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Patrick Moisan : «Aucune destination ne peut se passer du ‘All inclusive’»

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Patrick Moisan : «Aucune destination ne peut se passer du ‘All inclusive’» | business-magazine.mu

Les forfaits hôteliers ‘tout compris’ correspondent, selon Patrick Moisan, consultant en tourisme et hôtellerie, à une nouvelle manière de consommer. Pour le directeur de Hands on Services, cette formule est devenue indispensable, notamment pour satisfaire les touristes ‘sédentaires.’

BUSINESSMAG. Un certain nombre d’acteurs de l’industrie touristique, hors hébergement, se plaignent ces derniers temps de la croissance du phénomène ‘All inclusive’, prestation offerte par certains hôtels. Qu’en est-il exactement et pourquoi le sujet revient-il sur le tapis ?

À première vue, on peut en effet penser que les forfaits hôteliers All inclusive sont contraires aux intérêts de certains prestataires non hôteliers (restaurants en particulier mais aussi activités diverses…) car les clients de ces hôtels sont plutôt sédentaires et sortent rarement des hôtels qu’ils ont choisis, (certaines personnes vont jusqu’à dire que ces clients étaient prisonniers de leurs hôtels).

On peut éventuellement comprendre les difficultés de ces petites entités qui voient ainsi une fraction de la clientèle de la destination leur échapper, cette clientèle voulant absolument faire usage des forfaits qu’elle a déjà payés au moment de la réservation.

BUSINESSMAG. Quelle est donc la solution ?

Cette vision de la situation est très simpliste et des solutions ne sont pas si faciles à trouver et à mettre en place et encore moins à faire respecter en raison de la complexité du problème !

Même si les hôteliers mauriciens n’ont pas été les premiers à mettre ces forfaits en place, il n’en reste pas moins que ces prestations tout compris sont maintenant solidement ancrées dans le paysage hôtelier local et qu’un retour en arrière est impossible.

BUSINESSMAG. Pourquoi impossible ?

Ces prestations sont devenues indissociables d’un tourisme hôtelier de séjour moderne et le format All inclusive correspond à une nouvelle manière de consommer. Cette demande est grandissante et aucune destination balnéaire ouverte sur le monde ne peut s’en passer. Cette demande est celle d’un type de touristes ‘sédentaires’ pour qui les beautés et particularités d’une destination sont secondaires. Ils ne viennent pas pour découvrir la destination, mais pour se prélasser sur la plage de l’hôtel plutôt que d’en sortir – d’aucuns parleront de ‘bronzer bêtement’ – afin de se reposer d’une longue année de travail.

Tous les touristes ne sont pas des aventuriers, loin s’en faut, et les vacances, après tout, sont aussi et surtout faites pour se reposer.

En proposant l’All inclusive, les hôteliers mauriciens ne font que répondre à une demande en forte croissance qui risquerait de ne pas se matérialiser chez nous si elle n’était pas satisfaite.

Certaines nationalités en sont plus friandes que d’autres et le fait de pouvoir en jouir ici à Maurice est d’un poids non négligeable dans leur choix de destination et d’hôtels pour y passer leurs vacances. In fine, le marché décide et il faut savoir s’adapter.

BUSINESSMAG. Il y a aussi le facteur prix qui entre en jeu n’est-ce pas ?

Effectivement, c’est une autre raison expliquant le succès croissant de ces forfaits. En choisissant le tout compris, le client sait avant de partir ce que son séjour lui coûtera et il peut ainsi mieux maîtriser le budget qu’il alloue à ses vacances. Il n’a plus à craindre les mauvaises surprises surgissant en cours du séjour et en particulier avec des consommations de restauration souvent vendues à des tarifs exagérés, voire prohibitifs dans certains cas.

Le touriste doit parfois payer une malheureuse bouteille d’eau l’équivalent de 10 euros, ce qui représente une fortune pour certains d’entre eux, alors qu’ils trouvent la même bouteille à un demi-euro environ à la boutique du coin. Je vous laisse imaginer la détresse du touriste sud-africain qui, pour le même prix dans son pays, pourra se payer une bouteille de vin d’un bon cru. Certains hôtels exagèrent avec les prix des consommations et sont les premiers à s’en mordre les doigts. Mauvais calcul. Certains hôteliers feraient bien d’adapter leur politique de pricing restauration aux réalités d’aujourd’hui.

Maurice n’est plus la destination exclusive qu’elle était il y a de nombreuses années et ses visiteurs ne sont plus tous aussi aisés que leurs prédécesseurs. Il est donc impératif de s’adapter à cette nouvelle ère.

BUSINESSMAG. Comment s’y adapter ?

L’All inclusive est un mal nécessaire à la destination et il est préférable de trouver des solutions pour s’en accommoder plutôt que de crier haro sur le baudet, même si ces solutions ne sont pas si évidentes.

Cette clientèle All inclusive est certes croissante et les hôtels proposant ce type de forfait sont toujours plus nombreux mais, Dieu merci, nous voyons aussi dans le même temps l’émergence de nouvelles clientèles compenser en partie les touristes All inclusive perdus par les petits prestataires. Je pense par exemple aux adeptes de l’auto-tour qui viennent de plus en plus nombreux à Maurice, chose qui était encore impensable il y a quelques années.

De plus en plus, ces visiteurs, au contraire des ‘sédentaires’ adeptes de l’All inclusive, viennent avant tout pour découvrir la destination. Ils louent une voiture pour la durée du séjour, descendent souvent dans de petites structures aux prestations réduites, en restant deux à trois nuits dans différentes régions de l’île et passent leurs journées à se déplacer de long en large. Ces ‘touristes découverte’ sont les remplaçants tout désignés pour ces petits prestataires pour venir compenser la diminution relative de leurs clients antérieurs.

Mais il ne faut pas rester sur le pas de sa porte et attendre que ces visiteurs se présentent. Un travail de relations publiques est nécessaire auprès des loueurs de voitures et autres prescripteurs afin de se faire connaître pour cette légion de restaurants et autres prestataires de taille réduite.

BUSINESSMAG. Vous dites que le tout compris est un mal nécessaire et qu’il faut s’en accommoder. À quoi pensez-vous concrètement ?

Une table ronde réunissant les parties intéressées sous l’égide des associations concernées serait aussi un premier pas sensé pour explorer les possibilités de travailler en synergie pour le bien de toutes les parties prenantes ou tout du moins du plus grand nombre.

Peut-être, si ce n’est déjà le cas, il faudrait mutualiser certains efforts afin de mieux se faire connaître. Mais cela ne suffit pas et comme les hôtels, ou certains autres prestataires membres de leurs syndicats respectifs, les efforts communs se sont pas suffisants et impliquent donc aussi des actions individuelles. N’oublions pas que les confrères de ces industries sont aussi des concurrents et à un moment ou à un autre il faut aussi savoir tirer la couverture à soi.

BUSINESSMAG. À vous entendre, on a l’impression qu’il faudra que les petits prestataires mettent aussi la main à la poche ?

Tout à fait ! Tout comme les hôteliers et d’autres prestataires le font régulièrement. Je voudrais rappeler que sans les efforts financiers consentis par les hôteliers pour la promotion de la destination, la fréquentation touristique et les résultats de notre industrie en général seraient bien inférieurs à ceux que nous connaissons. Il faut cependant que chacun se prenne en charge car personne ne peut se reposer exclusivement sur les autres à moins de se contenter de survivre, croyez-moi pour avoir moi-même exercé et fait face à ces situations dans des pays où le secteur économique privé est beaucoup trop assisté.

BUSINESSMAG. Peut-on avoir une idée de la proportion de touristes qui optent pour le forfait tout compris en venant à Maurice ?

Le pourcentage de clients choisissant ce mode de séjour est encore limité. Même si aucune statistique n’est tenue sur ce sujet, je dirais moins de 10 %. C’est encore très raisonnable et il reste donc plus de 90 % de visiteurs libres d’aller où ils veulent et faire ce qu’ils désirent pendant leur séjour.

BUSINESSMAG. Quelle est la situation pour les autres destinations de même type que Maurice ?

Ici ce pourcentage est inférieur à certaines autres destinations balnéaires. Et je ne parle pas des Maldives où le fait de se retrouver dans des îles-hôtels vous oblige par la force des choses à consommer All inclusive.

Un certain nombre de destinations balnéaires des Antilles en général aussi bien que des destinations situées autour de la Méditerranée connaissent une fréquentation des aficionados du tout compris beaucoup plus importante que la nôtre. Dans certains pays, il est d’ailleurs préférable d’y faire appel en raison des problèmes d’hygiène prévalant dans certaines petites structures. Les chiffres mauriciens de l’All inclusive, inférieurs à bon nombre de destinations le pratiquant elles aussi, sont donc tout à fait normaux.

BUSINESSMAG. Dans quelle mesure l’All inclusive permet-il aux hôteliers d’augmenter leur rentabilité ?

Ce n’est pas vraiment le cas. Il leur permet au mieux de rétablir des marges opérationnelles qui avaient tendance à se réduire avec l’avènement de nouvelles clientèles plus économes. Les clients consomment. Combiné à l’augmentation de l’occupation, cela crée plus de travail nécessitant plus d’employés.

Les hôtels All inclusive ne sont pas plus profitables que ceux proposant du B to B ou d’autres plus simples, mais ils créent plus de valeur (taxes, achats…) et aussi plus d’emplois. L’All inclusive est aujourd’hui incontournable et on ne pourra pas revenir en arrière. Il est préférable de s’en accommoder au mieux afin de satisfaire un maximum de prestataires. Il est tout aussi inutile d’ostraciser certains prestataires qui par ailleurs sont les moteurs principaux de la croissance de l’industrie.