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Les entreprises mauriciennes face au défi du développement durable

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Les entreprises mauriciennes face au défi du développement durable | business-magazine.mu

Face à la question du développement durable, les entreprises mauriciennes privilégient un certain attentisme à l’égard des autorités publiques, préférant leur laisser l’initiative. Il est vrai que l’aventure écologique a connu ces dernières années de multiples effets d’annonce qui laissent les observateurs plutôt perplexes quant à notre capacité à sécuriser les conditions de viabilité à long terme de notre territoire, encore trop souvent sacrifiées au nom d’un bénéfice à court terme. Il nous reste donc encore à passer d’une pensée opportuniste à une approche plus globale, capable de prendre en considération l’ensemble des impacts sociaux, environnementaux et économiques dans les prises de décision.

Certes, les enjeux au niveau de l’État restent considérables. Sur le plan énergétique, le pays a vu cette année la mise en place de la MARENA (Mauritius Renewable Energy Agency) chargée de promouvoir la contribution des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Mais il reste encore au Central Electricity Board (CEB) de maintenir ses efforts pour faciliter la transition vers une production décentralisée et multi-producteurs, allant jusqu’à la mise en place de coopératives de citoyens, comme l’indique la tendance mondiale. Il est probable qu’en contrepartie, la CEB doive renoncer à certains objectifs de chiffre d’affaires pour le gain du pays.

Ce type d’approche concerne aussi la gestion des déchets avec, au-delà du tri, la mise en place de filières de valorisation matière ; nos déchets étant en majeur partie recyclables. Idem pour la politique nationale du transport qui se fait toujours attendre, notamment face à l’incongruité du «tout-voiture» comme seule solution de déplacement sur une si petite île. Les réalités sociales ne sont pas absentes de ces enjeux et le récent rapport de la Banque mondiale sur l’augmentation des disparités salariales est un indicateur de notre difficulté à mettre en place les paradigmes d’un développement véritable intégré surtout si on ajoute à cela la question du chômage et de l’emploi des jeunes.

Pour répondre à tous ces types d’enjeux de façon simultanée, la politique nationale se focalise aujourd’hui sur les Smart cities comme nouveau remède. Mais la conversion des terres agricoles ; la menace de certains de ces projets sur des poches exceptionnelles de biodiversité ; l’artificialisation des sols et leur impact sur les wetlands, les ressources en eau et les risques d’inondation ; l’étalement urbain et les difficultés de raccord aux réseaux de traitement des eaux ou au réseau national de transport ; la gestion interne et à long terme de ces «villes». Toutes ces raisons et bien d’autres font des Smart cities un programme de développement dont la durabilité n’est pas encore tout à fait maîtrisée, à moins d’avoir au préalable une politique d’aménagement du territoire cohérente.

Au niveau des entreprises mauriciennes, pour une majorité d’entre elles, la question de la durabilité porte avant tout sur le «cash generation». Cette situation les conduit à privilégier la gestion des urgences, au risque parfois d’évacuer les questions du développement à long terme. Toute cette pression cependant ne devrait pas diminuer dans les prochaines années, bien au contraire.

De nombreux facteurs, principalement externes, s’imposent toujours davantage aux entreprises, qui par la force des choses sont appelées à devenir des organismes ouverts, fonctionnant en interdépendance avec leur écosystème. On peut citer, par exemple, la raréfaction des ressources et la volatilité des cours des matières premières ; l’émergence du client «engagé» qui n’hésite pas à commenter en ligne la qualité des produits ; la montée de la pression en provenance des ONG environnementales ou sociales ; la surveillance des traitements imposés aux employés d’une usine ; les critères de gouvernance et de transparence toujours plus exigeants et imposés par les institutions régulatrices ; les impacts sanitaires ou chimiques associés à des procédés industriels ou à des produits aujourd’hui remis en question ; la récente abolition des sacs en plastique à Maurice et toute autre mesure légale de ce type qui pourrait advenir dans un futur proche. Autant d’aspects sur lesquels l’entreprise est sommée de répondre.

L’entreprise qui voudrait répondre au cas par cas à une telle diversité d’enjeux risquerait très vite de se retrouver dans une impasse. Le développement durable porté au sein des entreprises impose donc de définir l’approche stratégique qui permet d’emblée de lever l’ensemble de ces contraintes, voire même de les transformer en opportunités pour innover et adopter une stratégie associée à celle d’un Best in Class. Ce qui nous empêche aussi d’envisager le développement durable sous l’angle réducteur de l’énergie photovoltaïque ou de la production de déchets, même si ces aspects y tiennent une place importante.

Pourtant, beaucoup d’entreprises mauriciennes rechignent encore à tenter cette aventure, du fait de leur difficulté à définir une ligne stratégique résolument novatrice ; parce qu’elles doutent encore beaucoup de l’existence d’un marché ; parce qu’elles ont encore insuffisamment évalué les risques associés à l’évolution de leur métier; parce qu’elles pensent qu’il s’agit d’une démarche coûteuse et qui n’apporte pas de revenus supplémentaires ; et parce qu’elles considèrent que cela ne concerne que certains secteurs d’activité (énergie, bâtiment, agriculture), alors que toute activité humaine est appelée à générer des impacts, positifs ou négatifs, sur l’environnement, la société ou l’économie.

La prise en compte des impacts positifs porte également sur la production locale et la création d’emplois. L’empreinte économique (ou Local footprint) est aujourd’hui un outil très sollicité par les entreprises et autorités publiques pour évaluer les créations d’emplois directs, indirects ou induits, entre les différents secteurs d’activité et à l’échelle d’un territoire, grâce à un investissement, une activité industrielle ou une politique publique. L’initiative Made in Moris s’inscrit parfaitement dans cette logique et représente une des formes que peut prendre le
développement intégré.

Au registre des initiatives, on peut aussi noter le lancement récent du programme Smart Agriculture par la Chambre d’Agriculture, et qui ne vise pas seulement à réduire l’usage des pesticides (dont la consommation a continuellement augmenté ces 10 dernières années alors que les surfaces cultivées s’amenuisaient), mais également à changer de pratiques culturales.

La communication est un aspect essentiel du développement durable, car il s’agit encore pour beaucoup d’un changement culturel, aussi bien pour les stakeholders internes qu’externes, y compris pour les clients. Si la segmentation des marchés à Maurice reste encore très traditionnellement orientée sur les catégories d’âge ou sur les catégories socio-professionnelles, aucune étude n’a encore été publiée sur les catégories comportementales face aux produits dits «responsables».

Il est intéressant de noter que dans la plupart des pays occidentaux et des BRICS, il est devenu nécessaire d’avoir au sein des grandes entreprises une direction développement durable. Cela est en grande partie dû à l’obligation pour les entreprises cotées en Bourse d’assurer le reporting de leur impact social et environnemental depuis le début des années 2000, s’inscrivant ainsi dans la démarche du Global Compact lancé par les Nations unies en 1999. Ce qui a fait naître une nouvelle catégorie de services focalisés sur la notation extra-financière des entreprises cotées, et dont les analyses sont destinées à des fonds d’investissement responsables, qui ont une approche sélective des entreprises, selon leur gouvernance et leurs pratiques en matière de responsabilité sociale ou environnementale. On suivra ainsi avec intérêt la robustesse du Dow Jones Sustainability Index en comparaison de l’indice associé à son panier classique.

On retrouve à Maurice une initiative similaire, avec le SEMDEX Sustainability Index lancé il y a deux ans. Quelques entreprises ont fait le choix de s’y inscrire en publiant notamment un rapport de développement durable, le plus souvent rédigé en suivant le Framework proposé par le GRI (Global Reporting Initiative). La question demeure cependant de savoir comment rendre toutes ces informations pertinentes pour l’investisseur, qui se retrouve submergé par de volumineux rapports imposés par une logique de Compliance et qui, au final, perdent en lisibilité et en clarté. La préparation de rapports pertinents, concis et exhaustifs est devenue aujourd’hui un terrain important de réflexion au sein des entreprises pour assurer le pilotage et la communication sur leur bonne gouvernance et leur développement durable.

Au niveau international, le CarbonDisclosure Project fait le suivi des données statistiques de près de 2 000 entreprises basées dans 51 pays différents, et qui représentent à elles seules 55 % de la capitalisation boursière de la planète (les compagnies listées uniquement). En 2012, 52 de ces entreprises ont été sélectionnées pour qu’un sondage soit effectué auprès de leurs 6 000 fournisseurs à travers le monde. Il ressort de cet échantillon que 70 % de ces entreprises déclarent avoir déjà identifié un risque susceptible de les affecter dès aujourd’hui ou dans un futur proche, qui soit d’origine climatique et de nature à affecter significativement leur business ou leurs revenus. Si 70 % des entreprises membres du Carbon Disclosure Project investissent déjà dans la réduction de leurs émissions de CO2, elles estiment, en revanche, que moins de 30 % de leurs fournisseurs ont entamé une démarche similaire et elles comptent user de leur influence pour faire évoluer leur comportement. Ceci n’est qu’un exemple pour illustrer comment des initiatives volontaires au sein des entreprises sont susceptibles d’impacter les Supply chains à travers le monde.

Il n’est donc pas impossible que des entreprises exportatrices mauriciennes soient soumises à ce type d’exigence de la part de leurs clients étrangers, avec nécessité de répondre à un cahier des charges spécifique, d’adopter un label ou d’entamer un processus de certification environnemental ou durable (de type ISO 14000 ou 26000 ou autre).

Si bien qu’au final, les entreprises sont appelées à veiller non seulement à leur propre vitalité, mais également à assurer celle de l’écosystème dont elles dépendent (économique, environnemental et social). À titre d’exemple, une démarche responsable pour une banque résolument engagée dans le développement durable et bénéficiant d’excès de liquidités serait de payer ses fournisseurs dans les plus courts délais possibles ; et d’en inscrire les indicateurs de performance dans son Sustainability report.