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Renganaden Padayachy : le retour de Bodin

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Le retournement de la conjoncture se prépare dès maintenant | business-magazine.mu

Dans leur dernière étude économique, The World in 2050, publiée en février dernier, les économistes de la société de conseil et d’audit PricewaterhouseCoopers se sont lancés dans une prévision économique à long terme, afin de dessiner les contours de ce à quoi ressemblerait la planète économique en 2050.

La lecture de ce document nous amène à réactualiser nos convictions sur la dynamique économique globale et met en lumière trois enseignements principaux. En premier, un basculement complet de l’ordre économique mondial. Prenant comme mesure de création de richesse le PIB sur la base de la parité du pouvoir d’achat, un indicateur qui permet une comparaison plus équitable de la situation, les auteurs de cette recherche mettent en exergue les enjeux de l’après «Grande Récession». En effet, ils parient sur une accélération du déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale vers les pays émergents, en particulier, vers la Chine et l’Inde, soit un retour à la situation historique existant avant la révolution industrielle du
19e siècle.

Les pays émergents de l’E7 (Chine, Inde, Brésil, Indonésie, Mexique, Russie et Turquie) pourraient peser près de 50 % du PIB mondial d’ici à 2050, tandis que la part des pays du G7 (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie et Japon) diminuerait d’environ 20 %.

En deuxième, un ralentissement du rythme de la croissance mondiale. En effet, même si l’économie mondiale devrait doubler d’ici à 2050, le taux de croissance moyen sur les 34 prochaines années devrait s’établir à 2,5 % l’an, soit un taux nettement inférieur à la moyenne de 3,5 % établie sur la période 1980 à 2016.

Ces prévisions confirment cette croyance de la «Nouvelle Normalité» ou encore de la «Stagnation Séculaire». La dernière crise n’était pas simplement un de ces chocs cycliques qui frappent de façon récurrente, avec les économies qui plongeaient très vite, mais se redressaient tout aussi rapidement. La croissance devrait être inhabituellement faible sur une période inhabituellement longue.

En troisième, l’importance de la dynamique démographique. Selon les auteurs du rapport, la cause principale de ce renversement de l’ordre économique mondial est le facteur démographique. Les cinq futures premières puissances économiques : la Chine, l’Inde, les États-Unis, l’Indonésie et le Brésil sont, en 2017, les cinq pays les plus peuplés au monde.

La croissance dans de nombreux pays émergents sera soutenue par une relative dynamique démographique. Le taux de croissance des pays de l’E7 s’établira autour de 3,5 % en moyenne par an, tandis que celle des pays du G7 atteindra 1,6 % par an en moyenne sur la période 2017 à 2050.

De plus, l’Inde, qui sera, selon les projections des Nations unies, le pays le plus peuplé au monde en 2050, avec une population de 1,7 milliard d’habitants, devrait connaître la croissance la plus rapide avec un taux moyen annuel de 7,5 % sur la période 2017 à 2050.

Prenant en compte ces enseignements, Maurice devrait voir son PIB par habitant multiplié par trois au cours des 30 prochaines années à environ 30 000 dollars américains en prix courants (60 000 dollars américains si on prend comme base la parité de pouvoir d’achat). Cette projection repose sur un taux de croissance économique moyen annuel de 3,5 % et une croissance continue de la démographie.

Or, selon les estimations des Nations unies, notre population va commencer à décroître à partir de 2030 au vu de la faiblesse de notre taux de fécondité. Pour rappel, notre politique malthusienne active de contrôle de la natalité a tellement bien réussi que le taux de fécondité est passé de 2,89 en 1980 à 1,36 en 2015.

Néanmoins, le seuil de renouvellement des générations, c’est-à-dire le nombre moyen d’enfants par femme nécessaire pour que chaque génération en engendre une suivante de même effectif, est au minimum de 2,1 enfants par femme.

La concomitance de la diminution de la fécondité et de l’augmentation de l’espérance de vie expliquera pour l’essentiel le phénomène de vieillissement qui touchera notre pays à partir de 2030, ce qui se traduira mécaniquement par un décrochage de notre performance économique.

Nous préparons notre avenir économique à l’échéance d’un demi-siècle et ce serait sans doute l’une des plus grandes déceptions de notre histoire si nous ne considérons pas, dès aujourd’hui, la dangerosité de la baisse de notre démographie sur le développement futur de notre économie. Nous pouvons reprendre la citation de Jean Bodin, économiste du 16e siècle : «Il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de sujets, trop de citoyens, vu qu’il n’y a de richesse, ni de force que d’hommes».

Ne nous trompons pas, la croissance économique se réalise, aussi, par la croissance démographique, pour autant qu’elle se traduise par une augmentation de la population active. De plus, de nombreux auteurs, dont Boserup, Darity, Pryor et Maurer, ont démontré que la croissance démographique agit comme un stimulant à l’innovation. À la vision malthusienne d’une démographie qui agit comme un frein à la croissance, cette approche oppose un cadre dans lequel ce sont les chocs démographiques qui poussent à l’adoption de nouvelles technologies bénéfiques à la
croissance.

Les mêmes résultats positifs de la croissance démographique sur la dynamique économique apparaissent également dans les modèles d’Arrow et de Phelps. Dans ces modèles, l’effet positif de la croissance démographique résulte de la relation proportionnelle observée entre effectif de la population et effort consacré à la recherche.

Enfin, Beaudry et Green ont récemment démontré que l’adoption rapide des nouvelles technologies est plus rapide dans les populations à croissance rapide. Nous devons revoir notre politique fiscale et réadapter notre politique d’ouverture afin de retrouver  une dynamique démographique forte, seule à même de pérenniser notre futur économique, notre avenir.

Nous ne pouvons continuer avec une politique fiscale qui taxe le troisième enfant. En effet, pour un ménage avec un seul adulte sur deux qui travaille, il n’y a pas de déductions supplémentaires à partir du troisième enfant.

Nous ne pouvons continuer à restreindre l’expansion des entreprises par manque de compétences. Notre politique d’ouverture devrait permettre une plus grande flexibilité.

Il nous faut attirer les compétences, les talents. Ne nous renfermons pas sur nous-mêmes, il faut ouvrir grandes les portes à la connaissance et au savoir-faire, attirer le capital-savoir.

L’ancien monde est mort et le nouveau tarde à naître. Profitons de ce moment pour nous régénérer. Notre capacité à innover, à créer des concepts et à produire des idées seront les éléments fondamentaux de notre destin.