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Interview Rencontre

Jean-Louis Pismont et Gregory de Clerck : «La Corée peut aider à faire grimper nos arrivées d’Asie»

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Jean-Louis Pismont et Gregory de Clerck : «La Corée peut aider à faire grimper nos arrivées d’Asie» | business-magazine.mu

Jean-Louis Pismont, nouveau président de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice, et son prédécesseur à ce poste, Gregory de Clerck, livrent leurs impressions sur l’industrie touristique locale. Regards croisés sur un secteur «où il faut sans relâche se remettre en question». (Cet entretien a été réalisé avant le Budget)

BUSINESSMAG. Jean-Louis Pismont, le 22 juin dernier, vous avez succédé à Gregory de Clerck à la présidence de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM). Comment envisagez-vous votre mandat ?

Jean-Louis Pismont (J.-L. P.) :J’ai de la chance, le tourisme à Maurice se porte bien, les nouvelles stratégies de régulation et de promotion de la destination portent leurs fruits. Je pense, cependant, qu’il nous faut moderniser la communication au niveau de notre association pour qu’elle devienne aussi une force de proposition.

BUSINESSMAG. Vos priorités seront-elles les mêmes que votre prédécesseur ?

J.-L. P. :Mes priorités sont que l’AHRIM suive l’actualité, accompagne activement les autorités et ses membres, recherche des voies de réflexion à travers des études auprès de tous nos stakeholders. Il m’importe surtout que l’ensemble de nos membres valide chacune des décisions de l’association, avec pour priorité absolue de parler d’une même voix !

BUSINESSMAG. Vous l’avez dit, l’industrie touristique à Maurice se porte bien. C’est d’ailleurs l’un des rares secteurs de l’économie locale affichant une belle croissance. Quels sentiments cela vous inspire-t-il ?

J.-L. P. :Le tourisme est une industrie où il faut sans relâche se remettre en question : investissements dans les infrastructures, les ressources humaines, visibilité de la destination dans un monde ultra compétitif, connectivité aérienne… Ce sont autant d’éléments qui doivent constamment être revus par tous les acteurs de la destination. Si on y ajoute l’Internet, que nous n’avons pas encore réussi à exploiter au maximum au bénéfice du secteur, il est hors de question pour nous de nous reposer sur nos lauriers !

BUSINESSMAG. À combien estimez-vous le nombre d’arrivées touristiques cette année ?

J.-L. P. :Nous atteindrons sans doute 1,3 million de touristes en 2016 et ne pouvons que nous réjouir de cette très belle performance ! Grâce aux efforts des autorités et des opérateurs, nous aplanissons considérablement les effets négatifs de la basse saison. L’arrivée de nouvelles compagnies aériennes, et non des moindres, nous pousse à penser que notre visibilité sera encore plus importante dans les mois à venir. Nous ne pouvons que souhaiter une présence pérenne de ces nouveaux venus sur la destination.

BUSINESSMAG. Gregory de Clerck, après deux ans passés à la présidence de l’AHRIM, diriez-vous, que certains facteurs pourraient freiner la progression de l’industrie touristique locale ?

Gregory de Clerck (G. de C.) :Il y a de nombreux facteurs possibles et l’on peut imaginer n’importe quel scénario. Néanmoins, cela n’est peut-être pas nécessaire. Pour les opérateurs du secteur touristique, la croissance économique des marchés émetteurs reste un facteur clé de réussite. L’intérêt que suscite Maurice auprès des compagnies aériennes demeure aussi un élément fort, couplé à un coût du baril qui reste raisonnable et ne rend pas, de ce fait, le prix des vols long-courriers hors de portée. N’oublions pas non plus que notre île a une capacité d’accueil limitée ; c’est une bonne chose si nous voulons augmenter la valeur unitaire de notre tourisme. Ce rehaussement de la valeur unitaire est d’ailleurs un objectif qui converge avec le souhait des autorités.

BUSINESSMAG. Dans un entretien paru dans ces mêmes colonnes en février, vous faisiez ressortir que plus de 1 200 postes étaient à pourvoir dans une cinquantaine d’hôtels de l’île. La situation a-t-elle évolué depuis ?

G. de C. :Cette déclaration date du début de l’année. Nous étions alors en pleine saison estivale et quasiment tous les hôtels de l’île affichaient des niveaux d’activité élevés. Il est clair qu’en ce mois de juillet, la situation est différente. Il y a toujours des postes disponibles, mais ils se chiffrent à environ 350 pour l’instant, selon nos membres. Les besoins en personnel s’accentueront de nouveau à l’approche du mois de novembre.

BUSINESSMAG. Selon les opérateurs, le secteur touristique, à Maurice, souffre d’un manque de main-d’œuvre qualifiée, à l’exemple du textile ou du Business Process Outsourcing (BPO). Qu’en est-il ?

G. de C. :Oui, effectivement. Dans notre secteur, les exigences du métier font que nous devons toujours être entourés d’équipiers formés et qualifiés pour répondre aux besoins et attentes de nos clients en provenance d’un nombre grandissant de pays différents. Il y a eu, pendant un moment, des flux entrants insuffisants de main-d’œuvre formée, d’une part, et, de l’autre, des départs trop nombreux d’employés expérimentés. Ceux-ci quittent le secteur hôtelier pour aller travailler sur les bateaux de croisière, émigrer, voire se mettre à leur compte. Le résultat a été qu’au bout de quelques années, il y a eu un déséquilibre significatif sur le marché de l’emploi car entre-temps, le parc hôtelier s’est agrandi, tout comme le secteur du BPO, qui attire les mêmes profils de jeunes que l’hôtellerie. Nous sommes pleinement conscients de cette problématique, aussi l’AHRIM s’est-elle attelée, depuis 2014-2015, à élaborer des solutions à court, moyen et long termes pour nos membres hôteliers de même que le secteur en général.

BUSINESSMAG. De quelles compétences le tourisme mauricien aura-t-il besoin dans les années à venir ?

G. de C. :Comme tout secteur, celui de l’hôtellerie aussi est sujet au changement, qui plus est, rapide, car l’industrie du voyage et du tourisme est en pleine ébullition à travers le monde. Les chiffres récents de l’Organisation mondiale du tourisme sont éloquents : ils révèlent des taux de croissance annuelle systématiquement supérieurs à 4 % depuis la sortie de crise de 2010 à ce jour. Nos besoins futurs sont donc centrés sur cette forte croissance et les formes multiples qu’elle prend : la montée en puissance des aéroports et des lignes aériennes, les révolutions dans les canaux de distribution et de vente, la «désintermédiation» entre vacanciers et logements, l’instantanéité des retours clients sur les réseaux sociaux, les besoins de gestion en continu de la réputation de nos établissements, sans oublier le souci de compétitivité face à une concurrence grandissante. Il faut y ajouter des opérations hôtelières de plus en plus complexes et délicates visant à assurer le bien-être d’un client cosmopolite mais bien averti. Le personnel de demain est appelé à être riche en aptitudes, empli de qualités humaines et polyvalent dans ce qu’il pourra donner à chacun de ses clients.

BUSINESSMAG. Les Britanniques ont voté pour une sortie de l’Union européenne. Si ce choix se traduit dans les faits, quelles répercussions prévoyez-vous sur l’industrie touristique locale ?

G. de C. :Je ne pense pas que nous puissions à ce jour anticiper les répercussions à venir. La route est encore longue même si dans l’immédiat, l’affaiblissement de la livre sterling et l’incertitude créée par le référendum nous affectent négativement. En 2015, nous avions accueilli 130 000 touristes anglais – un record absolu. L’attractivité de Maurice sur le marché anglais reste un point fort à défendre.

BUSINESSMAG. Le couloir aérien entre l’aéroport de Changi, à Singapour et le Sir Seewoosagur Ramgoolam International Airport, a été inauguré au mois de mars. Quelles opportunités représente-t-il pour les membres de l’AHRIM ?

J.-L. P. :L’Asie, mais aussi l’Afrique, sont certes des axes à développer. Toutefois, la stabilisation de nouveaux axes de voyage à travers la promotion touristique ne se fait pas du jour au lendemain. Aussi, je pense qu’il est encore trop tôt pour répondre à cette question. Je dirai malgré tout que certains pays, très rémunérateurs, tels que la Corée, où Maurice est déjà bien connu, peuvent aider à faire progresser rapidement nos arrivées de cette partie du monde.

BUSINESSMAG. En dépit de ce premier pas, le marché asiatique est donc loin de nous être acquis…

J.-L. P. :Oui, il nous reste un long chemin à parcourir avant que nous devenions une destination de référence sur le marché asiatique. Mais l’on pouvait en dire autant du marché européen il y a à peine 25 ans et nous avons réussi à y asseoir notre réputation… Pour ce qui est de la Chine en particulier, l’AHRIM tente d’apporter les bonnes réponses à plusieurs questions : l’engouement de l’ensemble des opérateurs locaux pour ce marché a-t-il été trop soudain ? Quel type de clientèle voulions-nous attirer de ce vaste pays ? À quelle époque ? Sur quel segment budgétaire ? Avons-nous été tentés de favoriser le quantitatif plutôt que le qualitatif ? Dans tous les cas, les investissements promotionnels doivent être soutenus et s’inscrire dans le temps. Trop souvent avons-nous cru en des destinations que nous pensions développer en une saison !...

BUSINESSMAG. Le positionnement de Maurice dans le segment «Meetings, Incentives, Conferences & Events» (MICE) s’est renforcé ces dernières années. Cependant, l’accès des opérateurs locaux à certains marchés, à l’instar de l’Europe, voire de l’Afrique de l’Est, reste difficile dans ce domaine. Votre point de vue ?

J.-L. P. :L’île Maurice, il convient de le dire, est à la fois proche mais aussi loin de tout… la clientèle européenne, par exemple, dispose de centaines de destinations MICE de haute qualité n’exigeant pas de déplacements conséquents. De plus, d’autres destinations que la nôtre offrent des tarifs aériens beaucoup plus attractifs. Or, pour ce type d’événements, l’on fait voyager un grand nombre de personnes et dans ce cas, les différences budgétaires avec la concurrence sont importantes. S’agissant du marché de l’Afrique de l’Est, notre accès y est encore peu développé.

BUSINESSMAG. Il est un fait que les Maldives ont su s’attaquer au marché chinois bien avant Maurice. À ce propos, le ministre du Tourisme, a d’ailleurs avancé que «nous ne devons pas commettre les mêmes erreurs avec le marché africain»…

J.-L. P. :Au risque de me répéter, je dirai qu’il est impératif de répondre avec pertinence à certaines questions : devons-nous faire primer la quantité ou la qualité ? Que voulons-nous exactement ? Un équilibre judicieux entre la qualité et une contribution importante au panier moyen, suivant les saisons, pourrait être l’une des pistes de réflexion à emprunter.

G. de C. : La success-story des Maldives par rapport au marché chinois est un cas très rare, selon moi. La croissance que connaît le Sri Lanka, par exemple, est très différente et je ne pense pas que les Seychelles feront de tels bonds non plus. Le développement des pays
africains aura certainement aussi ses particularités et Dieu sait combien ces pays constituent un ensemble hétérogène. Oui, nous restons attentifs aux pays émergents du continent africain et nous pouvons façonner notre offre touristique à l’intention de cette partie du monde de très belle manière.

BUSINESSMAG. A quel point êtres-vous préoccupés par la sécurité des touristes ?

G. de C. : La sécurité est et a toujours été une considération principale dans le choix d’une destination de vacances. Aujourd’hui, cette considération se justifie davantage étant donné les événements qui ont marqué l’actualité récemment. Pour nous, les hôteliers, la sécurité est primordiale ; nous faisons ce qui nous semble nécessaire afin de réduire les risques et d’améliorer le climat de sécurité dans nos établissements. Nous sommes en accord avec les autorités sur ce besoin de maintenir, voire de rehausser le niveau de sécurité si besoin est. Cela dit, il y a de nombreux aspects qui incombent à d’autres stakeholders autour de nos hôtels et nous nous efforçons de les impliquer aussi dans notre action. La sécurité est l’affaire de tous.

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