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Investir durablement dans les systèmes de veille épidémiologique

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Investir durablement dans les systèmes de veille épidémiologique | business-magazine.mu

Face à l’épidémie Ebola en Afrique de l’Ouest, les bailleurs internationaux semblent décidés à investir massivement dans le renforcement des systèmes de surveillance et de veille sanitaire, afin de prévenir les crises sanitaires futures et aussi pour structurer les systèmes de santé locaux défaillants. Dans l’océan Indien, l’Agence Française de Développement (AFD) finance depuis 2009 un projet de veille sanitaire, un des programmes-phares développés par l’agence avec la Commission de l’océan Indien (COI). Il poursuit ces mêmes objectifs dans un espace insulaire, lui aussi exposé, aux portes de l’Afrique de l’Est.

Cherchant à renforcer la sécurité sanitaire au bénéfice des populations des cinq États membres de la Commission de l’océan Indien (Maurice, Comores, Madagascar, Seychelles et France), le projet initié par l’AFD est financé à hauteur de 6 millions d’euros pour la période 2014-2018. Cette nouvelle subvention fait suite à une première phase de lancement réussie entre 2009 et 2013 (et dotée de 6 millions d’euros). Arrêtons-nous un instant sur un projet régional unique, qui, en miroir avec la situation en Afrique de l’Ouest, est riche en enseignements.

La multiplication de maladies infectieuses est devenue un enjeu majeur de santé publique. Aujourd’hui, les risques sanitaires sont mondialisés, en raison de la multiplication et de la rapidité des échanges de personnes, des animaux et des biens entre territoires.

À ce titre, les îles de la COI sont particulièrement vulnérables au risque épidémique compte tenu de leurs échanges économiques (nombre croissant de touristes, forte dépendance des importations alimentaires, transferts de bétail…), de l’urbanisation rapide et de l’occurrence élevée de catastrophes naturelles (cyclones, inondations…) qui favorisent ou accélèrent la diffusion d’agents pathogènes dans des écosystèmes en mutation (changement climatique) et des États souvent fragiles.

Le SRAS en 2003, puis la grippe H1N1 et l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest ont souligné à quel point des mouvements de panique, de stigmatisation, et des défiances envers les pouvoirs publics ou les communautés scientifiques sont prompts à se mettre en place. Ces effets peuvent être durables et avoir des conséquences à long terme quant à l’adhésion des populations aux mesures sanitaires à suivre.

Il faut ici redire que 60 % des maladies humaines infectieuses connues sont d’origine animale, de même que 75 % des maladies humaines émergentes. Que ce soit par transmission alimentaire ou vectorielle, ou encore par simple contact, les possibilités de transmission sont donc multiples et demandent une approche collaborative entre les secteurs de la santé animale et de la santé humaine pour prévenir et contrôler ces infections.

On le sait, les maladies animales hautement contagieuses ont également des conséquences économiques désastreuses et représentent une menace directe pour la sécurité alimentaire, la nutrition et les revenus des communautés. Le projet veille sanitaire cherche à répondre à ces enjeux dans un environnement fragilisé.

Le projet de veille sanitaire de la COI est un projet original de surveillance, unique en ce qu’il cherche à mettre en œuvre le concept «une seule santé» (One Health) qui intègre la surveillance des maladies transmissibles en santé humaine et santé animale. Il vise également à poursuivre la structuration du réseau régional de veille sanitaire, ainsi que le renforcement des capacités des États membres, puis à établir de manière pérenne une unité de veille sanitaire au sein de la COI.

La démarche du projet repose sur un ancrage avec les centres régionaux d’excellence et les organisations internationales. Elle repose également sur la consolidation et le renforcement des capacités du réseau SEGA (surveillance des épidémies), et sur son élargissement à la santé animale (en association avec le Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique – CIRAD – et le réseau Animal Risk).

Le réseau tel qu’il se développe est riche de compétences diverses et d’experts très volontaristes pour renforcer les collaborations au niveau régional (même si tous les États membres ne sont pas égaux dans leur capacité et leur gouvernance). Les partenaires du projet regroupent à la fois l’Institut Pasteur de Madagascar, la plateforme PIROI de la Croix-Rouge française, l’OMS et l’OIE, mais aussi les contreparties nationales dans le secteur de la santé des pays membres concernés.

Les stratégies soutenues visent le renforcement des capacités régionales dans le domaine de la détection, de l’alerte rapide et de la préparation face aux nouveaux foyers de maladie (recueil, analyse et exploitation de données épidémiologiques), le renforcement des capacités de diagnostic, la mise en place de collaborations avec les différents services en charge de la surveillance des maladies transmissibles, la mise en réseau des professionnels de la veille sanitaire en santé humaine et animale ; enfin, la pérennisation du réseau régional au sein de la COI.

Plusieurs réalisations peuvent être rappelées ici, à savoir : à l’horizon 2017, 25 épidémiologistes formés ; un programme de contrôle qualité externe Chikungunya- dengue pour les cinq laboratoires de biologie moléculaire de l’océan Indien depuis 2013 ; la mise en place d’un laboratoire de biologie moléculaire aux Seychelles en 2012 ; des services de surveillance (hors Réunion) dotés en équipements informatiques afin de faciliter la collecte et les échanges de données sanitaires et leur diffusion au travers d’un bulletin de surveillance régulier ; le déploiement d’équipes conjointes d’investigation comme cela a été le cas en 2013 aux Comores ; l’usage des nouvelles technologies de la communication…

Plus particulièrement en 2014, suite à l’épidémie Ebola en Afrique de l’Ouest, un appui aux États membres de la COI a ainsi été renforcé à leur demande (pour répondre aux craintes des populations) au travers de formations sur la maladie et la préparation des équipes sanitaires à la prise en charge de cas, la mise à disposition d’un laboratoire mobile de diagnostic opéré par l’Institut Pasteur de Madagascar, ou encore l’organisation avec la plateforme PIROI de la Croix-Rouge française d’un stock de matériel de protection des personnels de santé.

Le réseau de veille en santé animale est désormais associé au réseau de veille sanitaire. Cela lui confère le cadre institutionnel et la légitimité vis-à-vis des États membres. Des mécanismes de coopération entre les systèmes de surveillance en santé humaine et animale sont progressivement renforcés dans chaque État membre. La coopération entre les deux systèmes s’établit au niveau du partage des informations, de l’analyse des données, de la mutualisation de certains outils de laboratoire et de l’harmonisation des stratégies pour la préparation et la réponse aux épidémies.

Les capacités et les compétences nationales de la surveillance en santé animale sont renforcées. Ce renforcement se réalise en utilisant l’outil de l’Organisation internationale des Epizooties (OIE) pour l’évaluation des performances des services vétérinaires (PVS), sur la base des résultats de l’évaluation PVS et de l’analyse des écarts PVS qui définit des objectifs pour les pays.

Le comité de pilotage du projet, qui s’est tenu à la Réunion du 5 au 7 février 2015, a permis de constater une dynamique de travail régionale très prometteuse, et ce malgré des systèmes de soins très inégaux entre les cinq États impliqués. Il a permis de réaffirmer la volonté de tous les acteurs de poursuivre et renforcer les actions en cours, de valoriser et partager les bonnes pratiques développées par les uns et les autres.