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Interview Rencontre

Philippe Cassis : «Air Mauritius a freiné la croissance touristique»

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Philippe Cassis : «Air Mauritius a freiné la croissance touristique» | business-magazine.mu

En janvier 2014, Philippe Cassis prenait ses fonctions à la tête de Sun Limited. Son mandat en tant que Chief Executive Officer : aider le groupe hôtelier à renouer avec la profitabilité. Vingt-et-un mois plus tard, il tire sa révérence avec le sentiment du devoir accompli. Dans l’entretien qui suit, il balise les contours de la stratégie de développement de la chaîne hôtelière et commente la situation dans l’industrie touristique.

BUSINESSMAG. Après 21 mois aux commandes de Sun Limited, vous êtes aujourd’hui en partance. À votre arrivée, le groupe hôtelier subissait des pertes. Comment s’est amorcé son redressement ?

En 2013, le groupe se trouvait dans une situation compliquée avec des résultats dans le rouge. C’est à cette époque que l’équipe a été reconstituée et que le Board a choisi un nouveau CEO pour Sun. Je suis arrivé en septembre 2013. Ce n’est qu’en janvier 2014 que je me suis retrouvé à la tête du groupe lorsque mon prédécesseur a pris sa retraite. D’octobre à décembre 2013, nous avons analysé le marché avant de développer une stratégie de redressement. Celle-ci a été mise en place durant ces 18 derniers mois.

Il y avait nécessité de développer une stratégie pour définir un modèle de croissance et renverser la situation dans laquelle se trouvait Sun. Il fallait donc trouver des véhicules qui soient indépendants de la croissance de la destination.

D’autant plus que la demande a été assez stagnante pendant les cinq à six dernières années. Pour renverser la vapeur, on ne pouvait pas compter uniquement sur la croissance des arrivées touristiques. Il fallait trouver d’autres moyens pour remettre le bateau à flot.

Notre stratégie est composée de quatre piliers, susceptibles d’entraîner la croissance.

Il y a eu une première urgence : celle de dynamiser la demande. Nous avons mis en place une stratégie commerciale car il fallait qu’on réagisse rapidement et qu’on ait une possibilité d’augmenter les recettes et donc, le volume. C’est ce que nous avons fait en définissant une stratégie de volume en pratiquant des prix plus compétitifs. Sur les 18 derniers mois, nous avons constaté une hausse de plus de 15 % de points d’occupation, tandis que le marché a augmenté autour de 8-9 %. Nous avons réalisé une croissance importante de volume dans nos hôtels. Ce qui était fondamental, car cela nous a permis d’obtenir des revenus plus conséquents.

BUSINESSMAG. Développer un partenariat avec Shangri-La était aussi un des axes de cette stratégie de redressement ?

Nous avons entrepris une révision de notre stratégie sur les plans organisationnel et opérationnel. Nous avons défini un modèle qui repose sur différents pôles d’activités. En analysant notre portefeuille, nous avons constaté que nous possédons des atouts majeurs dans nos hôtels. Sun a l’avantage d’être le pionnier dans l’industrie touristique à Maurice. Le groupe possède des sites qui sont privilégiés, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest. Nous avons une diversité dans notre portefeuille, qui est bon, d’une part, mais qui est plus complexe, de l’autre. Car cela demande d’avoir des capacités de commercialisation différentes pour un trois-étoiles, un quatre-étoiles ou un cinq-étoiles.

Par exemple, dans notre portefeuille, nous avons Le Touessrok qui avait besoin d’une rénovation. Nous nous sommes
dit en ouvrant le capital de Touessrok à un partenaire international, à savoir Shangri-La, que nous allions pouvoir innover et rénover l’hôtel en vue de le repositionner comme l’un des meilleurs établissements de la destination. Cela, tout en profitant de l’héritage historique du Touessrok, mais aussi de la capacité de distribution de vente, de commercialisation de Shangri-La. Ce partenariat avec Shangri-La est un des piliers de cette stratégie. Chez Sun, nous croyons dans les partenariats, que ce soit en interne ou à l’international.

De plus, grâce à cette transition avec Shangri-La, nous avons pu investir dans Four Seasons. Dans un premier temps, nous avons racheté 50 % de Four Seasons. Valeur du jour, nous sommes le seul groupe à Maurice qui possède des actifs aussi importants avec Le Touessrok-Shangri-La et le Four Seasons.

BUSINESSMAG. Quelle sera votre stratégie pour continuer à étoffer votre portefeuille ?

Sun possède des hôtels traditionnels. Nous sommes dans l’hôtellerie depuis fort longtemps, mais il est un fait que le monde a changé. Il fallait revoir la façon de gérer nos hôtels. Pour cela, nous avons abattu tout un travail en interne pour être le plus efficace possible dans la gestion de nos hôtels. L’objectif est de faire croître ce portefeuille.

Dans notre portefeuille, nous comptons l’hôtel Ambre, Le Long Beach, le Sugar Beach, La Pirogue – un hôtel emblématique à Maurice qui fêtera ses 40 ans l’année prochaine – et le Kanahura aux Maldives. Notre objectif est d’être une alternative en tant que gestionnaire pour un autre propriétaire. Pour cela, nous devons démontrer que nous sommes un opérateur capable dans un domaine autre que le haut de gamme. Il est plus efficace d’avoir des partenaires internationaux, qui agissent sur des plateformes plus globales que la nôtre.

Dans une stratégie corporative, il faut comprendre ses forces, ses faiblesses et voir comment nous pouvons capitaliser sur ses forces et comment compenser ses vulnérabilités. Ces partenaires renforcent notre expérience de plus de 40 ans sur le marché hôtelier et dans la gestion de notre propre portefeuille. Il n’est absolument pas contradictoire de vouloir s’associer à de grandes marques dans le domaine de l’hôtellerie et, en même temps, de développer le portefeuille de Sun qui est l’opérateur et le propriétaire de l’hôtel. Dans le partenariat, nous sommes investisseurs. En capitalisant sur l’investissement, nous le faisons fructifier.

BUSINESSMAG. Quels sont les autres axes de la stratégie de redressement de Sun ?

L’autre axe de notre stratégie se rapporte à nos services hôteliers. Nous avons une buanderie industrielle, deux tour-opérateurs en France et en Afrique du Sud, un business de retail. Avec tout le travail que nous avons effectué en interne, il y a des spécialisations que nous pouvons offrir, notamment en termes de services d’achats centralisés.

Le dernier axe de notre stratégie est le développement résidentiel. Nous avons des terrains au Long Beach, aux Maldives et au Touessrok que nous pouvons développer sous le Property Development Scheme.

Globalement, tous les piliers qui composent la stratégie de redressement de Sun disposent d’un potentiel de croissance important. Ils impliquent une diversification de nos activités. Nous bousculons les paramètres traditionnels d’un groupe hôtelier en nous structurant pour mettre en valeur nos actifs. Sun est le premier groupe hôtelier à s’engager dans cette voie avec l’objectif de renverser une situation négative en positive. Dix-huit mois après l’enclenchement de la stratégie de redressement, nos résultats sont positifs. D’un point de vue opérationnel, Sun est un groupe profitable. Nous avons réalisé des transactions très importantes avec l’ouverture du capital de Touessrok, le rachat à 100 % de Four Seasons sans oublier les rénovations que nous effectuons au Touessrok et aux Maldives. Il s’agit de nous donner tous les moyens en construisant cette capacité pour croître indépendamment de la demande.

BUSINESSMAG. En tant que professionnel de l’hôtellerie, quel regard portez-vous sur l’industrie touristique mauricienne ?

C’est un secteur absolument fondamental pour le pays. Il a une histoire, un parcours. Il y a nécessité de se demander comment on veut situer le pays sur la carte mondiale des destinations touristiques. L’industrie touristique est à la croisée des chemins. Les secteurs public et privé doivent ensemble se poser cette question : où est-ce qu’on veut emmener la destination ? Car nous sommes dans un monde global qui bouge.

Les destinations bougent. La commercialisation bouge. Les technologies bougent. Les façons de définir où on veut aller changent. Je ne crois pas que toute cette réflexion ait déjà été faite. L’importance de la destination est telle que les responsables des secteurs public et privé devraient s’unir et définir ensemble une stratégie à long terme. Ce plan doit être apolitique. Le but est de définir sur les dix prochaines années ce que le pays veut faire. Il y va de l’intérêt national.

Je pense que les hôteliers comme Sun et d’autres groupes 100 % mauricien, cotés sur la Bourse consentent à d’énormes efforts et d’investissements dans ce secteur. De ce fait, nous avons le droit légitime de savoir vers où se dirige ce secteur et quels sont les atouts sur lesquels nous pouvons construire notre stratégie. Car nous prenons des obligations financières pour rénover, former et développer le personnel dans ce secteur.

Nous avons actuellement une vision à très court terme. Nous ne voyons pas plus loin que la fin de l’année ou l’année prochaine. Ce n’est pas une stratégie suffisamment solide. Nous faisons aussi des investissements à risque. Nous voulons être la meilleure destination touristique au monde. C’est bien plus compliqué à faire qu’à dire. Il faut une réflexion professionnelle pour que le pays se donne les moyens nécessaires. Il faut que nous sachions ce que nous voulons faire dans les dix prochaines années. Quel est le plan à long terme ? De cette façon, les groupes hôteliers continueront à investir. C’est à ce prix que nous deviendrons la destination dont on parle. Mais il y a des choses qui sont à revoir.

BUSINESSMAG. Vous estimez qu’on ne peut plus continuer à vivre dans le passé. Faut-il donc revoir le marketing de la destination qui se fait essentiellement sur le concept des trois ‘S’ (Sun, sea and sand) ?

Je peux dresser une liste de destinations ayant de belles plages, un bon soleil et du sable doré. Les trois ‘S’, c’est du passé ! Nous constatons que les touristes venant à Maurice sont dictés dans leur choix par les hôtels et les prix de la destination. C’est le problème de Maurice. La destination n’attire pas les touristes par ses particularités, mais par ses hôtels. Il est impératif que la destination soit choisie d’abord pour ses valeurs, tandis que le choix de l’hôtel ne doit qu’être secondaire. Le problème de la destination mauricienne est qu’en sus des hôtels, l’île n’a pas d’autre atout. Les touristes vont faire du shopping à Grand-Baie, s’adonner au golf, manger un sandwich à Flic-en-Flac, visiter le Domaine de l’Étoile. Mais ce n’est pas suffisant. Il est désormais impératif de mettre en valeur la culture mauricienne, la richesse religieuse et sociale de la destination. Il faut récupérer les bâtiments historiques de Port-Louis. Il faut redonner vie à Mahébourg. Il faut donner envie aux gens de connaître le pays. Actuellement, la structure n’y est pas. On vit un peu dans le passé. Dans les années 80, il y avait très peu de destinations qui pouvaient se vanter d’avoir ces trois ‘S’. Plus de 30 ans après, le nombre de destinations tropicales ont augmenté. Par exemple, nous sommes en compétition avec les Bahamas.

La destination mauricienne a grandement besoin de renouer avec ses richesses. Les éléments sont là. Il faut les faire revivre. Je vais dire tout haut ce que pensent bon nombre d’hôteliers : il faut mettre en place un fonds pour revaloriser les innombrables richesses de la destination mauricienne. Ce n’est que par le biais de ces richesses mises en avant que Maurice pourra se positionner comme une destination particulière.

BUSINESSMAG. D’une part, le ministre du Tourisme, Xavier-Luc Duval, demande aux hôteliers d’éviter de s’engager dans la construction de nouveaux hôtels et, d’autre part, il parle de l’importance de nouveaux hôtels pour l’image de l’industrie. N’est-ce pas contradictoire ?

Je ne crois pas qu’il se contredit. Ce qui est certain, c’est que son ministère va mettre en place un moratoire pour la construction de nouveaux hôtels sur les deux prochaines années. Son objectif est de consolider le secteur hôtelier avec les projets de nouveaux hôtels déjà entamés et les projets de rénovation.

Personnellement, je ne crois pas que le fait de construire ou de ne pas construire soit un réel problème. Bien que cette année, la basse saison ait été mieux gérée, aujourd’hui, la destination fait uniquement 60 % d’occupation. La destination ne reçoit pas une forte demande. Encore une fois, cela dépend où on veut aller. Il faut savoir quel est le plan stratégique pour ce secteur et le nombre de visiteurs auquel on aspire. Il faut définir une vision pour ce secteur. Personnellement, en tant qu’hôtelier, cela ne me fait ni chaud ni froid de savoir qu’il y a un hôtel en plus ou en moins. Tout est une question d’offre et de demande. Avoir trop d’hôtels et pas de sièges d’avion, c’est comme se tirer dans les pieds. Or, si nous avons plus de chambres et plus de sièges, nous faisons avancer l’industrie. Nous avons tendance à oublier que les touristes qui viennent à Maurice ont des goûts différents. L’un préfère le luxe de Four Seasons, un autre visiter La Vallée de Ferney ou habiter chez des particuliers à Mahébourg. D’autres optent pour les hôtels proposant des formules all-inclusive car ils recherchent la facilité. Toutes les destinations ont des touristes ayant différents pouvoirs d’achat. De par la demande, il y a des quatre-étoiles qui vont chercher une clientèle cinq-étoiles. C’est un cercle vicieux mais qui participe à la compétitivité de la destination. Le marché est tellement étriqué que chacun essaye de survivre. Il est impératif de mettre une fin à ce cercle vicieux.

BUSINESSMAG. Quel est votre sentiment sur la crise que traverse Air Mauritius ?

Je n’en connais pas trop les détails. Toutefois ce que je peux dire, c’est qu’Air Mauritius a été un élément perturbateur du développement de la croissance touristique. Elle a été un frein. Les autorités n’aiment pas qu’on le dise, mais la destination a besoin de plus de sièges d’avion, plus de capacité aérienne à des prix compétitifs. D’autres destinations l’ont compris et nous ont dépassés avec leurs 55 000-56 000 visiteurs. C’est le cas des Maldives et des Seychelles.

Personnellement, je pense que le rôle d’Air Mauritius n’est pas de concurrencer Emirates. Il est trop ambitieux de se dire qu’on pourra concurrencer ces grosses compagnies aériennes. La vocation d’Air Mauritius devrait être celle d’une compagnie aérienne la plus efficace possible au niveau régional. Air Mauritius devrait connecter la région. Par exemple, elle pourrait connecter Maurice à La Réunion, aux Seychelles, aux Maldives ou à la côte est-africaine. Elle peut aussi être une destination européenne ou asiatique. Mais elle ne peut prétendre concurrencer les grosses compagnies aériennes. On n’y arrivera jamais ! Pour aller aux Maldives, il faut 12 heures de vol. Pour se rendre aux Seychelles, c’est cher ! Et pour aller à Mayotte, c’est impossible car il faut faire 20 heures de vol. Pour aller en Tanzanie, c’est tout aussi bien compliqué. Si nous pouvons offrir une combinaison de la côte africaine avec une destination tropicale ou connecter les îles, cela nous donnera un avantage compétitif sur les autres destinations. Air Mauritius doit avoir la vocation d’une compagnie aérienne régionale.

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