Type to search

Actualités Autres

Politique monétaire : Les analystes recommandent l’accélération du processus de normalisation du taux repo

Share

La Banque centrale européenne vient de lancer un signal fort en relevant son taux directeur de 75 points de base. Une décision motivée par la nécessité de combattre l’inflation qui demeure le problème numéro un dans la zone euro. Est-ce que la banque de maurice suivra également la voie du resserrement monétaire ?

Face à une inflation persistante dans la zone euro calculée à 8,1 % en 2022, la Banque centrale européenne (BCE) a procédé à une hausse sans précédent de ses taux de 0,75 %, jeudi dernier. Elle emboîte ainsi le pas à la Réserve fédérale qui, ces derniers mois, a multiplié les interventions sur le plan monétaire. Cette nouvelle posture de la BCE a tout de suite impacté le marché des changes avec le cours euro-dollar passant en quelques jours de 0,99 à 1,01.

Désormais, toute l’attention est braquée sur le comité de politique monétaire (CPM) qui doit se réunir ce mois-ci, quoique la date n’ait pas encore été communiquée. Est-ce que la Banque de Maurice va s’engager dans la même voie que la majorité des banques centrales en relevant son taux repo actuellement à 2,25 % (la dernière intervention remonte au 3 juin) ?

La question est délicate car il s’agit de faire la part des choses entre la croissance et l’inflation. Selon certains observateurs, la première question à se poser est de savoir si la politique monétaire peut avoir un impact sur un problème d’offre. Comment des taux d’intérêt plus bas pourraient-ils encourager l’investissement et la consommation alors que le problème est que la chaîne d’approvisionnement a été perturbée ? La satisfaction d’une demande accrue ne peut donc pas être obtenue par la politique monétaire (ni d’ailleurs par la politique fiscale).

Suivant cette première logique, il faudrait plutôt se concentrer sur les problèmes liés à l’offre, notamment en maximisant autant que possible la production locale et en cherchant à développer les chaînes d’approvisionnement régionales. L’autre cas de figure est que si le différentiel de taux d’intérêt entre la roupie et d’autres monnaies partenaires – l’euro et le dollar en particulier – se creuse, il y aura une pression sur notre taux de change avec une inflation induite par la dépréciation de la roupie. La meilleure solution consiste donc peut-être à maintenir les différentiels avec le dollar-euro en visant le différentiel d’avant Covid-19.

De l’avis d’Amit Bakhirta, le CEO d’Anneau, l’on ne peut se permettre de perdre du temps avec le processus de normalisation monétaire. «Un resserrement des taux est conseillé depuis un certain temps déjà. La Banque centrale devrait resserrer les conditions monétaires de manière agressive. Même le Fonds monétaire international (FMI) et maintenant Moody’s s’inquiètent d’une déconnexion incompréhensible de nos politiques monétaires et macroéconomiques. L’inflation en glissement annuel était déjà de +11,5 % en août 2022 et, par conséquent, l’écart entre notre taux directeur de 2,25 % et le taux d’inflation sous-jacent est très, très préoccupant», argue-t-il.

Il ajoute que déjà avec des partenaires commerciaux clés comme l’Union européenne et les États-Unis qui resserrent leurs taux de manière agressive, le différentiel de taux d’intérêt entre l’USD, l’EURO et la roupie mauricienne s’est élargi et exercera probablement une pression supplémentaire sur la roupie. Le portage d’intérêts s’éloigne de plus en plus de la roupie et selon lui, si la situation devait prévaloir, la Banque centrale va devoir alors augmenter ses interventions sur les marchés monétaires et son bilan net reste relativement faible.

De son côté, Sameer Sharma, expert en investissements alternatifs, fait ressortir qu’il n’y a pas de cadre de politique monétaire quantifiable. Et selon le niveau d’inflation que nous voulons cibler, le niveau du taux d’intérêt changera du point de vue du taux directeur. Il précise qu’il y a également un excédent de liquidité dans le système et la Banque centrale a injecté beaucoup d’argent dans l’économie dont elle doit se préoccuper. D’autres banques centrales dans le monde resserrent leur politique monétaire parce qu’elles ont un objectif quantifiable. Elles ont un mandat clair pour le ciblage du taux de change ou le ciblage de l’inflation ou le ciblage monétaire ou le ciblage flexible de l’inflation.

Selon Sameer Sharma, il est dommage que Maurice n’ait pas de cadre clair et net. Il étaye ses propos : «Par exemple, vous ne savez pas quel est le niveau d’inflation qu’on vise. Le marché n’en a aucune idée et discuter de l’agressivité qu’ils devraient avoir est très académique car s’il n’y a pas de cadre, comment savoir quel niveau imposer ? Il y a beaucoup d’argent provenant de la Mauritius Investment Corporation (MIC). Il y a encore Rs 35 milliards que la MIC aura à dépenser ; argent qui sera injecté dans l’économie dans les années à venir. Vous avez près de Rs 40 milliards de fonds spéciaux dans les comptes du gouvernement. Nous avons donc beaucoup de liquidité partout et nous devrions nous concentrer sur ce que nous allons faire avec tout cela parce que cela va aggraver l’inflation».

Notre modèle économique fait que nous importons la plupart de ce que nous consommons. Donc, d’un côté si on imprime de l’argent et qu’on le donne aux gens ou qu’on l’utilise pour les infrastructures et que de l’autre côté, nos importations finissent par augmenter, la monnaie ne fera que se déprécier ; ce qui aggrave l’inflation. Pour Sameer Sharma, nous avons de plus gros problèmes et il ne pense pas que la MPC puisse s’en occuper tant que la Banque centrale n’est pas recapitalisée.

Tabler sur des politiques structurelles favorables à la croissance

La Banque de Maurice ne devrait pas, à elle seule, être responsable pour stimuler la croissance à travers une politique délibérée de taux bas. Dans cette crise, la politique monétaire n’a aucun rôle à jouer étant donné qu’il s’agit d’une question d’offre. Toutefois, même en temps normal, la politique budgétaire devrait être le principal instrument de promotion de la croissance par le biais de l’investissement dans le capital humain et de l’investissement public qui attire l’investissement privé. Le plus important, cependant, est d’avoir des politiques structurel les favorables à la croissance. Notre marché du travail et notre cadre réglementaire sont loin des meilleures pratiques de nos concurrents et des pays que nous devrions vouloir imiter.

Comme le précise Sameer Sharma, nous ne pouvons pas nous reposer autant sur la Banque centrale, qui est essentiellement aux commandes en ce moment, car l’impression de monnaie que nous avons effectuée fausse l’ensemble de l’économie. Nous devons nous engager dans des réformes structurelles à la fois dans le secteur public et dans le secteur privé. Le gouvernement doit revoir son système fiscal, ses dépenses et se concentrer davantage sur les politiques qui génèrent une croissance respon[1]sable. Le secteur privé doit vraiment examiner son modèle de structure du capital faussé et son modèle d’entreprise en général.

«Mais si vous maintenez une politique de contrôle fortement négative en termes réels et si la Banque centrale n’a aucune crédibilité pour mettre en œuvre quoi que ce soit en raison de son bilan, alors encore une fois, c’est une autre question académique. Nous avons un problème plus important : recapitalisons d’abord la Banque centrale, ce qui augmentera le niveau de la dette publique, mais nous n’avons pas vraiment le choix. Nous devons aussi mettre en place un cadre approprié. Je suis très préoccupé par le fait qu’à Maurice, nous semblons vouloir maintenir en vie un grand nombre d’entreprises zombies. Nous devrions sauver les emplois à Maurice et non pas protéger les entre[1]prises zombies», fait ressortir Sameer Sharma.

UN TAUX DIRECTEUR DE 4,25 % ?

Certains observateurs pensent que nous devrions resserrer d’au moins 50 points de base par mois, jusqu’à ce que le taux directeur atteigne au moins approximativement 4,25 %. Car notre objectif doit être de maintenir le différentiel que nous avions avant la pandémie. À ce propos, Amit Bakhirta fait ressortir que 50 points de base est le minimum. C’est exactement ce qu’Anneau avait proposé par le passé.

«Une fois les conditions monétaires plus strictes, cela atténuera les flambées de prix alimentées par la demande et la consommation interne. Avec le recul significatif précédemment anticipé (désormais réel) des prix du fret international (-56 %) et des prix mondiaux des matières premières, associé à des taux plus élevés (et, espérons-le, à une roupie relativement plus forte), nous nous attendons à ce que les pressions inflationnistes se modèrent en conséquence d’ici la fin de l’année. Cela malgré l’augmentation cyclique de la vélocité de l’argent de fin d’année», observe Amit Bakhirta.

Dans ce contexte, Maurice doit-il resserrer sa politique monétaire ? La réponse est oui. Mais avant de le faire, comme le fait ressortir Sameer Sharma, il faut établir un cadre approprié et quantifié. Deuxièmement, la Banque centrale a besoin d’être recapitalisée. Il ne s’agit pas d’une petite somme d’argent ; celle-ci doit être d’au moins Rs 1,5 milliard à Rs 2 milliards de dollars de recapitalisation.

«Tant que la Banque centrale n’est pas recapitalisée et tant qu’il n’y a pas de cadre de politique monétaire quantifiable avec un objectif clairement défini et compris par le marché, ce discours sur l’augmentation des taux ou sur le niveau des taux est purement théorique. C’est pourquoi le FMI a déclaré qu’il doit y avoir recapitalisation pour avoir une politique monétaire crédible. Actuellement, le taux directeur est de 2,25 %, mais tous les taux d’intérêt à court terme, de 7 jours à 1 an, sont bien inférieurs à ce taux directeur. Beaucoup de taux d’intérêt sont à court terme de la courbe de rendement ou inférieurs à 1 %. Je le redis, il y a trop d’excès de liquidités dans le système en ce moment et la Banque centrale et le gouvernement continuent d’injecter plus de liquidités dans le système qui n’est pas motivé par des facteurs de production», fait ressortir Sameer Sharma. Il est catégorique sur le fait que nous devons d’abord résoudre cette question avant de parler où devrait se situer le taux directeur.

Mais supposons que la Banque de Maurice vienne de l’avant avec un taux de 4,25 %. La question est de savoir si cela se traduira par un environnement inflationniste plus rétréci et un environnement de prix maîtrisé dans le pays. Certains analystes pensent que non. Car l’inflation est alimentée par les contraintes de l’offre et la dépréciation de la roupie. La Banque de Maurice a peu de contrôle sur ces deux facteurs. Elle a un certain contrôle, mais ne peut défendre la roupie que si la politique fiscale est favorable et moins expansionniste qu’actuellement.

Cela signifie une augmentation des impôts ou une réduction des dépenses, à moins que des mesures visant à accélérer la croissance puissent être adoptées (et il n’y en a pas en dehors de la reprise du tourisme).

Ces entreprises non productives

L’excès de liquidité demeure l’un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés. Un problème qui a été aggravé par l’impression de monnaie. Ce qui a déformé les structures de capital de nombreuses entreprises qui ne sont pas incitées à les changer. «Nous avons également beaucoup d’entreprises non productives qui existent encore aujourd’hui à Maurice et qui aiment vraiment beaucoup s’endetter. Ces entreprises vous diront que les taux devraient toujours être plus bas, quel que soit le niveau de l’inflation. Le problème que nous avons est que nous encourageons les mauvais comportements et les structures de capital faussées, ce qui n’est pas dans l’intérêt du long terme de cette économie», observe Sameer Sharma. Il ajoute qu’il n’y a pas de compromis à long terme entre la croissance et l’inflation, car si on a une inflation stable, c’est bon pour les investissements. Si on regarde la différence entre le taux de prêt et le rendement des obligations d’État ou si on regarde la différence entre les rendements des obligations d’entreprises à Maurice et les rendements des obligations d’État pour la même échéance, on constate ce qu’on appelle un écart de crédit, fortement faussé par le montant de l’excès de liquidité dans le système.

Pour Amit Bakhirta, un taux directeur à 4,25 % aidera à resserrer le différentiel de taux d’intérêt entre le dollar, l’euro et la roupie et, espérons-le, permettra à la roupie de s’apprécier d’une manière ou d’une autre. Couplées à des prix mondiaux du fret plus faibles (effondrement massif de – 56,2 % : c’est-à-dire d’un pic de 11,109 USD à 4,862 USD) et à des prix mondiaux des matières premières sensiblement plus faibles, les pressions sur les prix devraient être atténuées. Sinon, la déconnexion sera encore plus inquiétante.

Mais dans le contexte actuel où la Banque centrale n’a pas le bilan nécessaire pour aligner tous les taux d’intérêt à court terme sur le taux directeur, et compte tenu du montant des fonds spéciaux et de la MIC qui continueront à injecter de la liquidité dans le système ainsi que du montant de l’excès de liquidité dans le système en général, augmenter simplement le taux directeur est hautement symbolique. Inévitablement, cela entraînera aussi des augmentations du taux de prêt, renchérit Sameer Sharma.

La prise de décision se révèle donc compliquée. Car maintenir des taux bas permet d’épargner les consommateurs et entreprises endettées et de sauvegarder les emplois. Mais on peut se demander si une augmentation des taux à ce stade du cycle paralyserait de manière inégale les couches les plus vulnérables de la société et accentuerait le fossé des inégalités ?

Pour certains observateurs, pas dans ce cas, car il n’y a pas de compromis à faire, du fait que l’augmentation des taux n’aura aucun impact sur les chaînes d’approvisionnement. En outre, la meilleure protection pour les plus vulnérables est un solide filet de sécurité sociale avec des transferts directs – la Mauritius Revenue Authority (MRA) a fait du bon travail à cet égard – et le maintien de l’inflation sous contrôle. Ce qui signifie une politique fiscale et monétaire qui soutient le taux de change. Pour la politique monétaire, rappelons-le, cela signifie maintenir les différentiels entre les taux d’intérêt en dollars et en euros.

Et Amit Bakhirta de conclure sur cette note : «Les ramifications inflationnistes sur la perte matérielle de pouvoir d’achat, l’appauvrissement de notre population et notre perte de compétitivité économique l’emportent largement sur les risques de défaillance du système socio-économique . La croissance économique a été suffisamment résiliente et le chômage est à des niveaux gérables».

Forte pression sur la roupie

En décidant le 8 septembre, de relever les taux d’intérêt de 0,75 % – ce qui constitue la plus forte hausse depuis 1999 – la Banque centrale européenne (BCE) rattrape le temps perdu en matière de resserrement monétaire pour compenser une inflation beaucoup plus élevée que prévu. Elle maintient un nouvel engagement pour empêcher l’euro de s’affaiblir davantage par rapport au dollar, de plus en plus considéré comme un accélérateur d’inflation peu utile.

«Les hausses respectives de 50 points de base et 75 points de base des taux d’intérêt par la Bank of England et la BCE élargiront le différentiel d’intérêt et le portage entre les devises de ces partenaires commerciaux importants et notre roupie, accentuant ainsi la faiblesse de la roupie. Cela se passe déjà. Nous devons donc resserrer rapidement cet écart de taux d’intérêt. Pas étonnant que le FMI et Moody’s ne cessent de souligner l’urgence de resserrer nos conditions monétaires. Nous ne pouvons pas continuer à tanker notre roupie ! Il faudra des années, voire des décennies pour s’en défaire», souligne Amit Bakhirta.

L’écart entre les taux d’intérêt locaux à court terme, mesuré par les taux des bons du Trésor du gouvernement mauricien à 7, 30 et 90 jours et les taux des bons de la Banque de Maurice, et les taux d’intérêt internationaux va évidemment s’agrandir. Sameer Sharma prévoit que cela exercera une pression à la baisse sur la roupie notamment par rapport au dollar. Il y a deux éléments qui comptent : le niveau des taux d’intérêt relatifs, qui est un différentiel, et bien sûr aussi le déficit du compte courant et, en général, la croissance relative.

«L’Europe peut avoir besoin d’augmenter les taux d’intérêt parce qu’elle a un objectif d’inflation, mais comme son niveau de croissance n’est pas très fort, je ne m’attends pas à ce que la roupie mauricienne subisse autant de pression à la baisse que le dollar américain. Nous devons comprendre qu’une grande partie de l’inflation à laquelle nous sommes confrontés depuis 2020 vient de l’étranger. La dépréciation de la roupie a aggravé la situation et c’est là notre problème», ajoute Sameer Sharma.

 

Tags:

You Might also Like