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Interview Rencontre

Raj H. Prayag : «À l’avenir, il y aura 20 à 30 % d’ingénieurs en surplus à Maurice»

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Raj H. Prayag : «À l’avenir

Selon le président de l’Institution of Engineers (Mauritius), il est impératif d’encourager les professionnels de cette filière, qu’il juge trop nombreux, à exporter leurs compétences. Raj H. Prayag livre aussi ses impressions sur le secteur de la construction.

BUSINESSMAG. Présentez-nous l’Institution of Engineers (Mauritius).

L’Institution of Engineers (Mauritius) – IEM – existe depuis 1948. Elle a vu le jour afin d’aider les ingénieurs diplômés à pratiquer ce métier à Maurice. C’est ainsi qu’en 1965, l’institution a demandé à ce qu’une loi soit promulguée pour réglementer, voire mieux encadrer la profession. À cet effet, un «Private Bill» a été présenté au Parlement et il a été voté l’année suivante. Cette loi est toujours en vigueur aujourd’hui et l’IEM tient compte de ses dispositions lors de l’enregistrement des ingénieurs. C’est en effet à notre instance qu’il revient de délivrer la licence d’ingénieur.

BUSINESSMAG. Quelles sont les exigences du métier d’ingénieur aujourd’hui ?

Tout d’abord, il faut comprendre que l’environnement économique a changé. En conséquence, le métier d’ingénieur aussi se doit d’évoluer. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une nouvelle génération d’ingénieurs qui puisse faire face aux changements dans les domaines de la technologie, du climat ou encore des affaires. Nous devons, en outre, nous conformer aux règlements internationaux et participer à la mise en œuvre des objectifs de développement durable des Nations unies, entrés en vigueur début 2016. L’ingénieur a donc désormais un rôle plus vaste.

De ce fait, l’IEM a une vision à long terme pour la profession. Nous désirons que les étudiants en ingénierie mauriciens fassent des études avancées dans cette filière. Pour cela, nous avons récemment eu recours au Washington Accord – accord multilatéral entre corps responsables de l’accréditation et de la reconnaissance des qualifications d’ingénieur dans leurs pays respectifs – dont les signataires sont américains, britanniques, européens, australiens et canadiens, entre autres. Ce qui nous a permis d’obtenir pour les étudiants locaux l’accès à un certificat universel, l’«Accredited Engineer Degree». Ce certificat sera un passeport dans la mesure où il augmentera la visibilité de l’ingénieur mauricien à l’international.

BUSINESSMAG. L’IEM semble aller à contre-courant de la politique gouvernementale qui favorise le retour des Mauriciens hautement qualifiés… Seriez-vous favorable à la fuite des cerveaux ?

Pas du tout. Nous n’encourageons pas la fuite des cerveaux. Pour la bonne et simple raison que le nombre d’ingénieurs actuellement à Maurice est supérieur à la demande. Nous en avons trop ! Et dans les années à venir, nous estimons que 20 à 30 % d’entre eux seront excédentaires sur le marché local. C’est pourquoi nous conseillons aux gens du métier d’exporter leurs compétences et leur savoir-faire.

BUSINESSMAG. La construction sera à l’avant-plan de l’économie à partir de cette année. Quelles sont vos impressions sur ce secteur ?

Le secteur de la construction est le pouls de l’économie mauricienne. Quand il y a plusieurs chantiers – nouveaux bâtiments, infrastructures... –, c’est un indicateur de croissance économique. De la même façon, un secteur de la construction qui tourne au ralenti est souvent signe de récession économique. Effectivement, à partir de cette année, les premiers grands chantiers de construction annoncés par le gouvernement verront le jour. Citons, notamment, le pont qui sera érigé sur la desserte A1-M1 reliant Saint-Jean à Port-Louis ou encore l’échangeur de Phoenix. Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé un investissement de Rs 7 milliards dans les projets de logement de la National Housing Development Company (NHDC). Le problème, c’est que Maurice souffre d’un manque cruel de techniciens, ce que nous appelons, dans le métier, les «artisans». L’on a trop négligé cette profession de sorte qu’avec les grands projets à venir, ce problème se fera terriblement sentir. Il est certain qu’il faudra faire appel à des travailleurs étrangers.

BUSINESSMAG. Le ministre des Infrastructures publiques, Nando Bodha, affiche pourtant sa volonté d’accorder la priorité à la main-d’œuvre mauricienne sur les chantiers. Le recours aux travailleurs étrangers demeure-t-il quand même une nécessité, selon vous ?

Effectivement ! S’il n’y avait pas sur les chantiers, à Maurice, ces travailleurs chinois, indiens et même sud-africains, la main-d’œuvre disponible ne suffirait pas. Il y a un problème de mentalité dans notre île. Les Mauriciens ne veulent pas travailler six heures par jour, voire six jours par semaine. Aujourd’hui, si vous ne payez pas un maçon Rs 1 500 à Rs 2 000 par journée, il ne vient pas travailler. Il y a tellement de garde-fous que les Mauriciens n’accordent aucune importance au besoin de gagner son pain. La main-d’œuvre étrangère vient donc pallier ce problème. Elle ne constitue pas un problème d’un point de vue social ! Si l’on désire soutenir le développement économique du pays, il faut impérativement étendre le permis de travail de ces ressortissants étrangers. Permis qui est par ailleurs difficile à obtenir.

BUSINESMAG. En tant qu’ingénieur, quel regard portez-vous sur les «smart cities» qui sont appelées à se développer à travers l’île ?

Ce concept de «smartness» est très bien. Quand on entreprend la planification d’un développement immobilier, il faut absolument avoir une vue holistique. Dans le passé, trop de morcellements et de développements immobiliers ont été réalisés sans cette vision holistique. Conséquence : certains morcellements étaient dépourvus de lignes téléphoniques, de drains, d’électricité, d’accès à la route, entre autres. Par contre, le concept de la «smart city» prône un développement intégré. Le montage financier de ce type de projet tient compte de tous les développements infrastructurels et autres services ainsi que d’espaces résidentiels destinés à toutes les couches de la société.

BUSINESSMAG. Quelle solution préconisez-vous pour résoudre le problème de la congestion routière ?

À mon avis, il faudrait prendre exemple sur Singapour où les gens doivent expliquer à l’État pourquoi ils ont à tout prix besoin d’une voiture. Dans notre jargon, nous appelons cela «using economic instruments». La solution ne se trouve pas dans la construction de diverses routes. Le gouvernement devrait revoir sa politique sur le trafic. Le problème, c’est que l’on est trop tolérant à Maurice.

BUSINESSMAG. L’État et le secteur privé ont engagé une réflexion dans le but de désengorger la capitale. Votre point de vue ?

C’est une bonne initiative. Port-Louis est saturé. Il y a une rangée de montagnes tout autour de la capitale. Géologiquement parlant, l’on ne peut construire à flanc de montagne car il y a des risques de glissement de terrain. En termes de construction, on est donc limité. C’est la raison qui a incité le gouvernement à vouloir déplacer certains ministères hors de Port-Louis. Mais cette décision ne réglera en aucun cas le problème de la circulation routière.

BUSINESSMAG. Quelle est votre opinion sur «Heritage City», le projet avorté de Roshi Bhadain ?

Le site a été choisi. Il se trouve entre deux rivières. Et Roshi Bhadain projetait de construire deux routes qui allaient coûter des milliards à l’État. Je pense qu’il y a eu une mauvaise décision au niveau du choix de l’endroit.

BUSINESSMAG. Qu’en est-il de la création de Landscope Mauritius ?

Maurice est un petit pays. Nous ne pouvons avoir de multiples organisations et une kyrielle de directeurs pour se pencher sur quelques projets de construction. Landscope est le résultat d’une fusion logique. Placée sous une seule direction, elle favorise la prise de décisions plus harmonisées. C’est une bonne idée.