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Aisha Allee : «Le monde des affaires est parfois déconnecté des réalités locales»

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Aisha Allee : «Le monde des affaires est parfois déconnecté des réalités locales» | business-magazine.mu

En quinze ans d’activité, comment a évolué l’agence ? Quelles sont les étapes qui ont marqué ces années d’existence ?

Il y a eu plusieurs étapes importantes dans la vie de Blast. La première, c’est quand je fonde l’agence en 2004. La situation était très difficile, cela même si à l’époque, il y avait beaucoup d’opportunités et peu d’agences de communication. Quand j’ai sondé le marché, j’ai réalisé que les gens n’étaient pas très satisfaits de l’offre qui y était proposée. Blast est donc venue apporter un peu de fraîcheur et une certaine expertise.

La deuxième étape marquante, c’est l’arrivée de Lekha Seebaluck en 2007 ; elle est une étape extrêmement importante dans la vie de Blast. À son arrivée, nous avons mis sur pied un plan d’action sur cinq ans. Je lui ai alors dit que dans cinq ans, nous avons toutes les chances d’arriver au top et elle trouvait cela assez surréaliste. Mais en 2009, nous avions pratiquement dans notre portfolio une grande partie des corporates de l’île. C’est aussi avec l’arrivée de Lekha Seebaluck que nous avons affiné nos services.

Et puis, il y a eu l’arrivée de Burson-Marsteller. C’est une rencontre fortuite, en 2010, qui m’a amenée vers Robyn De Villiers. Elle est une autorité en matière de communication à travers le monde, mais surtout en Afrique. J’ai été la rencontrer en Afrique du Sud et elle, également, commençait à créer son réseau en Afrique. À sa demande, j’ai pris la carte de Burson-Marsteller pour Maurice. Notre partenariat était alors très léger ; on se rendait à des conférences tous les ans et on apprenait beaucoup tout en rencontrant plusieurs personnes du métier. Burson-Marsteller a été très importante dans le sens que cela a aidé à former les équipes. Nous avons profité de leurs outils, de leur réseau et, très souvent, elle nous référait des marques à l’international. 2014 a été l’année où tout explose. Je reçois le Tecoma Award, qui à l’époque n’était basé que sur le vote du secteur corporate. Nous devenons également la première agence de communication à Maurice à recevoir le premier SABRE Award, ce qui est pour nous un prix très important ; le Sabre Award, l’une des plus prestigieuses récompenses mondiales en matière de communication. Ce prix est reconnu sur le plan mondial mais très peu connu à Maurice. À l’international, quand vous dites que vous avez reçu un SABRE Award, les gens vous prennent au sérieux. Et nous avons également reçu le Microsoft Communication Newshound Award qui reconnaît les travaux extraordinaires des agences à travers le monde pour Microsoft. Tout cela nous a donné d’un coup une superbe énergie

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C’est là que vous preniez la décision de vous implanter dans la région ?

Fortes de ce que nous avions réussi à Maurice, nous prenions effectivement la décision d’aller aux Seychelles. C’était une très mauvaise décision. Nous n’avions pas assez fait de recherches ! Autant les Seychelles étaient intéressantes au niveau du réseau, autant nous n’avions pas assez fait notre homework. Actuellement, nous avons toujours un bureau aux Seychelles, mais c’est seulement pour gérer quelques clients. Mais je ne regrette pas ; je trouve que cela a été une learning experience et cela nous a surtout remis sur terre.

Fortes de cette expérience et après moult réflexions, Lekha Seebaluck et moi décidions de nous rendre à l’île de la Réunion en 2015. Nous sommes allées voir des gens qui nous ont été référés par des personnes d’ici. Le marché réunionnais nous semblait très difficile, avec beaucoup de barrières à l’entrée, mais nous avions senti une opportunité. Nous avons surtout pris soin de ne pas répéter les mêmes erreurs que nous avions commises aux Seychelles. Aujourd’hui, après deux années passées à l’île de la Réunion, je suis extrêmement contente de la manière dont se déroulent nos activités là-bas. Nous sommes un bureau avec quatre personnes qui font un travail remarquable.

Nous travaillons avec des groupes tels que Ravat, qui nous donne un soutien indéfectible. Nous avons aussi des groupes comme TRANSDEV, la Société d’Importation des Pharmacies de la Réunion (SIPR), le Syndicat des Importateurs et du Commerce de la Réunion (SICR)… Autant à Maurice nous avons pris la décision de ne pas faire de la communication politique, nous le faisons à l’île de la Réunion parce que nous sommes sollicités pour cela. Et nous prenons beaucoup de plaisir à comprendre ce territoire et à offrir ce service, qui est à haute valeur ajoutée. Concernant nos autres activités dans la région, nous opérons aussi de Maurice sur Mayotte où nous avons un gros client. Par ailleurs, je suis fière d’avoir pu nous réinventer très souvent. Tous les deux ans, nous avons des rencontres avec des gens qui nous sont chers ; je les appelle notre advisory board. Ce sont des clients pour qui j’ai beaucoup de respect et qui nous donnent des feed-back constructifs. Ce questionnement permanent est important pour nous, car cela nous permet d’avoir du recul, de réfléchir autrement, de voir des choses que nous n’avons pas vues ou encore des opportunités que nous n’avons pas su identifier. Entre autres, cela nous permet de revoir notre offre.

À l’île de la Réunion, vous avez choisi de faire de la communication politique. Pourquoi pas à Maurice ?

Bien que nous ayons l’expertise, nous sommes facilement labélisés. Donc, c’est un choix que nous avons fait. Il faut savoir qu’autant nous nous impliquons dans la communication au niveau de la région, nous sommes très présents à Maurice. Le gros de nos activités se trouvent être à Maurice. Le marché mauricien est très important pour nous et nous avons besoin de travailler avec tous les gouvernements, avec l’Opposition, avec tout le monde. Pour nous, c’est un non-sens de faire de la communication politique à Maurice. Nous savons qu’à Maurice, c’est très polarisé : c’est soit X soit Y. Et si nous nous mettons à dos un gouvernement, c’est sûr que nous n’allons pas pouvoir être des agents d’influence et d’amener cette valeur ajoutée à nos clients. C’est un choix stratégique et réfléchi. Actuellement, nous avons de bonnes relations avec tout le monde, y compris avec le gouvernement.

À l’île de la Réunion, vu le microcosme et l’écosystème politique, nous pouvons tout aussi bien travailler dans une commune dans le Sud et une autre dans l’Est. Nous travaillons pour le municipal et le régional. Nous travaillons avec le candidat, mais nous restons à l’arrière-plan. En nous basant sur des études, nous mettons au point sa stratégie. À l’île sœur, les choses sont différentes parce que nous ne sommes pas Réunionnais et nous nous appuyons beaucoup sur les gens de là-bas pour comprendre leur écosystème. Je suis assez contente de la façon dont les choses évoluent là-bas, du moins pour la communication politique. 

Quelle est la place de la technologie dans les activités d’une agence comme la vôtre ?

Tout d’abord, je dois faire ressortir qu’aujourd’hui nous travaillons avec Burson-Marsteller, qui a fusionné avec Cohn & Wolfe et est devenue Burson Cohn & Wolfe (BCW). BCW à l’international nous emmène des outils très performants tels que le Social Media Listening. Le media monitoring que nous offrons aujourd’hui est probablement un des services les plus stratégiques qui est offert à Maurice et dans la région. À tout moment, le P-DG peut recevoir, dès six heures du matin, et cela pratiquement jusqu’à minuit tous les jours, le week-end comme en semaine, jour férié ou cyclone jusqu’à classe deux, des informations stratégiques. Le P-DG mauricien sait si sa société a été citée à Madagascar, à l’île de la Réunion ou encore aux Seychelles. Cette veille internationale que nous proposons est un service extrêmement pointu, couplé d’une certaine technologie qui est utilisée à l’international par des agences comme BCW. Ces outils-là, en sus de l’intervention humaine, font qu’aujourd’hui nous avons des services de haut niveau qui sont demandés par la communauté des affaires. Nous sommes même en train de négocier avec des ambassades et des gouvernements qui recherchent une veille sur l’océan Indien.

Pour nous, l’innovation est d’une importance capitale, et c’est cela qui va garder Blast dans l’esprit des gens. Il n’y a aucune raison aujourd’hui d’être dans la communication, pour faire de la communication de presse. Cela est révolu. J’aime à penser que nous ne sommes plus une agence de communication, mais une agence d’influence. Nous avons mis en relation bien des entreprises qui font affaire ensemble. Ce qui nous place au-delà d’une agence de communication et fait de nous des agents d’influence.

S’agissant du media monitoring, au début, Lekha Seebaluck et moi-même avions commencé à le faire. Nous avons ensuite testé les technologies et les outils. Donc, actuellement, s’il y a une bande son qui passe sur une radio, que ce soit à Maurice ou à l’île de la Réunion, le client aura en temps et en heure tout ce qui a été dit sur lui avec la bande sonore charcutée et l’espace de temps alloué sur la plateforme. Au fil des années, nous avons travaillé avec des outils in-house couplés à des outils développés à l’international. Ces outils nous ont été référés par BCW et nous disposons également d’un outil qui nous permet de connaître les influenceurs de la région. Les influenceurs sont devenus ce que les journalistes étaient il y a très longtemps. Les médias ne sont plus nos seuls relais. Nous sommes dans une phase où le sportif émérite de Maurice, qui a brillé aux Jeux des Iles, peut intéresser une marque et nous, nous négocions avec ce sportif, et nous le mettons en relation avec une marque ou une société.

En quinze ans, le paysage de la communication et des médias a beaucoup évolué. Ce qui fait qu’il faut constamment s’adapter. La communication qu’on connaissait à l’époque a beaucoup changé. Il y a de plus en plus d’agences. Comment se démarquer dans un tel environnement ?

Je pense que la meilleure différentiation pour nous, c’est d’être nous-mêmes tout en faisant du Blast. Blast est avant tout une culture. Le client a demandé A ; il aura de A à Z. Et, très souvent, celui-ci ne se rend pas compte des opportunités qui s’offrent à lui. Quand il vient nous voir, nous lui apportons une valeur ajoutée by thinking out of the box. 

Cela peut paraître simpliste, mais c’est quoi Blast? C’est une innovation continuelle où le client se retrouve plus que gagnant et qu’il voit clairement le retour sur son investissement. Qu’il sait que nous sommes là pour répondre à ses besoins à deux heures du matin, un samedi, un dimanche ou en jour férié car les crises n’attendent pas le lundi à neuf heures pour frapper à notre porte. Notre réactivité fait que nous sommes very much one step ahead. 

La demande du client a aussi évolué. Qu’est-ce qui a changé en matière de demande de la part de ceux et celles qui viennent vers vous ?

Mettre en lumière un service, gérer une crise, construire une relation avec plusieurs publics… beaucoup de gens savent exactement ce qu’ils veulent. Ils ont l’objectif de communication, mais ils ne savent pas comment faire. La demande est passée du simple ‘poussez-moi un produit’ à trouver des solutions business. Ce n’est plus de la communication, mais de la stratégie d’affaires. Nous les accompagnons dans le temps et la communication devient alors un pan de ce que nous offrons. Quand nous allons déjeuner avec des P-DG que nous voulons mettre en relation, c’est souvent nous qui faisons la différence. Très souvent aussi, la communication devient le dernier rempart de notre offre. Ce que nos clients apprécient, c’est que nous sommes plus que des communicants ; nous sommes des agents d’influence.

La demande a changé. Bien sûr, nous avons des clients qui savent exactement ce qu’ils veulent, mais nous avons aussi ceux qui viennent nous voir et qui sont totalement dans le flou ; ils ne savent pas comment faire. Et nous devenons alors des business facilitators. Et très souvent la communication vient à la fin pour faciliter la tâche. Nous travaillons avec le client pour faciliter son implantation, son développement ainsi que ses négociations.

Mais quels sont ces secteurs d’activité qui se tournent de plus en plus vers les agences de communication ?

Tous les secteurs. Aujourd’hui, nous avons touché à beaucoup de secteurs, qu’il soit public, privé, l’énergie, etc. Récemment, il y a eu une grosse société qui est venue vers nous pour parler des cigarettes électroniques ; un produit auquel nous ne sommes pas familiers. Mais dépendamment des nouveaux produits qui viennent sur le marché et des nouveaux secteurs d’activité à l’international, nous aurons toujours quelque chose à apprendre. S’adapter à une culture ou encore savoir gérer une compagnie listée en Bourse et une autre non listée sont différentes choses qu’il faut savoir manipuler.

En tant qu’opérateur économique, quelle est votre évaluation de l’évolution du pays en matière économique ces quinze dernières années ?

Je parlerai de ce que je sais. Dans le monde de la communication, crise ou pas crise, les gens ont besoin de communiquer ; cela ne connaît pas de crise car c’est un besoin vital pour les entreprises et les marques. C’est clair que quand un gouvernement donne le ton et prend des décisions macroéconomiques, cela a un impact sur les entreprises. À l’époque, on parlait de démocratisation de l’économie. Idéalement, tout le monde voudrait que cette économie soit démocratisée, et que les profits soient distillés à tout le monde. Toutefois, ce concept-là était peut-être mal perçu par certains, ce qui a engendré beaucoup de peur. Le monde économique le vivait mal et avait peur de communiquer. Le simple fait de critiquer le gouvernement était un problème. Aujourd’hui, je dois dire que nous avons des leaders qui permettent un questionnement de leur politique. Les réseaux sociaux aidant, tous les leaders politiques qui se respectent ont besoin d’écouter ; ils ne peuvent faire autrement. Le peuple a cette liberté de s’exprimer et cette liberté permet un questionnement. La communication ne peut être que gagnante dans cet espace. Bien sûr, cela rend notre métier plus difficile. 

L’émergence des réseaux sociaux rend donc la communication plus compliquée en temps de crise ?

Bien sûr que cela complique les choses, mais cela les rend aussi plus intéressantes. Avant, quand il y avait une crise, j’avais une à deux heures pour faire un communiqué de presse ; maintenant, j’ai cinq minutes car les réseaux sociaux se sont emparés de la chose. Aujourd’hui, tout se sait sur les réseaux sociaux.

Mais une agence qui se respecte ne peut pas contrôler l’information, et je peux dire que je n’ai jamais appelé un journaliste pour lui reprocher ce qu’il a écrit. Les médias sont un relais important certes, mais ce n’est pas le seul. Nous ne contrôlons pas l’information et, si nous partons de ce principe, les réseaux sociaux deviennent une plateforme comme une autre. Cela complique réellement les choses car nous devons être plus réactifs. Mais dans ce cadre, cela pousse les agences vers le haut.

Souvent les journalistes ont l’impression que les agences de communication s’ingèrent un peu trop dans leur travail. Que répondez-vous à cela ?

Qui les journalistes appellent-ils pour les mettre en communication avec un P-DG en temps de crise ? C’est dommage que certains journalistes regardent les agences de communication en chiens de faïence ; pour moi, nous sommes partenaires. Ils font de l’information, nous faisons de la communication ; nous ne sommes nullement compétiteurs mais partenaires. Nous facilitons certes les entretiens entre la presse et le P-DG, mais nous n’avons aucun contrôle sur ce que va demander le journaliste lors de sa rencontre avec le directeur d’entreprise. Et puis, il faut savoir qu’autant les journalistes disent que nous les appelons quarante fois par jour, eux, de leur côté, font de même et nous ne nous en plaignons pas. Il faut arrêter ce débat que nous sommes compétiteurs. S’il y a un respect mutuel, nous allons toujours pouvoir nous entendre.

L’information a-t-elle cessé d’être l’apanage des médias traditionnels ? Ces derniers perdent-ils le pouvoir face à la popularité et l’influence combinées des réseaux sociaux ?

Le journalisme ne perdra jamais son influence. Par contre, le citizen journalism est venu depuis quelques années bousculer la donne. C’est-à-dire aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, tous se croient journalistes. Mais vous avez le journaliste formé et celui qui va partager l’information. La force d’un journaliste, ce sont ses lecteurs. En gros, tout le monde est influenceur à divers niveaux. Et le plus gros est le public, la plus grande est l’influence. Mais le journaliste ne pourra jamais perdre son influence s’il fait son travail correctement. Si aujourd’hui il couche sur papier des opinions respectées, il n’a aucune raison de perdre son influence ; il est lui-même responsable de son influence et c’est lui qui fait sa notoriété. Toutefois, personne n’a le monopole du savoir ; le journaliste doit aussi se remettre en question est avoir un minimum d’humilité.

Par moments, n’avez-vous pas l’impression que le monde corporate est très déconnecté…

Oui parfois, pas tout le temps. Le monde des affaires est parfois très déconnecté des réalités locales. Cela, non pas juste à Maurice, mais aussi à l’étranger. Très souvent, nous devons leur donner ce reality check et leur montrer comment les choses sont sur le terrain. Notre travail à nous, c’est aussi de venir dire à ces grands patrons, qui sont parfois dans leur tour d’ivoire, que leur image et leur perception ne cadrent pas avec la réalité.

S’il y a un conseil à donner au gouvernement en matière de communication, quel sera-t-il ?

Ils ont le devoir d’être transparents et de nous dire la vérité. Aujourd’hui, à travers le monde, il y a cette mouvance vers plus de transparence. Les grands leaders – j’aime beaucoup le style de Justin Trudeau au Canada – prônent une certaine transparence et ils ont cette proximité avec les gens et n’ont pas peur de montrer leur vulnérabilité. Trop souvent, le leader croit que pour être respecté, il faut se montrer froid. J’ai appris au fil des années que le leader qui lâche ses émotions et qui montre sa vulnérabilité gagne le cœur des gens. Et, bien sûr, c’est d’être authentique dans sa manière de faire. Je pense aussi que les gouvernements doivent bien choisir les gens qui communiquent pour eux parce qu’un attaché de presse a la responsabilité de rendre l’information parfois technique digestible à la population. Il ne faut pas oublier que plusieurs leaders sont arrivés au pouvoir largement grâce à la communication

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