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La Chine n’a pas fini d’éternuer

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La Chine n’a pas fini d’éternuer | business-magazine.mu

Hasard du calendrier ou signe du destin ? C’est à Shanghai, en Chine, sur fond d’une guerre des devises largement provoquée par Pékin, que les ministres des Finances des 20 pays les plus riches du monde ont affiché, les 26 et 27 février, leurs inquiétudes «grandissantes» quant aux perspectives de l’économie mondiale. Et ce, alors que l’économie de la Chine, deuxième plus importante au monde, accuse une baisse de régime (le taux de croissance est descendu à 6,9 %, soit le taux le plus bas depuis 25 ans). Ce qui provoque des secousses sur les marchés financiers.

Si c’est courant d’entendre les cris d’alarme des économistes, cette fois-ci, les choses paraissent autrement plus sérieuses.  Les dernières statistiques et analyses émises lors du G20 de Shanghai en attestent. Dès lors, il s’agit de remettre les choses dans leur juste perspective, qu’on soit à la tête d’une PME, d’un ministère d’un petit État insulaire comme Maurice, ou d’une multinationale. Et aujourd’hui, plus qu’hier, tout est imbriqué dans l’unique modèle économique qui relie le monde : le libre-marché (dont le processus est accéléré par la mondialisation des biens et services).

Les ministres des Finances du G20 sont d’accord qu’il leur faut «faire plus» et «œuvrer à la fois individuellement et collectivement». Et pour qu’il y ait une reprise de l’économie mondiale et contrer les risques potentiels (dont le Brexit, la sortie hypothétique du Royaume-Uni de l’Union européenne), ils doivent utiliser «tous les outils monétaire, budgétaire et structurel.» Bref, il leur faut agir en concertation.

Pour arriver à cette symbiose, il faudrait un dialogue franc. Par exemple, il ne faudrait pas évacuer la guerre des devises sous le tapis diplomatique. Les États-Unis et l’Europe ont souvent critiqué, à tort ou à raison, les interventions intempestives de la Chine sur le yuan, objet d’une forte dépréciation l’été dernier puis à nouveau début 2016. C’est la raison qui explique la tension permanente entre les puissances économiques. Mais au-delà de cet aspect monétaire, la Chine est aussi pointée du doigt pour sa surcapacité de production. Depuis de longues années, les Chinois faussent les règles du jeu avec leurs ressources phénoménales. Ils plombent des dizaines de secteurs. Le secteur de l’acier est particulièrement parlant. Les Chinois produisent presque autant que les quatre autres plus gros producteurs d’acier au monde réunis: Japon, Inde, États-Unis et Russie. Plus de la moitié des aciéries chinoises seraient déficitaires, mais elles continuent à inonder le marché puisqu’elles sont financées à fonds perdus…

Dans un récent rapport, le Fonds monétaire international (FMI) agite le drapeau rouge. En sus de la chute du prix du pétrole – autre source majeure d’inquiétude pour les pays producteurs –, le FMI blâme le ralentissement conjoncturel chinois. Face à cela, l’organisme estime qu’il faut «améliorer le filet de sécurité financier mondial». Car, c’est connu, si la Chine éternue, le monde a toutes les chances d’être grippé. Et cet état grippal risque de durer, car la Chine éternuera pour longtemps encore… À ce chapitre, il convient de souligner la vision pragmatique du Parti communiste chinois. Les dirigeants chinois se disent, en fait, à l’aise avec une croissance à 6,5 % jusqu’en 2020. Selon leurs calculs, cela leur permettra de devenir une société dite de «modeste prospérité».

Au fil du temps, la progression chinoise a été époustouflante, avec une croissance insolente. C’est pour cela que son potentiel économique est encore mal connu. Revoyons l’histoire récente. Après avoir été la première puissance économique mondiale, entre les XVIIe et XVIIIe siècles, la Chine, pour diverses raisons, s’était repliée par la suite sur elle-même et n’avait plus accès aux technologies majoritairement occidentales. Elle est ainsi devenue une puissance de second rang. En 1949, elle contribuait à seulement 1 % du PIB mondial. De nos jours, la contribution chinoise est dans les 16,5 %.

C’est un cas d’école : le Parti communiste chinois a su transformer son «socialisme de marché» à son avantage. Grâce à une discipline de fer et une ouverture tous azimuts de son économie, entre autres facteurs, la Chine deviendra, en 2006, la 4e puissance économique du monde, se permettant le luxe de devancer la France et la Grande-Bretagne, avant de devenir, en 2010, la 2e puissance économique devant le Japon et derrière les États-Unis.

La Chine est devenue ainsi le fer de lance des anciens pays du tiers-monde. Elle incarne le réveil post-Seconde Guerre mondiale. Privée durant 150 ans (1850-2000) de technologies de production, la Chine a su se réapproprier ces technologies par la suite pour s’imposer comme le plus gros fabricant du monde.

C’était en fait un retour à la normale. Selon les études économiques, ce sont les pays les plus peuplés qui ont les économies les plus puissantes, si tant est qu’ils accèdent aux mêmes technologies et que leur pyramide des âges soit similaire à celle des autres. C’est du reste sur ces fondamentaux que s’est appuyé Alain Peyrefitte pour écrire, en 1973, ‘Lorsque la Chine s’éveillera’…

En termes plus pragmatiques, l’économie chinoise a connu un essor des exportations en raison d’un faible cours du yuan et de faibles coûts d’une main-d’œuvre abondante et disciplinée, qui vénère le travail comme d’autres peuples vénèrent l’argent ou le dieu unique. En 1997, Peyrefitte publie la suite de l’ouvrage ‘La Chine s’est éveillée’ (moins remarqué que le premier). Il explique que «le développement de la Chine s’appuie sur une main-d’œuvre jeune et bien formée, l’obsession de l’acquisition de technologies et de savoir-faire clés depuis 1990 et une stratégie de développement par filière orchestrée par le gouvernement.» Sa classe moyenne qui prend de l’ampleur lui permet aussi de freiner ses exportations pour se consacrer à son immense marché domestique.

C’est ce qui devrait permettre à la Chine de parvenir au rang de première puissance économique mondiale entre 2017 et 2019… Si les States, de par l’exploitation du gaz de schiste, ne deviennent pas le premier producteur mondial de pétrole d’ici à 2020 et exportateur net en 2030, cela risque de ralentir l’Empire du Milieu.

 En ce début d’année, la Chine fait trembler les places financières mondiales. Lundi dernier, les Bourses de Shanghai et de Shenzhen se sont effondrées, provoquant un effet contagion. Plus d’un expert estiment que c’est lié au fait que le pays a pris un virage économique : de l’industrie à l’investissement, la Chine s’oriente davantage vers les services et la demande interne, en rupture avec le modèle d’atelier du monde. D’ailleurs, le secteur des services représente aujourd’hui quelque 50,5 % du PIB chinois, signe de l’appétit du géant.

En fait, l’économie chinoise devrait encore croître de quelque 6,5 % cette année selon les objectifs fixés par le régime. Mais par manque de confiance dans les statistiques officielles, les investisseurs ont tendance à se focaliser sur les indicateurs alternatifs centrés sur la production manufacturière. D’où le vent de panique qui souffle actuellement.

Dans ‘Demystifying the Chinese Economy’, Justin Yifu, économiste à la Banque mondiale,  est d’avis que la taille de la Chine est déterminante :  «The difference is that, because of its size, China may become a “leading dragon” for other developing countries instead of a “lead goose” in the traditional flying geese pattern of the international diffusion of industrial development. Over time, there is also the possibility of the gradual emergence of the Chinese Renminbi as a global reserve currency. This is something that would require many fundamental reforms in the Chinese economy; however, it is almost inevitable given the growing relative strength of China in the multi-polar world.» Tout est dit… ou presque !