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Interview Rencontre

Swadicq Nuthay: « Nous aurions pu faire mieux que 3,2 % si les conditions étaient réunies »

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Swadicq Nuthay: « Nous aurions pu faire mieux que 3

La performance de l’économie mauricienne est appréciable compte tenu de la conjoncture internationale, observe Swadicq Nuthay, Chief Executive d’AfrAsia Capital Management. Avec une reprise attendue sur nos principaux marchés, nous pouvons nous attendre à une croissance de 3,6 %, voire plus en 2014. L’économiste insiste par ailleurs que nous nous attaquions aux problèmes structurels qui limitent notre potentiel.

BUSINESSMAG. Quel regard portez-vous sur l’économie mauricienne en 2013 ?

Nous terminons l’année avec une croissance de 3,2 %. Ce qui est en soi une bonne performance vu la conjoncture internationale qui demeure difficile. Cependant, nous avons quand même pas mal de soucis concernant certains indicateurs économiques qui sont loin d’être reluisants.

Cela est révélateur des faiblesses structurelles qui ne datent pas d’hier. L’un des indicateurs qui sautent aux yeux et qui découlent de ses faiblesses est le déficit du compte courant qui tourne autour de 10 % du PIB, voire même plus. Ce qui démontre que nous consommons plus que nous produisons. Nous sommes sortis d’un surplus de 6 % en 2001 et la situation s’est dégradée graduellement pour passer à un déficit de 12,6 % du PIB en 2011.

La croissance mondiale montre une amélioration pour 2014. Je pense que 2013 pourrait être un « turning point » pour une croissance plus élevée en 2014. Nous pouvons nous attendre à un « technical rebound » en 2014, avec un taux de croissance entre 3,5 % et 3,8 % .

BUSINESSMAG. Quels sont ces indicateurs qui sont loin d’être reluisants ?

Nous avons pas mal de soucis à nous faire quand nous considérons les indicateurs économiques. La croissance et l’inflation sont probablement deux indicateurs qui sont restés positifs en général, mais une analyse en profondeur nous permet d’observer des problèmes structurels qui se détériorent.

L’un des indicateurs qui nous interpellent est le déficit du compte courant, mais cela ne s’arrête pas là. Il faut aussi que nous nous attaquions au problème de l’investissement assez rapidement. Nous avons eu un taux d’investissement d’à peu près 21,5 % du PIB contre 26 % il y a quelques années. Ce qui démontre une courbe descendante. Cela doit nous interpeller car le ratio investissement-PIB montre la valeur ajoutée de la production domestique qui a été investie dans le futur. Le plus grave, c’est la baisse de l’investissement privé. Il y a un manque de créativité et d’enthousiasme de la part des entrepreneurs pour créer de la valeur.

Nous avons également des problèmes au niveau de nos institutions, notamment avec des goulots d’étranglement. Cela n’aide pas nos entrepreneurs. On parle de réformes, mais il y a encore du chemin à faire pour améliorer le cadre sur la facilitation des affaires. Il y a probablement un manque d’information sur le potentiel des secteurs. On a aussi fait mention des investissements privés dans les infrastructures et les utilités publiques. Mais il n’y a pas vraiment eu de cadre légal pour ces projets qui relèvent d’un partenariat public-privé. On aurait pu faire de l’investissement dans l’infrastructure des services publics un créneau pour le secteur privé.

Notre productivité a chuté énormément en comparaison avec d’autres pays. Si nous regardons aujourd’hui le secteur privé, je dois dire que nous avons perdu cette verve d’antan quand nous nous lancions dans de nouveaux créneaux. 

BUSINESSMAG. La croissance aurait-elle pu être supérieure aux 3,2 % que nous avons réalisés ?

Certainement, si les conditions était réunies. Nous avons tendance à tout mettre sur le dos de la crise pour justifier nos manquements. Certes, la crise ne nous a pas aidés car elle a fragilisé beaucoup de nos fondations, mais nous avons toujours beaucoup à faire pour réformer l’économie mauricienne et nous attaquer aux problèmes structurels. Si nous avions plus de clarté en termes de notre stratégie de développement et que les reformes étaient plus rapides, nous aurions pu faire mieux.

Nous avons constaté une baisse de nos produits et services. Heureusement que nous avons commencé à nous diversifier.

BUSINESSMAG. Quels sont les obstacles qui freinent la croissance et le développement ?

Ces obstacles sont en deux volets. D’abord, nous avons été trop dépendants de l’Europe. Ce n’est que récemment que nous avons diversifié nos marchés. Avec la crise, certains pays sur lesquels nous dépendons énormément ont été affectés. Nous en avons ressenti les effets. Nous n’avons pas su diversifier à temps afin de réduire notre dépendance d’un groupe de pays.

Deuxièmement, je dirai qu’il faut que nous parvenions à aligner notre stratégie de promotion de l’investissement sur nos objectifs. Très souvent, nous annonçons le développement d’un secteur comme, par exemple, la Land-Based Oceanic Industry.Or, quand nous regardons le flux des investissements étrangers entrant, ils ne sont pas du tout vers ce secteur. Il y a là un manque de coordination. Cela dit, nous ne pouvons pas non plus refuser les investissements directs étrangers. Nous n’avons pas tendance à lier nos objectifs avec nos stratégies à long terme.

BUSINESSMAG. Pensez-vous que les efforts nécessaires ont été déployés par le secteur public et privé pour mettre le pays sur la voie d’une croissance durable ?

Il y a des efforts qui ont été faits par le secteur public, mais nous avons trop tendance à favoriser le court terme au détriment du long terme. Il faut continuer à encourager la réforme et non à la laisser dans un tiroir parce que nous avons des craintes.

Nous avons consenti à des efforts, mais il y a encore à faire. Nous avons toujours notre problème de « mismatch » en termes de ce que nous voulons et ce que nous avons. S’attaquer à ce problème structurel sera pénible quelque part. Par exemple, le gouvernement ne peut pas continuer à financer tous les services tels que l’éducation, la santé ou la pension. Il y a tellement de gaspillage de ressources qui ne sont pas vraiment alignées « in the most optimal way ».

BUSINESSMAG. Vous pensez qu’il faut supprimer ces services ?

Je ne parle pas de supprimer, mais il faut faire du ciblage. Par exemple, s’agissant de la santé, il y a bon nombre de gens qui peuvent se permettre de payer pour leur traitement. Il n’y a pas aussi le besoin d’avoir la pension pour tout le monde ou le transport public gratuit pour tous. Maurice n’est pas un pays qui a des ressources illimitées. Il faut qu’à un moment, nous arrêtions et songions à l’intérêt futur du pays, même si politiquement cela ne sera pas bien reçu.

BUSINESSMAG. Notre économie est-elle suffisamment indépendante des ingérences politiques ?

Je pense que les nations puissantes exercent pas mal de pression sur tous les pays. La Suisse, par exemple, subit de la pression venant de l’Europe et des États-Unis pour revoir son cycle bancaire. Maurice est très dépendante du reste du monde. Il y a certaines choses auxquelles Maurice ne pourra pas dire non.

Nous sommes un pays ouvert et dépendons économiquement du reste du monde. Les pays qui ont les moyens vont exercer la pression. Oui, nous sommes assez indépendants quand il s’agit des décisions internes et non quand il s’agit de prendre des décisions qui ne seront pas bien vues par le reste du monde. Nous ne pourrons jamais le faire.

BUSINESSMAG. Le Budget 2014 a-t-il permis de créer le « feel-good factor » nécessaire pour favoriser l’investissement ?

Oui, c’est un Budget qui encourage l’investissement, mais il manque quelque part de la profondeur. L’attente était énorme. Ce Budget est, en général, positif pour le pays, mais il y a pas mal de personnes qui sont restées sur leur faim s’agissant des réformes qui étaient attendues.

Il y a des mesures qui ont été annoncées dans le passé, mais elles n’ont pas été reprises. À Maurice, on donne une dimension disproportionnée au discours du Budget. Nous croyons qu’il va apporter la solution à tous nos problèmes. Or, un Budget ne fait que dégager les grandes stratégies économiques du gouvernement. En voulant trop faire plaisir à tout le monde, nous avons tendance à reléguer les vrais objectifs d’un Budget au second plan.

BUSINESSMAG. Que proposez-vous comme alternative économique ?

Il faut développer une stratégie économique qui regarde l’avenir et non le court terme. Une telle stratégie ne sera probablement pas claire dans le court terme car elle va changer le cap.

Maurice est passée par plusieurs phases économiques. Si nous ne redoublons pas d’efforts, nous ne sortirons pas du piège du revenu intermédiaire. Pour y arriver, il faut que la croissance soit plus importante. Nous avons besoin pour cela d’investissements et de valeur ajoutée. Nos investissements tournent autour de 20 %-21 % alors qu’en Asie de l’Est, c’est autour de 40 %. L’investissement d’aujourd’hui, c’est la croissance de demain.

BUSINESSMAG. Maurice terminera 2013 avec une inflation en dessous du seuil attendu. Comment expliquez-vous le fait qu’elle a été maîtrisée en dépit de la menace inflationniste que représentait le paiement du PRB ?

Maurice n’est pas le seul pays dans cette situation. L’inflation mondiale est en baisse. Dans le cas de Maurice, il y a eu la baisse des prix des commodités en général. La consommation est aussi restée plus ou moins molle. Et troisièmement, la roupie forte a aidé car une grande partie de notre inflation est importée.

Le PRB n’a pas vraiment relancé la consommation. Les gens sont conscients que la situation n’est pas rose et que nous passons par une période difficile.

BUSINESSMAG. Beaucoup a été dit sur le comité de politique monétaire. Pensez-vous que les décisions prises ont eu un impact durant l’année écoulée ?

Pour une petite économie comme Maurice, la politique monétaire n’a pas vraiment beaucoup d’impact sur la croissance. Ce n’est pas cela qui va relancer l’investissement. La baisse du Key Repo Rate n’a pas vraiment eu un grand effet. Si elle en a eu, l’impact était minimal ou insignifiant. Est-ce que ces décisions ont été bonnes ou mauvaises ? Comme on le sait, il y a eu des divergences entre la Banque de Maurice et le ministère des Finances.

Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec un taux d’intérêt réel qui est négatif. L’épargne nationale oscille autour de 15 %. C’est un taux très bas. Il y a donc un choix à faire. Nous ne pouvons pas dire que nous voulons encourager l’épargne nationale mais, en même temps, nous voulons avoir un taux d’intérêt négatif.

BUSINESSMAG. La reprise sera-t-elle finalement pour 2014 ?

2013 a été un « turning point » pour les pays développés. L’Europe a renoué avec la croissance. Les indicateurs économiques montrent une amélioration sur plusieurs niveaux aux États-Unis et même au Japon. De l’autre côté, les pays émergents ont eu des difficultés et ont enregistré une baisse de croissance. Dans la globalité, 2014 sera une meilleure année que 2013. Maurice étant dépendante de l’Europe, une reprise économique là-bas ne peut qu’être bénéfique pour nous.

L’autre bonne nouvelle est que l’euro et la livre se portent bien également. Nous pouvons nous attendre à une croissance de 3,6 %, voire plus. Déjà, nous voyons une reprise dans le tourisme et les exportations repartent de bon train. Je persiste toutefois à dire que nous opérons toujours en dessous de notre capacité.

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