSMAG. 2014 a été une année difficile pour l’industrie sucrière qui a dû faire face à une grève de dix jours sur fond de compensation salariale. Quel bilan faites-vous de l’année écoulée ?

Nous avons eu une récolte normale en 2014 avec une production estimée à 415 000 tonnes suite à la baisse continue de la surface sous culture de la canne – superficie chiffrée maintenant à environ 52 000 hectares –, soit une baisse de 25 % sur les dix dernières années. Cela reflète désormais la capacité de production de l’industrie sucrière de Maurice.

Les opérations ont été perturbées par la grève qui a duré dix jours avec pour effet le prolongement de la récolte jusqu’à fin janvier.

Cette année a également été marquée par la baisse drastique des prix, surtout en Europe qui reste le principal marché d’exportation de nos sucres : les prix de vente y ont baissé d’environ 25 % sur les douze derniers mois, ce qui s’est traduit par une baisse sensible du prix payé aux producteurs mauriciens, estimé actuellement à Rs 12 500 la tonne pour la récolte 2014, soit une baisse de 21 % comparé à l’année précédente.

BUSINESSMAG. Dans quelle mesure les actions de grève peuvent-elles jouer contre l’intérêt de l’industrie sucrière ?

L’environnement commercial du sucre devient de plus en plus concurrentiel. Avec un surplus de disponibilité à l’échelle mondiale, nos acheteurs risquent de se tourner vers d’autres fournisseurs si pour une raison ou une autre, comme une menacede grève qui perdure, ils n’ont plus la certitude de pouvoir s’approvisionner à partir de Maurice. Il y va de la réputation de notre industrie comme un fournisseur fiable.

BUSINESSMAG. Vous reprenez le poste de CEO du Syndicat des sucres succédant à Jean-Noël Humbert. Quels sont vos dossiers prioritaires ?

La priorité au niveau commercial est de s’adapter à l’environnement du marché qui continue sur la voie de la déréglementation. Depuis la fin du Protocole Sucre en 2009, notre industrie n’a plus de filet de protection en Europe et le prix garanti est chose du passé. En prévision de la libéralisation de la production en Europe, en 2017, les principaux betteraviers se positionnent pour augmenter leur part de marché, ce qui explique en partie la baisse drastique du prix depuis l’annonce de cette mesure l’année dernière.

Comme l’Europe reste l’un des marchés les plus fiables et plus rémunérateurs à moyen terme, Maurice a tout intérêt à s’y trouver une place. Nous devons nous différencier du sucre de  betterave en ajoutant de la valeurà nos produits. Avec une production de seulement 300 000 tonnes de sucre blanc comparé à une consommation de 16 millions tonnes en Europe, notre industrie peut trouver la souplesse pour s’adapter à ce nouvel environnement tout en restant compétitive. C’est ce que nous essayons de faire à travers les nouveaux accords commerciaux que nous sommes en train de finaliser et qui remplaceront l’accord avec Suedzucker qui tire à sa fin en septembre.

En parallèle, il est de notre intérêt d’optimiser les nouveaux outils de production, notamment les raffineries, et le know-how de l’industrie tout entière pour prendre avantage des opportunités de vente dans d’autres marchés en dehors de l’Europe. Nous allons nous concentrer sur les marchés où Maurice bénéficie d’accords pour un accès préférentiel pour ses produits, tel que le COMESA. Tout comme pour nos sucres spéciaux que nous vendons déjà dans plus de 40 différents pays, nous comptons diversifier davantage le marché pour le reste de la production, c’est-à-dire le sucre raffiné.

BUSINESSMAG. Le choix du Syndicat des sucres s’est porté sur Cristalco pour remplacer Suedzucker. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Cristalco est un acheteur de sucres spéciaux de Maurice depuis de nombreuses années. Alors que le Syndicat des sucres s’était engagé depuis 2013 dans une étude visant à établir les meilleures options stratégiques pour la commercialisation de son sucre raffiné en Europe après la fin du contrat actuel avec Suedzucker, Cristalco avait été identifiée comme étant l’un des partenaires potentiels les plus intéressants, qui pourrait permettre au Syndicat d’atteindre ses principaux objectifs stratégiques tant en termes de présence sur les marchés les plus rémunérateurs que par la recherche de valeur ajoutée pour ses sucres.

Cristalco est le cinquième plus gros fournisseur de sucre sur le marché européen avec une production de 1,5 million de tonnes de sucre annuellement. Avec la décision de la Commission européenne de libéraliser les quotas de production en 2017, elle s’est embarquée dans la consolidation de ses parts de marché au-delà de ses frontières, et est déjà présente dans de nombreux pays en Europe y compris les marchés déficitaires que sont l’Italie, la Grèce et la péninsule ibérique. Le sucre de Maurice, qui sera exporté directement vers ces destinations, lui permettra ainsi de consolider et d’étendre sa présence davantage.

Par ailleurs, Cristalco est également le plus important fournisseur de sucre de l’industrie agroalimentaire française alors que sur le marché du détail, elle a réussi à se différencier de la concurrence par l’innovation sous sa marque Daddy. Elle apportera dans ce contexte son soutien au Syndicat pour rechercher de la valeur ajoutée. Je dois souligner le fait que Cristalco a soumis l’offre la plus compétitive en termes de rémunération avec, en plus, une mutualisation des coûts. Le Syndicat pourra ainsi bénéficier des meilleurs prix du marché.

Vu notre objectif commun sur le positionnement de nos sucres sur le marché, nous pensons que cette relation avec Cristalco pourra durer longtemps. Le contrat prévoit en fait un réexamen à mi-parcours du partenariat avec la possibilité de l’étendre au-delà de 2019.

BUSINESSMAG. Outre le COMESA et la SADC, quels sont les marchés que nous devons cibler dans le cadre de notre stratégie de diversification ?

Bien que l’Europe reste pour nous le marché le plus fiable et le plus rémunérateur à moyen terme, le Syndicat des sucres a son regard tourné vers d’autres destinations. Les sucres spéciaux sont déjà exportés vers une vingtaine de pays en dehors de l’Europe, notamment aux États-Unis, en Europe de l’Est, en Russie, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est et même en Afrique orientale et australe.

Nous continuons à explorer les perspectives de vente pour ces produits haut de gamme dans les marchés les plus pertinents. Nous souhaiterions cibler surtout les marchés émergents tels que l’Inde et la Chine et avons sollicité le soutien du gouvernement pour  négocier des accès préférentiels vers ces destinations où le sucre est considéré comme produit sensible, étant donc sujet à des barrières tarifaires et non tarifaires importantes.

En ce qui concerne le sucre blanc, avec la fin de l’accord d’exclusivité avec Suedzucker sur le marché européen, nous avons commencé à explorer des opportunités de vente dans la région, en prenant surtout avantage des accès préférentiels sous le COMESA ou la SADC. Nous avons déjà conclu un accord pour fournir 10 000 tonnes de sucre raffiné sur le marché de l’Afrique de l’Est.

BUSINESSMAG. Quels seront les défis que l’industrie sucrière devra relever en 2015 ?

Malgré des prévisions d’un marché sucrier plus ou moins équilibré à l’échelle mondiale, le stock accumulé pendant les quatre dernières années de surplus pèsera toujours sur les prix. Ce ne sera qu’en fin 2015 que nous pourrons nous attendre à une reprise au niveau du prix.

D’après les prévisions de l’International Sugar Organisation, la consommation mondiale continue à augmenter d’environ
2 % annuellement, alors que la production ne suivrait pas cette tendance, d’où notre optimisme pour une amélioration des prix sur le moyen terme. Nous estimons donc que les prix ne peuvent que s’améliorer à partir de la prochaine année.

BUSINESSMAG. Le gouvernement promet de compenser les petits planteurs qui ont enregistré une baisse de leurs revenus suivant la chute du prix du sucre sur le marché mondial. Vos commentaires ?

Nous nous réjouissons de cette démarche car elle donnera de l’oxygène aux planteurs qui subissent effectivement des difficultés avec le niveau actuel du prix. Il faut cependant faire ressortir que la plupart des producteurs sucriers au monde, même dans les pays les plus compétitifs, perdent de l’argent en ce moment. Certains d’entre eux  profitent de la dépréciation de leur devise, comme la roupie en Inde ou le real au Brésil, alors que d’autres bénéficient directement des subsides de leur gouvernement, tel que les crédits à l’exportation en Inde.

Comme je l’ai déjà souligné, le cours baissier ne devrait pas durer trop longtemps avec le début d’un cycle déficitaire à l’échelle mondiale prévu pour l’année prochaine et qui devrait voir une amélioration des prix de vente. Sur le plus long terme, l’International Sugar Organisation prévoit une hausse de la consommation, surtout en Asie du Sud et du Sud-Est et aussi en Afrique, qui excédera  toute augmentation de la production, et nous risquons de manquer du sucre à l’échelle mondiale dans 5 ou 6 ans.

BUSINESSMAG. Avec les Sugar and Isoglucose Quotas qui seront abolis par l’Union européenne en octobre 2017, l’Europe devrait devenir auto-suffisante en sucre. Comment cette mesure affectera-t-elle l’industrie sucrière locale ?

Avec la libéralisation des quotas de production en Europe, ce marché devrait, en effet, devenir autosuffisant. Cependant, comme pour tout produit agricole, la production serait sujette aux conditions climatiques et, dans le cas du sucre, il y aura aussi le risque que les planteurs de betterave se tournent vers d’autres cultures  telles que le blé, le maïs, le soja. Tout dépendra du prix de revient. Nous nous attendons donc à un prix plus volatil en Europe à l’avenir avec des hauts et des bas, une situation qui risque d’être exacerbé par le fait que les producteurs sucriers pourront également exporter leurs sucres en dehors de l’Europe, sans contrainte sous les règles de l’OMC, si les prix y sont plus rémunérateurs. Il est donc nécessaire pour Maurice premièrement de rester compétitif et, deuxièmement, de déve-lopper des segments pour ses sucres qui seront moins exposés à cette volatilité de prix.

BUSINESSMAG. Les autorités ont annoncé qu’elles envisagent de revoir la Multi-Annual Adaptation Strategy afin de compléter la réforme et jeter les bases pour une industrie cannière solide. Quel est votre avis sur la question ?

La compétitivité du sucre mauricien est une priorité pour la survie de l’industrie. Nous accueillons donc favorablement toute démarche visant à  la rendre plus efficiente et compétitive.

BUSINESSMAG. On note une demande grandissante pour des produits sains comme la stévia, le miel et les édulco-rants. Ces produits alternatifs risquent-ils d’affecter le sucre ?

Bien que l’industrie agro-alimentaire soit toujours en quête de produits alternatifs au sucre, leur succès est mitigé en raison des coûts de production élevés et de l’acceptation de ces produits par les utilisateurs. À ce jour, le sucre de canne ou de betterave reste la principale consommation de bouche, quoiqu’il existe aussi le segment sucre naturel de canne que nous exploitons déjà à fond avec notre gamme des sucres spéciaux.

Les autres édulcorants, malgré leur succès dans l’industrie des boissons aux États-Unis, avec une pénétration du marché de l’ordre de 43 %, sont moins populaires en Europe où ils ne représentent que 5 % de la consommation. Même si les quotas de production pour ces édulco-rants seront également enlevés en 2017, tout investissement additionnel dans ce secteur ne sera profitable que si le prix du sucre grimpe à des niveaux au-delà de ce qui est anticipé. De plus, l’enjeu est de faire accepter ces édulcorants par les utilisateurs industriels qui ne seront réconfortés que si le prix du sucre reste de façon persistante à des niveaux élevés.