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Interview Rencontre

François Vitry Audibert «Penser que les agriculteurs passeront du jour au lendemain du ‘tout chimique’ au ‘zéro chimique’ est une utopie»

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François Vitry Audibert «Penser que les agriculteurs passeront du jour au lendemain du ‘tout chimique’ au ‘zéro chimique’ est une utopie» | business-magazine.mu

L’industrie cannière a de l’avenir. Le président de la Chambre d’Agriculture en est convaincu. Il estime toutefois qu’elle doit se réorganiser en fonction de l’abolition des quotas sucriers en septembre 2017 et les implications commerciales et les opportunités qui se présentent avec le Brexit.

BUSINESSMAG. En tant que nouveau président de la Chambre d’Agriculture, quelles seront vos priorités ?

Actuellement, il y a deux sujets importants qui s’inscrivent dans la continuité des actions de l’année précédente. D’abord, il y a la réorganisation de l’industrie face aux challenges européens en 2017, c’est-à-dire l’abolition de quotas de production pour les betteraviers. Nous devons rester compétitifs et avoir un produit de qualité. Le second, plus local, c’est le projet Smart Agriculture et son objectif de réduire durablement l’utilisation de produits chimiques en culture vivrière. Cela concerne tous les planteurs.

BUSINESSMAG. Récemment, le CEO du Syndicat des sucres affirmait que malgré l’abolition des quotas sucriers en Europe en 2017, Maurice pourra toujours se tirer d’affaire en exportant des sucres spéciaux. Partagez-vous cet avis ?

Avec l’échéance de l’abolition des quotas, nous devons nous remettre en question pour être compétitifs face au produit européen. Historiquement, notre marché est l’Europe et nous avons réussi à instaurer une certaine confiance dans notre produit. Il faut capitaliser là-dessus. D’ailleurs, nous sommes soumis à des audits détaillés de la part des firmes comme Coca-Cola et autres. Et nous satisfaisons leurs normes de qualité et de sécurité.

BUSINESSMAG. L’autre challenge pour le secteur sucrier mauricien est la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne…

Nous commercialisons environ 50 000 tonnes de sucre sur le marché britannique. Une part de nos sucres spéciaux est également livrée en Angleterre. Mais il est peut-être trop tôt pour s’alarmer. Il faut cependant être vigilant et se tenir prêt à toute éventualité. La Chambre d’Agriculture et le Syndicat des sucres suivent de près ce dossier avec Business Mauritius et le ministère des Finances. Le marché britannique est déficitaire en sucre, ce qui est une opportunité pour Maurice. Mais nous ne serons pas les seuls. C’est là où la qualité et la diversité de notre sucre peuvent faire la différence.

BUSINESSMAG. L’industrie sucrière se développe graduellement en une filière cannière. Comment le processus de diversification se met-il en place ?

La diversification est en marche. Pour preuve, tout le sucre est raffiné à Maurice. Nous produisons des sucres spéciaux. De la bagasse, nous produisons de l’énergie et de l’éthanol à partir de la mélasse. La vinasse provenant de la distillerie est transformée en C.M.S qui est utilisé comme fertilisant aux champs. Alors que les cendres de charbon des centrales thermiques seront, après traitement, mélangés au ciment. Le gaz carbonique pour les boissons gazeuses est le produit de la fermentation de la mélasse.

BUSINESSMAG. Le Syndicat des sucres a racheté 28 000 tonnes du sucre brut importé par Omnicane. Que fera Omnicane avec le tonnage restant ?

Le sucre restant sera raffiné et exporté sous différentes formes voire différents grades de sucre vers le marché du COMESA et l’Europe, entre autres. Si la raffinerie d’Omnicane n’a pas assez de sucre pour opérer, elle devra exporter le sucre.

BUSINESSMAG. Revenons au projet Smart Agriculture lancé par la Chambre d’Agriculture en début d’année. L’État est en faveur du bio, tandis la Chambre penche pour l’agriculture raisonnée. Comment expliquer cette divergence d’opinion ?

Soyons clairs : ces deux objectifs sont totalement compatibles. D’ailleurs, nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement sur tous les aspects de la production vivrière. Pour faire de l’agriculture biologique, c’est-à-dire produire des légumes sans l’utilisation de produits chimiques, il faudra que les planteurs passent par une période de transition durant laquelle il y aura une réduction progressive de l’utilisation des produits chimiques, qui est l’agriculture raisonnée. Osez penser que les agriculteurs passeront du jour au lendemain du ‘tout chimique’ au ‘zéro chimique’ est totalement utopique. Il y a aujourd’hui plus de 8 000 agriculteurs qui produisent 120 000 tonnes de légumes sur 8 000 hectares. Il faut les accompagner dans cette transition de production.

BUSINESSMAG. La Chambre d’Agriculture a sollicité l’aide des Réunionnais pour l’agriculture raisonnée. Pourtant, il y a des opérateurs qui maintiennent que l’agriculture raisonnée a été un échec à La Réunion…

Effectivement, nous avons sollicité l’aide de la CIRAD de La Réunion pour nous accompagner dans le projet Smart Agriculture. Je ne connais pas ces opérateurs qui prétendent que l’agriculture raisonnée a été un échec à l’île sœur. Mais je sais qu’il existe effectivement plusieurs méthodes de production : l’agriculture conventionnelle, l’agriculture raisonnée, l’agriculture biologique, la permaculture, le zero budget natural farming, la progressive farming, la culture hors-sol, l’hydroponique, l’aquaponie, entre autres. Laquelle est la bonne, laquelle est meilleure, laquelle est la plus économique, laquelle est la plus fiable ? À notre niveau, nous avons choisi de promouvoir l’agriculture raisonnée car elle répondait au mieux aux attentes de production des membres de la Chambre d’Agriculture. Nous ne venons en aucune façon prétendre qu’elle est meilleure ou supérieure à une autre méthode de production, mais pensons qu’elle est la mieux adaptée à nos conditions.

À travers notre programme Smart Agriculture, notre message est simple et direct : nous nous devons de revoir nos méthodes de production pour répondre aux besoins des consommateurs – offrir des produits sains – tout en maintenant une rentabilité économique pour les planteurs, car sans eux, il n’y a pas de production. Il faut mettre en place un certain nombre de réformes et avoir une législation appropriée pour l’encadrement des planteurs. Il faut rendre obligatoire l’enregistrement de tous les planteurs en y associant un minimum d’informations sur leur production. Et mettre en place des programmes de certification pour avoir une vraie définition des divers types de production. On doit également mettre en place une association qui protégera le planteur qui veut pratiquer du Smart Agriculture, car il aura à prendre des risques.

BUSINESSMAG. L’industrie du thé bénéficie également d’une attention particulière des autorités. Comment donner une nouvelle impulsion à ce secteur ?

Ce secteur est actuellement en pleine crise. La venue d’un nouvel acteur étranger sème la pagaille parmi les producteurs locaux. Actuellement, il n’y a pas de la place pour un producteur supplémentaire. En acceptant l’implantation de cette compagnie étrangère, sans concertation avec les acteurs locaux qui sont en place depuis des décennies, les autorités menacent la survie même des producteurs de thé. Il est urgent de mettre en place une cellule de crise pour revoir cela.

BUSINESSMAG. Maurice est désormais une économie tournée vers les services. Cela dit, quelle est la place de l’agriculture au sein de l’économie ?

L’agriculture a encore de beaux jours devant elle. Nous ne disons pas que cela sera facile. Il nous faut produire localement pour limiter nos importations. Notre plus gros défi sera la disponibilité des terres. On ne peut arrêter le développement. Il nous faudra quand même préserver une superficie de terres fertiles pour encore une fois, produire localement et limiter nos importations, et aussi encourager et ramener les jeunes vers l’agriculture. Donnons-leur l’opportunité d’innover avec les nouvelles technologies qui sont aujourd’hui à leur disposition. Maurice doit mécaniser à tout prix son agriculture. Ce ne sont plus les jeunes qui travailleront dans les champs, mais les techniciens et autres opérateurs de machines.

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