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Interview Rencontre

Victor Lopes : «Le Nigeria appelé à reprendre le rôle de leader continental»

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Victor Lopes : «Le Nigeria appelé à reprendre le rôle de leader continental» | business-magazine.mu

Spécialiste de l’Afrique, Victor Lopes était récemment à Maurice à l’invitation de la branche locale de Standard Chartered Bank. Il jette un regard éclairé sur les potentialités et les faiblesses du continent.

BUSINESSMAG. Vous êtes à Maurice pour animer un atelier de travail sur le climat des affaires en Afrique francophone. Quelles sont les grandes dynamiques qui influencent cette zone ?

C’est surtout le retour de la Côte d’Ivoire sur le plan régional. Le pays figure parmi les Top 10 des pays africains. Depuis 2012, avec le retour de la stabilité politique et la nomination d’un nouveau président légitime et crédible, la Côte d’Ivoire fait un retour en force sur la scène régionale avec des taux de croissance de 8 %, voire plus. Ces taux devraient être maintenus pendant les trois à cinq prochaines années.

Ce pays reçoit aujourd’hui plus de fonds du Fonds monétaire International ou de la Banque mondiale, entre autres, et peut lever des fonds sur les marchés internationaux en émettant des Euro bonds, par exemple. Ce qui fait qu’il a les ressources disponibles pour investir dans des projets d’infrastructures. D’autres pays africains affichent des performances respectables, à l’instar du Sénégal et du Gabon.

Le Sénégal n’a pas beaucoup de richesses minières ou pétrolières, mais c’est un pays qui a su attirer de l’investissement, notamment du Moyen-Orient, dans de grands projets d’infrastructures.

Le Gabon passe par une phase assez difficile avec la baisse du prix  des produits pétroliers, mais il y aura une correction de court terme. Il a entrepris beaucoup d’efforts de diversification à moyen - long terme. Il demeure un pays pétrolier au niveau des exportations et des recettes fiscales, mais du point de vue de la structure de l’économie, le pétrole représente moins de 50 %de son PIB.

Il y a eu ces dernières années l’injection massive de capitaux provenant des pays d’Asie dans des projets d’engrais ou d’huile de palme et on devrait voir d’autres investissements à l’avenir, notamment dans le tourisme, un secteur qui n’est pas du tout développé au Gabon malgré son potentiel et qui sera porteur dans le futur. 

Il faut également compter avec le Cameroun, dont les performances récentes ont été plutôt modestes car l’investissement avait été négligé. La croissance est en train de rebondir grâce aux investissements du gouvernement dans les infrastructures. Nous ne sommes pas dans les 6 à 7 % comme dans des pays plus dynamiques comme la Côte d’Ivoire ou les pays anglophones, mais cette croissance est décente,soit autour de 5 %.

BUSINESSMAG. Quels sont les facteurs qui limitent la performance de l’Afrique ?

Il y a beaucoup de risques. Parmi, la baisse des coûts des matières premières et celle du prix du pétrole qui a été très rapide au cours des derniers mois. Les grands perdants sont les pays pétroliers comme le Nigeria, l’Angola, le Gabon et Congo-Brazzaville. Cela se traduira par moins d’investissement au niveau du gouvernement, des tensions sur la liquidité et des pressions pour la dépréciation de la monnaie, comme cela se vit au Nigeria et en Angola.

Il y a ensuite des pays où l’on fait face à la baisse des prix des métaux en général, comme la Zambie, le Namibie, le Botswana ou la République démocratique du Congo. Il y a quand même des gagnants car l’Afrique n’est pas qu’une histoire de matières premières. Il y a un ou deux pays qui n’exportent pas du tout de matières premières et qui, en plus, importent beaucoup de pétrole. À titre d’exemple, le Kenya, l’Éthiopie, le Burkina Faso ou encore le Mali.

Le contexte actuel est plutôt positif pour eux. Il y a évidemment des risques, notamment un ralentissement du flux de commerce entre la Chine et l’Afrique et qui peut être négatif pour la région. Ou encore, l’augmentation des déficits et du niveau de la dette dans le monde. Nous sommes tout de même positifs sur les perspectives de croissance à moyen - long terme.

BUSINESSMAG. Est-ce que le fait d’être un pays africain anglophone ou francophone comporte un impact décisif sur sa performance économique ?

Il y a eu beaucoup de débats à ce sujet, mais en regardant les chiffres, on ne constate pas vraiment de différence de long terme sur les taux de croissance. Au cours des trois dernières années, les dix économies aux plus forts taux de croissance en Afrique comprenaient cinq pays francophones, quatre anglophones et un amharique, notamment l’Éthiopie. Il n’y a donc pasde grande différence.

BUSINESSMAG. Se dirige-t-on vers un «reshuffling» de l’acronyme BRICS avec l’émergence de ces nouvelles puissances africaines ?

L’Afrique du Sud est désormais un pays important. C’est le seul représentant du continent africain dans l’acronyme BRICS. Toutefois, s’il y a un pays africain qui va compter dans les années à venir, c’est bien le Nigeria qui est le premier pays d’Afrique devant l’Afrique du Sud. C’est peut-être lui qui reprendra ce rôle de leader continental. Nous parlons là d’une économie qui a plus d’un demi de trillion de dollars.

BUSINESSMAG. Le continent africain englobe plusieurs sous-blocs régionaux. Cela ne remet-il pas en question sa vraie intégration régionale ?

C’est un vrai problème. Il y a des sous-blocs régionaux et pas forcément d’interaction entre eux. Nous constatons un manque de complémentarité entre les pays et les produits échangés. Beaucoup de pays d’Afrique exportent des commodités, mais plutôt vers l’Asie ou l’Europe. Ces mêmes pays africains importent aussi des produits sophistiqués en provenance d’Europe ou d’Asie, mais pas d’Afrique. Il existe quelques exceptions : l’Afrique du Sud, par exemple, est un grand partenaire commercial de plusieurs pays africains. Le commerce intra-Afrique est à seulement 10 % du commerce total africain.

BUSINESSMAG. La transformation du monde en un village global fait que quand un continent éternue, le reste du monde s’enrhume. Il y a l’exemple de l’Europe dont la crise importune pas mal d’économies mondiales. Comment se protéger des risques associés à la mondialisation tout en restant une économie ouverte ?

Tout dépend de la structure de votre économie. Il est vrai que certaines économies sont plus exposées que d’autres aux cycles économiques mondiales, par exemple celles qui exportent beaucoup de commodités seront généralement beaucoup plus impactées. Les pays qui ont un système financier beaucoup plus ouvert et dépendent de flux de capitaux sont aussi beaucoup plus exposés. Mais après, il y a ces économies qui n’exportent pas beaucoup de commodités mais qui sont encore très ouvertes. Cela les protège des cycles économiques mondiaux. La solution est d’avoir un marché domestique fort. La consommation et l’investissement interne tirent la croissance en Afrique aujourd’hui plus que les facteurs mondiaux.