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L’agriculture à la merci du changement climatique

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Les vagues de chaleur récentes, le passage du cyclone Belal et les fortes pluies qui ont touché l’île ont une fois de plus souligné la vulnérabilité de Maurice au changement climatique. L’impact sur notre secteur agricole est particulièrement préoccupant, soulignant ainsi l’urgence d’agir face aux effets du changement climatique sur nos systèmes agroalimentaires.

Après le passage de Belal, les cultures de plein champ, plusieurs hectares de carottes prêtes à la récolte ont été détruits et pour le peu qui restait en terre, le trop d’eau les a rendu impropres à la consommation. Les semences et l’engrais des surfaces récemment plantées en décembre et janvier ont été emportés ; un retard de production sur la carotte est ainsi attendu. Au niveau des légumes filants, tels que le giraumon, le butternut, le melon et le melon d’eau, les rafales ont retourné et arraché certaines lianes et les fleurs préparant le fruit, envolées. Certains champs ont été détruits à 100 %. Les plantations de banane et de papaye n’ont pas été épargnées. Certaines bananeraies ont été détruites à 80 %.

Les pluies diluviennes ont abîmé les routes et cours d’eau (waterways) et ont causé du water logging dans plusieurs champs de canne. Et les cannes coupées principalement en début de coupe se retrouvent couchées à cause des rafales. Certains estiment une perte de 15 jours en élongation, soit environ 2 tonnes de rendement en moins.

Comme le fait ressortir Bruno Dubarry, président du Vélo Vert, la fréquence des épisodes de sécheresse et de pluies torrentielles qui s’accroît, l’amplitude thermique qui grandit aussi, ont des conséquences directes assez visibles sur les plantes en général avec leur lot de dérèglements : précocité des floraisons et du développement des fruits, rendements variables, présence intempestive des ravageurs, saisons discontinues, etc. «L’année 2023 a été la plus chaude enregistrée sur Terre, jusqu’en 2024 dont on attend de nouveaux records. Avec des pratiques agricoles conventionnelles encore dominantes, ces phénomènes entraînent presque systématiquement des augmentations dans l’utilisation d’intrants chimiques – fertilisants, herbicides, pesticides etc. – et l’importation en urgence de denrées agricoles pour répondre à la demande du marché.»

Il y a donc urgence d’agir face aux effets du changement climatique sur les systèmes agroalimentaires localement. Pour Bruno Dubarry, l’urgence tient à des fondamentaux de l’agriculture : se nourrir de manière durable, éviter les conflits d’usage sur l’eau, avoir des sols vivants, disposer de solutions écosystémiques face aux épisodes extrêmes (cyclones, sécheresses), réunir des conditions durables pour l’économie agricole, aménager le territoire en prévision d’effets déjà connus, entre autres.

Mais la question est de savoir ce que devra faire le secteur agricole local pour rendre le système alimentaire plus résistant au changement climatique. À cela, Bruno Dubarry répond qu’il convient d’intégrer les pratiques qui permettent de transitionner vers un système résilient, sur la base d’expérimentations et de passages à l’échelle. C’est donc un alignement des objectifs de sécurité alimentaire et nutritionnelle, d’éducation scolaire et professionnelle, de régimes d’alimentation, d’aménagement du territoire, d’incitation fiscale et d’aides à la transition pour les différents secteurs d’activités économiques concernés.

«L’État doit être directeur en la matière. À défaut, ce sont des «poches» de changements qu’il faut accompagner par le biais de partenariats dans la société civile, avec des financements adaptés pour tester, sélectionner et déployer les modèles qui réduisent les impacts du dérèglement climatique et contribuent à son atténuation ; avant une généralisation au niveau national et la sous-région océan Indien», souligne Bruno Dubarry.

MODÈLE ADAPTÉ

Sachant qu’un sol sain est un puits de carbone qui peut contribuer à ralentir la progression du changement climatique, la question est de savoir si on doit se diriger vers une agriculture régénératrice ? Pour Bruno Dubarry, il y a des mécanismes déjà très efficaces dans la nature ; la forêt en est le parfait exemple. «Développer des modèles agroforestiers adaptés à Maurice est la clé pour faire évoluer l’agriculture. En intégrant nos futures cultures agricoles dans un ensemble de plantes de couverture du sol, arbustes et haies vives, arbres de taille moyenne et haute, nous pourrons agir sur les leviers d’adaptation au dérèglement climatique (maîtriser les températures au sol, gérer les arrivées massives d’eau, etc.)», explique Bruno Dubarry.

Celui-ci ajoute que c’est une approche programmable et déjà les pays de l’hémisphère Nord, notamment à travers l’Union européenne, soutiennent financièrement la plantation de haies dans les exploitations agricoles. Pour aller plus loin et pouvoir prétendre à des crédits carbone par la séquestration du CO2 dans les sols cultivés, la reforestation de notre territoire insulaire est indispensable et la planification est essentielle. En effet, c’est une forêt en croissance qui stocke fortement le CO2, une forêt arrivée à maturité va s’affaiblir dans sa capacité de stockage.

Les décideurs politiques, les chercheurs agricoles et les agriculteurs doivent collaborer à l’élaboration de stratégies visant à promouvoir une agriculture résiliente au climat et garantir la sécurité alimentaire face à l’évolution des conditions climatiques. «Il faut que l’attention générale se porte sur cette recherche de modèles adaptés et que la valorisation des expériences locales soit un réflexe pour l’avancement national. Des projets sont lancés depuis quelques années ou arrivent à maturité. La clé de la réussite réside dans la pérennisation de ces expérimentations par des appels à manifestation d’intérêt à plus grande échelle ou leur intégration dans les schémas de développement existants (sustainable city schemes) avec soutien financier à l’appui pour répondre à l’enjeu d’alimentation durable avant de penser à l’embellissement des espaces de vie. Il faut que les travaux et projets pilotes débouchent sur des modèles viables et répondant aux objectifs de développement durable pour pouvoir réorienter les aides agricoles en vue de généraliser les pratiques agroécologiques», ajoute Bruno Dubarry.

Selon certains observateurs, les innovations et la technologie dans l’agriculture peuvent contribuer à la lutte contre le changement climatique. Mais Bruno Dubarry est d’avis que pour répondre à cela, il faut savoir quel problème on souhaite régler et si la voie technologique empruntée n’aura pas pour effet de créer de nouveaux problèmes.

«Pour employer une analogie naturelle, en voulant supprimer une espèce invasive, on assiste souvent à l’introduction d’une espèce prédatrice qui peut rapidement devenir incontrôlable et qu’il faudra gérer autrement par la suite ; de nombreux exemples végétaux, insectes, animaux témoignent de cela. Il faut donc que les technologies soutiennent des mécanismes naturels afin que les solutions qui existent dans la nature puissent pleinement jouer leurs rôles, à l’échelle microbiologique notamment», ajoute-t-il.

 

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