Type to search

Interview Rencontre

Mahen Govinda (Partner, ABAX) : «Le Global Business a encore besoin d’être rassuré»

Share
Mahen Govinda (Partner

Si le secteur du Global Business affiche un fort potentiel, estime Mahen Govinda, le développement de ce pilier de l’économie pourrait être davantage favorisé grâce à des réformes publiques.

BUSINESSMAG. Quel regard portez-vous sur le Budget 2016-17 ?

Le Budget contient des mesures visant à rétablir la confiance afin de créer un environnement propice à l’investissement privé local et étranger. Je trouve cependant qu’il ne donne pas assez d’importance aux réformes de la fonction publique et de l’environnement des affaires, indispensables pour faire de Maurice une plateforme d’investissement et de commerce pour la région. La Sandbox Regulatory Licence, qui sera délivrée par le Board of Investment pour les activités n’ayant pas encore de cadre juridique, et le pouvoir donné à cette institution d’approuver les demandes de permis bloquées par les différentes autorités sont de très bonnes mesures. Mais il nous faut une réforme en profondeur des institutions publiques si nous voulons entrer dans le groupe des pays à revenu élevé.

BUSINESSMAG. Le gouvernement entend consolider la présence de Maurice sur le continent africain. Pourquoi est-ce important ?

Même si pas mal de pays africains ont été affectés par la baisse des prix du pétrole et des minerais, le continent est la dernière frontière de développement. Les opportunités pour nos exportateurs sont bien présentes, au vu de l’accroissement de la demande, notamment dans les pays de la SADC et du COMESA, où Maurice bénéficie de droits de douane réduits. Il y a ensuite l’ambition de devenir un centre financier international. Vu que l’Afrique reste un marché fragmenté, Maurice est une plateforme de choix pour les entreprises qui doivent consolider leur activité dans un seul endroit. L’émergence de ce centre financier, avec des produits à haute valeur ajoutée, est intrinsèquement liée au continent africain. Pour cela, il faut que Maurice attire les meilleurs talents dans les domaines de la gestion des actifs, des investissements et du wealth management, ainsi que des spécialistes de produits financiers comme les corporate bonds et les derivatives qui sont focalisés sur le continent. Maurice doit donc continuer à améliorer sa connectivité avec l’Afrique, à moderniser son infrastructure publique et à créer un cadre de vie de qualité internationale.

BUSINESSMAG. La révision du traité fiscal Inde-Maurice a-t-elle eu un impact sur le secteur du Global Business et les investissements vers l’Afrique ?

Du fait du grand-fathering rule qui protège les investissements faits en Inde à partir de Maurice jusqu’au 31 mars 2017, on ne devrait pas voir d’impact négatif dans le court terme. À moyen terme, on doit se préparer à une éventuelle baisse des activités dans le secteur du Global Business, du moins en ce qui concerne la structuration des investissements vers l’Inde. Il faut donc qu’on voit les opportunités en matière de structuration de la dette comme un autre moyen de structurer des investissements en direction de l’Inde. Concernant l’Afrique, Maurice dispose d’un écosystème favorable qui a été développé pendant plus de vingt ans grâce aux avantages du traité de non-double imposition avec l’Inde. Si l’on développe des produits pour la structuration de la dette pour l’Inde, notre écosystème pour l’Afrique se développera davantage.

BUSINESSMAG. L’organisation récente de l’India-Mauritius Forum était-elle un moyen de montrer que les relations entre les deux pays sont toujours bonnes ?

Je pense que oui et on voit d’ailleurs dans le Budget que Maurice veut continuer les négociations avec l’Inde pour la signature d’un Comprehensive Economic Cooperation and Partnership Agreement. Son positionnement géopolitique dans l’océan Indien fait que Maurice restera un pays très proche de l’Inde. Il faut utiliser cette proximité pour amener les entreprises indiennes à se structurer à Maurice pour leurs investissements en Afrique.

BUSINESSMAG. Est-il vrai que le nouveau traité n’a pas affecté la relation entre les deux pays ?

Tous les pays renégocient leurs traités fiscaux périodiquement pour les adapter à leurs situations socio-économiques respectives. La révision du traité Inde-Maurice va obliger le secteur du Global Business à se restructurer mais je ne crois pas qu’elle affectera les relations bilatérales entre les deux pays.

BUSINESSMAG. Dans le discours du Budget, le traité n’a pas été mentionné…

Je pense que le ministre des Finances a préféré regarder vers l’avenir plutôt que revenir sur le passé. C’est pourquoi l’accent est mis sur le CECPA qui pourrait faire de Maurice un corridor pour l’investissement et le commerce entre l’Inde et l’Afrique.

BUSINESSMAG. Pourtant, le secteur du Global Business semble avoir encore besoin d’être rassuré…

Certainement, oui, comme tous les secteurs économiques de Maurice. Le Global Business est un pilier important qui peut permettre l’émergence de Maurice en tant que centre financier international. L’apport direct et indirect de ce secteur à l’économie est considérable. Les mesures annoncées dans le Budget pour inciter les entreprises à se structurer à Maurice et l’annonce d’une nouvelle licence pour l’Investment Banking and Corporate Advisor sont donc encourageantes. Il faut maintenant que les institutions responsables de la promotion du secteur financier et les opérateurs économiques travaillent ensemble afin d’attirer plus de business dans l’île.

BUSINESSMAG. Des opérateurs de différents secteurs estiment qu’un large volet du Budget aurait dû être consacré à la réaction au Brexit. Est-ce votre avis ?

Le Budget prévoit une baisse de 40 % des tarifs de fret pour nos exportations vers l’Europe. Il y a aussi beaucoup de mesures pour le secteur de la transformation, notamment l’augmentation du crédit fiscal pour l’investissement dans les équipements. Je pense que la diversification de notre secteur manufacturier, afin de le rendre moins dépendant de l’Europe et du Royaume-Uni, est impérative aujourd’hui. Les mesures budgétaires vont dans ce sens.

BUSINESSMAG. À quel point le Global Business peut-il être impacté par le Brexit ?

La baisse de la livre sterling n’a pas trop affecté le secteur vu que la plupart des revenus des opérateurs économiques sont en dollar US et en euro. Est-ce que le Brexit va accentuer le rôle de la City comme centre financier mondial ou est-ce que cela aura l’effet contraire parce que le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union européenne ? Les analystes ont des avis divergents sur le sujet. Je pense que si Londres s’affiche comme un centre d’investissement pour l’Afrique, ce sera un vrai défi pour Maurice.

BUSINESSMAG. Le projet Heritage City devait attirer les investissements directs étrangers mais il a été abandonné. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas un bon signal qu’on envoie aux investisseurs étrangers, et c’est pour cela que les autres mesures annoncées dans le Budget doivent être appliquées avec un programme bien défini. Maurice pourrait s’inspirer du programme Big Fast Results (BFR) mis en place en Malaisie en 2009 et dont l’application relève d’une unité indépendante. Le BFR est un programme détaillé avec des indicateurs de performance pour chaque projet annoncé par le gouvernement malaisien.

BUSINESSMAG. Lors de la rencontre internationale des autorités anti-corruption en France, Maurice a été cité comme une des plateformes de la fraude fiscale. Votre avis ?

Il y a une mauvaise compréhension du rôle que les centres financiers comme Maurice jouent dans les régions où ils opèrent. Maurice permet aujourd’hui de fédérer et de consolider la participation dans plusieurs sociétés, souvent dans plusieurs pays, à travers une holding. Les sociétés sont imposées dans les pays où elles opèrent. Il ne peut pas y avoir d’évasion fiscale à cet égard. La holding doit donc opérer dans un cadre fiscal plus léger pour éviter que les profits générés dans les sociétés opérationnelles soient taxés une nouvelle fois en raison de la holding.

Il arrive, par contre, que des frais de gestion soient payés à la holding, ce qui fait que la base fiscale dans un pays peut être érodée et que plus de profit soit reconnu dans un pays avec une fiscalité plus faible. L’OCDE a émis une mise en garde contre le fait que des frais de gestion soient payés à des entités qui n’ont pas de substance commerciale. Mais Maurice a une économie diversifiée avec un réservoir de talents dans plusieurs domaines. Et une holding qui gère des services partagés pour le groupe, par exemple la comptabilité ou les questions juridiques, a des activités qui apportent de la substance. Donc si une structure mauricienne dispose d’un bureau avec des employés, on n’a plus ce problème de substance. Je pense qu’il faut qu’on présente Maurice différemment et qu’il y ait une meilleure intégration entre le Global Business et l’économie domestique.

}]