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Interview Rencontre

Khalil Elahee: «Maurice a besoin d’un mix-énergétique cohérent»

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Khalil Elahee: «Maurice a besoin d’un  mix-énergétique cohérent» | business-magazine.mu

Il ne suffit pas d’avoir un bon mix-énergétique. Le développement du secteur de l’énergie passera par une approche intégrée et un fonctionnement efficace des institutions qui y sont concernées, souligne l’universitaire Khalil Elahee.

BUSINESSMAG. Dans le Budget 2015-16, le gouvernement a annoncé la création de la Mauritius Renewable Energy Agency. Comment voyez-vous cette initiative ?

C’est une bonne initiative, mais il faudra que cette instance soit séparée du ministère de l’Énergie. L’expérience de l’Energy Efficiency Management Office (EEMO) nous montre qu’il est difficile de recruter les compétences dans ce domaine, de bouger vite, par exemple dans la sensibilisation ou encore d’être dynamique dans la prise de décisions si tout doit passer par le ministère.

Éventuellement, puisque avec la décentralisation de la génération électrique, les consommateurs seront aussi des producteurs. Il conviendra donc de placer l’EEMO sous cette agence qui sera responsable des renouvelables et de l’efficacité énergétique, une Sustainable Energy Agency. Elle devra être proche du terrain, ce qu’une approche trop hiérarchisée ne permet pas de faire. Ce n’est qu’ainsi que les Smart cities pourront produire de manière compétitive financièrement leur propre énergie, se doter de Smart mini-grids modernes et sauront gérer leur énergie intelligemment. Il est évident qu’un régulateur doit compléter ce paysage énergétique avec un CEB revu complètement.

BUSINESSMAG. A-t-on les moyens d’augmenter la part d’énergies renouvelables de 20 % à 35 % d’ici à 2025 ?

Passer de 20 % à 35 % en dix ans de façon linéaire et graduelle avec la Business-as-usual approach peut être plus compliqué que de passer de 20 % à 100 % en 30 ans. Il faut un changement de vision, de paradigme, de méthode. Il faut une révolution dans notre approche, même si notre transformation ne se fera que de manière évolutive. Le Leap-frogging est possible. Il faut aussi avoir une approche intégrée. La demande viendra par exemple des bâtiments : il faut attaquer ce secteur où paradoxalement nous piétinons avec une Building Control Act que nous n’arrivons pas à promulguer adéquatement. Finalement, 35 % ne signifient rien si nous ne savons pas gérer, voire maîtriser, la demande totale. Je pense que l’EEMO aura une mission importante dans ce nouveau set-up, surtout si elle se trouve sous une Sustainable Energy Agency qui s’active aussi autour de la promotion des renouvelables. Et il faut ne pas oublier le transport où nous importons 100 % nos carburants.

BUSINESSMAG. Quels sont les types d’énergies renou-velables dans lesquels Maurice doit investir ?

C’est un peu l’erreur que nous avons fait durant l’ère que j’appelle «la contradiction MID CT Power». Nous avons laissé ce débat aux techniciens ou encore aux quelques personnes au Central Electricty Board (CEB), qui ont accès à des dossiers n’ayant jamais été rendus publics. Ou encore, nous l’avons laissé à d’autres qui n’ont rien à voir avec la politique énergétique et qui ne faisaient que défendre leurs propres intérêts, les lobbys. Depuis 2007, presque rien n’a été accompli dans ce secteur. D’un autre côté, il y a eu beaucoup de controverses dans les médias impliquant des personnes qui avaient autre chose en tête que l’intérêt du pays.

Il nous faudra avoir un mix-énergétique cohérent, favoriser la décentralisation, rapprocher la production de la consommation. Dans le monde, ce qui remporte un franc-succès est sans doute le solaire photovoltaïque. Narendra Modi vient de l’annoncer, l’Inde augmen-tera par cinq fois sa capacité en photovoltaïque. Au niveau mondial, c’est un secteur qui abrite 2 millions d’emplois. À Maurice, ce secteur peut créer des centaines d’emplois. Car, il ne faut pas oublier que nous avons aussi une opportunité régionale. Environ 50 % des 1,2 milliard d’individus qui n’ont pas accès à l’électricité se trouvent dans notre région. Nous pouvons jouer un rôle clé en apportant des énergies propres dans la région. D’ailleurs, nous avons déjà une firme photovoltaïque qui s’implante à Ma-dagascar et au Mozambique.

BUSINESSMAG. Vous êtes en faveur d’une refonte du CEB. Qu’est-ce que cela implique ?

À plusieurs niveaux, le CEB est dépassé. Cette institution ne peut pas être jugeet partie. L’épisode CT Power l’a démontré. La gouvernance énergétique doit être la responsabilité du gouvernement et elle doit se faire en toute transparence.

La génération, la distribution, la transmission et la consommation de l’électricité doivent être comptabilisées séparément sous des entités différentes. Ensuite, le CEB doit impérativement se réinventer financièrement et techniquement sinon nous n’aurions jamais ce que d’ailleurs nous souhaitons avoir avec les Smart cities, les Smart mini-grids, soit les réseaux locaux intelligents. Il faut aussi préparer la relève au CEB en ressources humaines.

Nous n’avons qu’à comparer le développement qui a eu lieu dans le secteur des télécoms et son rapide évolution et celui qui ne s’est jamais fait dans le secteur électrique. Le secteur des télécoms est dynamique, avec une panoplie de déve-loppements, mais surtout ce secteur a su répondre à la demande d’une île Maurice mo-derne. Ce qui n’est pas le cas  pour le secteur électrique. Notre réseau est trop rigide aujourd’hui pour prendre en compte la diversité au niveau de la demande et de la fourniture. Nos procédures et nos institutions sont tout autant rigides.

BUSINESSMAG. Maurice est-il toujours sous la menace d’un black-out ?

Je reviens un peu sur le rôle des médias. Plusieurs personnes sont intervenues dans les médias pour expliquer c’est quoi un black-out. Malheureusement, certains refusent de comprendre la véritable définition du black-out. Un black-out n’intervient que pendant une durée significative : toute l’île Maurice se retrouvera dans le noir. Cela peut arriver, s’il y a un cyclone ou une tempête électrique qui affecte les lignes les plus importantes. Ce scénario catastrophe n’a rien à voir avec un manque au niveau des centrales de la fourniture d’électricité. Il faudrait arrêter de dramatiser sur ce sujet.

Au contraire, ce qui peut se passer à l’horizon 2016 – très probablement selon mes calculs et ceux de la National Energy Commission – dans la période février-mars 2016, c’est un déficit entre la projection et la capacité disponible réellement. Or, un déficit ne signifie pas forcément qu’il y aura un black-out. D’ici là, nous aurons suffisamment de temps pour nous organiser afin de combler ce déficit. Tout d’abord, il faut impérativement aller de l’avant avec les 4x15 mégawatts de St Louis, mais de façon transparente.

Nous n’accordons pas aussi suffisamment d’attention à la gestion de la demande. Il existe un potentiel de gérer la demande. D’ailleurs, le Plan National d’Efficacité Énergétique prévoit une réduction de 40 mégawatts. De plus, si nous avons des programmes d’économie d’énergies dans des foyers, nous pouvons grignoter 2, 3 voire 4 mégawatts d’ici à 2016. Ce qui nous mettra à l’abri de ce déficit. Il existe d’autres solutions. Par exemple, si les coopératives agricoles, les centres commerciaux et hôtels possédaient des parcs de  1 ou 2 mégawatts, solaire ou éolienne, – ce qui est abordable financièrement – nous n’aurions pas besoin de capacité additionnelle.