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L’économie océanique, un nouveau champ de coopération internationale

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L’économie océanique

Dans le discours-programme 2015-2019 du gouvernement figure en bonne place l’ambition de construire une économie océanique : «Government is committed to making Ocean economy an important industry to sustain economic diversification, job creation and wealth generation».

La mise en place d’un ministère de plein exercice, dédié à cet objectif, lui donne une dimension inédite, et témoigne de la volonté du gouvernement d’en assurer une mise en œuvre réfléchie. Le positionnement très volontariste de Maurice rappelle celui d’autres pays insulaires : l’économie océanique fait écho à l’économie bleue des Seychelles, ou à la Blue Revolution de l’Indonésie. De ce point de vue, il n’échappe pas, inévitablement, à un effet de mode. Est-ce que cette nouvelle frontière peut entraîner un surcroît de croissance et de prospérité à Maurice, et alimenter le nouveau miracle économique ?

Rappelons que l’économie océanique se réfère à l’exploitation, de manière efficace et optimale, des ressources maritimes, dans le respect des équilibres et de la préservation des milieux marins. Il y a donc, de manière intuitive, un potentiel énorme à Maurice : d’abord, parce que le pays a des ressources maritimes immenses, caractérisées par une très importante zone économique exclusive de plus de 1 900 000 km² encore sous-exploitée pour sa partie sous-sol, et un lagon fermé parmi les plus grands au monde auxquels s’ajoute une aire commune maritime Maurice-Seychelles de 350 000 km².

Ensuite, parce que cette nouvelle politique suppose, pour son épanouissement, un environnement favorable au développement d’activités économiques : de ce point de vue, Maurice présente des facteurs positifs pour instruire cette ambition, avec des ressources compétentes et professionnelles tant publiques que privées, disséminées dans plusieurs structures, un état d’esprit entrepreneurial, un souci marqué par la préservation de l’environnement et de la biodiversité, une industrie des produits de la pêche thonière à haut niveau technologique, avec une excellente image sur le marché européen, et un port de commerce à vocation régionale, offrant des services en constante évolution.

Mais les écueils existent : tout d’abord, l’étendue des sujets est grande, et une priorisation est indispensable. Dans un premier temps, la toise sera sans doute budgétaire, certains projets trop coûteux pour les finances publiques ne pouvant voir le jour, et ceux qui semblent les plus prometteurs en termes de ressources additionnelles (bunkering, exploitation du sous-sol marin) seront sans doute privilégiés. Mais il faut garder à l’esprit les opportunités d’investissement qui préparent la création de richesses de demain : par exemple, l’aquaculture, notamment pour la maîtrise du cycle biologique d’espèces endémiques, ou les énergies marines, peuvent nécessiter des recherches scientifiques, voire des pilotes, qui nécessitent un appui public important sans lequel aucune application industrielle n’est crédible.

Ensuite, le concept abrite une grande disparité de thématiques, de secteurs d’activités, d’acteurs, qui en rendent le pilotage difficile. À cet égard, une articulation pérenne et permanente avec les représentants du secteur privé, une programmation des activités de recherche en matière d’économie bleue conjointe aux différents instituts existants, et une task force pluridisciplinaire accompagnant le ministère de l’Économie océanique sont de nature à réduire les risques de dispersion, ou d’affirmer les orientations.

Également, il faut reconnaître que Maurice a déjà beaucoup d’acteurs économiques «bleus» de premier plan, dont la contribution à l’économie nationale est prépondérante : le tourisme balnéaire, l’industrie de transformation thonière, l’activité portuaire, par exemple. Le nouveau paradigme de l’économie bleue peut donc conduire, si l’analyse n’est pas réalisée de manière détaillée, à introduire une concurrence pouvant déséquilibrer des secteurs déjà soumis à une compétition internationale forte. Il peut également conduire à multiplier les usagers d’une ressource rare, l’océan, et cette saturation pourra l’exposer à des fragilités accrues, au détriment de sa «productivité» globale. Évidemment, chaque décision devra aussi être prise en visant un objectif de développement durable : les risques sur la biodiversité, l’intégrité des récifs coralliens, les zones côtières, doivent être analysés avant toute décision, pour éviter des situations irréversibles.

La France a une attention, voire une affection, particulière pour cette aventure pionnière : elle est elle-même une économie à vocation océanique, avec la seconde ZEE au monde ; elle dispose d’un savoir-faire mondialement reconnu dans la recherche halieutique et scientifique (IFREMER, Institut Océanographique, IRD), et d’une expertise dans de nombreux domaines (l’exploitation thonière, la transformation des produits halieutiques, l’aquaculture, la protection des plages, les énergies marines….). Elle dispose d’outils de formation couvrant tout le spectre des métiers. Elle a développé, au fil des ans, des méthodes qui pourraient inspirer Maurice dans le lien entre recherche et entreprises, autour des pôles de compétitivité et de l’écosystème qui s’y attache (incubateurs…). Elle a toujours été à l’avant-garde de la coopération régionale, avec l’Union européenne et la COI, sur des questions cruciales pour le développement de cette économie : la sécurité maritime, la protection de la biodiversité, la gestion régionale des pêches. La Réunion et Mayotte, et les autres pays membres de la COI sont les partenaires naturels de ce dessein. Enfin, rappelons que la France abritera, en décembre prochain à Paris, la COP21, négociation internationale sur le changement climatique, qui reste la première menace pour le développement durable de l’économie bleue. Un champ de coopération peut donc s’établir, dans une approche large et multisectorielle, avec l’ambition d’accompagner l’émergence de cette économie océanique.