Type to search

Interview Rencontre

Hervé Duval: « Maurice peut devenir un fournisseur de services pour les sociétés chinoises »

Share
Hervé Duval: « Maurice peut devenir un fournisseur de services pour les sociétés chinoises » | business-magazine.mu

Grâce à son système légal qui combine les lois anglaise et française, Maurice peut servir de pont pour les échanges entre la Chine et l’Afrique, souligne le conseil légal au cabinet Ahnee-Duval.

BUSINESSMAG.Vous venez d’être nommé consultant auprès de la China Research Centre for Legal Diplomacy. Quels sont les projets que vous comptez entreprendre ?

L’une des priorités du centre est de renforcer les échanges légaux entre l’Afrique et la Chine. Cela vient d’un constat qu’il y a beaucoup de soucis quand on parle de coopération entre ces deux régions car le trafic d’investissement est plutôt canalisé en Afrique à partir de la Chine.

Le plus grand challenge sera de faire comprendre, surtout au niveau de Maurice, que nous avons un rôle à jouer. Notre pays est très petit et n’intéresse pas vraiment la Chine. Par contre, nous avons un rôle important s’agissant de l’investissement lui-même. 

Aujourd’hui, la partie chinoise trouve qu’il faut une meilleure compréhension des lois et avoir des échanges afin d’éviter beaucoup de problèmes, surtout en matière des lois liées à l’investissement. Les Chinois veulent savoir qu’eux-mêmes et leurs investissements sont en sécurité, qu’il n’y aura pas de nationalisation et que leurs revenus peuvent être rapatriés facilement. Et aussi qu’en cas de litige entre eux et une partie africaine, qu’ils auront une « fair dispute resolution ».

La première chose qu’il faut comprendre, c’est que l’Afrique comprend 54 pays avec des cadres légaux différents. Maurice étant un pays neutre, sans conflit d’intérêts avec les deux parties concernées et avec un système légal unique, qui est un mixte des systèmes anglais et français, elle peut avoir un rôle déterminant à jouer. L’avantage est donc de pouvoir agir en tant que pont pour les échanges entre l’Afrique et la Chine. Mon rôle est de faciliter les échanges de tous ces investisseurs qui veulent aller en ce sens. Le but est de faire de Maurice un centre d’échanges où les Chinois viendront pour se familiariser avec les lois mauri-ciennes et africaines. Maurice a déjà marqué beaucoup de points pour devenir un centre d’arbitrage international.

Mon projet est de rassembler tout le monde pour dire que : « China needs us but does not know it yet. » Nous ne sommes pas assez présents sur les radars des investisseurs chinois.Ce n’est que maintenant qu’ils commencent à connaître Maurice comme une « holiday destination ». Certains nous connaissent pour nos activités offshore, mais c’est dommage de réduire l’image de Maurice à cela. Nous pouvons être un allié pour la Chine, et cela représente un potentiel énorme.

BUSINESSMAG. Quelles pourraient être les retombées pour Maurice si elle se positionnait comme un centre d’arbitrage entre l’Afrique et la Chine ?

Imaginez que Maurice devienne la destination préférée des Chinois comme leur base d’opération.Les retombées économiques seraient alors significatives. Il faudra loger ces Chinois, ce qui donnerait un nouveau souffle au secteur immobilier. Ces compagnies qui feront de Maurice leur base d’opération auront besoin de ressources humaines. Ils pourront même s’installer ici pour aller travailler en Afrique. Maurice peut devenir un ‘service provider’ pour les investisseurs chinois prospectant l’Afrique.

BUSINESSMAG. De par la mixité de notre système légal, nous pouvons traiter avec la plupart des pays africains. Cela dit, notre cadre juridique est-il assez accommodant et flexible concernant les lois chinoises ?

Un fait intéressant à savoir est que le système légal de la Chine s’est construit pendant les 30 dernières années. Les Chinois ont pu s’inspirer des meilleurs éléments des systèmes anglais, français, allemand, japonais et russe. Il y a cependant besoin d’une cohésion. Et puis, 30 ans, c’est assez court pour un système légal.

La réalité du droit et la théorie du droit sont différentes. La vitesse du développement économique de la Chine est telle qu’il a été impossible pour son système légal d’évoluer au même rythme. Quel est le rôle que jouera Maurice ? Ce n’est pas d’apprendre aux Chinois comment faire chez eux, mais plutôt de dire que nous avons cette expérience de la pratique de la loi. Ainsi, quand les jeunes viendront ici en formation, ils auront l’expérience de la pratique de la loi dans un système hybride.

L’arbitrage est la solution préférée pour la résolution des conflits et il y a une très forte volonté de la part des Chinois de mettre en place un système spécifique concernant la Chine et l’Afrique. Il faut aussi mentionner que la Chine a cette perception de ne pas toujours avoir un « fair hearing » dans les instances internationales.

BUSINESSMAG. Est-ce vraiment le cas ?

C’est difficile à dire. La Chine est aujourd’hui la deuxième force économique mondiale. Cependant, en comparant l’influence que les pays européens peuvent avoir sur les systèmes juridiques en fonction de leur poids économique, on voit qu’il y a une disparité conséquente.

Les Chinois souhaitent avoir un système de résolution de conflits qui est basé sur les caractéristiques sino-africaines. En outre, il faut qu’il soit simple, pas cher et encourage la médiation.

BUSINESSMAG. Sommes-nous assez équipés en termes de ressources humaines pour répondre a un tel besoin?

Le problème de ressource va être crucial. Nous risquons d’avoir une grande demande dans le futur si nous arrivons à nous rendre utiles et visibles. Nous avons les ressources pour la première étape car effectivement, il ne faudra pas essayer de vendre ce dont nous ne disposons pas.

Nous avons justement la possibilité d’exposer les jeunes Chinois qui veulent apprendre autre chose et aller en Afrique. Le premier obstacle auquel il faut s’attaquer est la barrière des langues, qui est un gros problème entre les Chinois et les Africains. Nous devons aider la Chine à dédramatiser l’utilisation de l’anglais.

BUSINESSMAG. Est-ce que l’arbitrage peut devenir un pillier economique à long terme ?

Il faut savoir que les Chinois qui ont besoin d’être en Afrique le sont déjà. À l’heure actuelle, la majorité des investissements chinois se font à travers les entreprises parapubliques qui investissent dans le pétrole et l’extraction des minéraux à travers les traités bilatéraux.

Par contre, nous avons aussi en Chine ces autres investisseurs qui voient dans l’Afrique un potentiel énorme en raison de l’émergence de sa classe moyenne avec bientôt un milliard de consommateurs. Ce sont ces gens-là qui voudraient être en Afrique et ont besoin d’être guidés. D’où la raison d’encourager des échanges en droit afin d’assurer un « level playing ground », juste pour pouvoir leur dire que Maurice est là, si jamais ils ont un problème. Déjà, en fournissant ce service, cela encouragera plus d’investisseurs en Afrique.

Notre rôle n’est pas celui d’un « middle-man » inutile. Nous sommes en train d’attirer en Afrique du business qui n’aurait pas été canalisé vers ce continent autrement. C’est du win-win. Cela me paraît tellement évident que si on veut devenir une économie orientée vers les services comme Dubaï et Singapour, ceci est la meilleure opportunité.

La Chine est en train de bouger. Bientôt, quand nous allons acheter bon marché, nous n’allons plus nous tourner vers la Chine.Il ne faut pas aller chercher la quantité en Afrique, mais plutôt la qualité.