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BPO : les défis d’une nécessaire évolution

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BPO : les défis d’une nécessaire évolution | business-magazine.mu

L’objectif du nouveau gouvernement de faire du Business Process Outsourcing (BPO) à Maurice un secteur à forte valeur ajoutée nécessitera de profonds changements à plusieurs niveaux, au dire des opérateurs, dont celui de l’éducation et du cadre légal.

L’une des ambitions du nouveau gouvernement, plus précisément du ministre de la Technologie, de la communication et de l’innovation, Pravind Jugnauth, est d’inciter les entreprises du secteur du Business Process Outsourcing (BPO) à monter en gamme. La transformation annoncée suscite bien des attentes chez les opérateurs concernés qui n’en sauront davantage qu’à la lecture du Budget, le 23 mars.

L’enjeu est de taille pour Maurice car si l’objectif de faire du BPO un secteur à forte valeur ajoutée est atteint, l’île pourra s’imposer comme un centre de référence à ce niveau dans la région de l’océan Indien. Cela aura pour effet d’attirer les meilleurs professionnels évoluant dans ce domaine en Afrique ainsi que le développement d’une industrie axée sur les applications et logiciels destinés aux secteurs bancaire et médical, entre autres.

De nombreux acteurs du secteur du BPO s’accordent à dire que sa revalorisation s’impose aujourd’hui comme une nécessité. Ainsi, Charles Cartier, président de l’Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius (Otam) et Managing Director de TNT Business Solutions, explique que l’évolution proposée par le ministre Pravind Jugnauth a, en fait, «déjà été enclenchée mais par une poignée d’entreprises du BPO». Il ajoute que «la montée en gamme des activités du BPO est obligatoire, pour la simple raison que la destination mauricienne devient de plus en plus chère.» En cause: l’appréciation de la roupie et les récentes augmentations salariales, deux facteurs qui découragent les multinationales du BPO à la recherche de pays à faibles coûts pour mener à bien leurs opérations. Le fait que certaines activités élémentaires du BPO peuvent être exécutées dans d’autres pays pratiquant des tarifs inférieurs à ceux de Maurice, justifie, selon Charles Cartier, ce mouvement graduel : «Aujourd’hui, les entreprises du BPO à Maurice sont à la recherche d’activités où elles sont les mieux rémunérées. Et pour cela, vendent des services à plus forte valeur ajoutée.»

Remplacer les low-skilled jobs

La montée en gamme du BPO est en outre une tendance mondiale, comme le souligne Vidia Mooneegan, Managing Director de Ceridian Mauritius : «Le ministre de la Technologie, de la communication et de l’innovation est venu de l’avant avec cette proposition car dans le monde entier, l’industrie du BPO est remise en question.» Pour étayer son propos, il cite l’exemple de la multinationale Infosys. Celle-ci, dit-il, a acheté une société produisant des technologies qui remplaceront les emplois peu qualifiés du secteur des BPO, cela afin de les intégrer à ses activités. Suivant cette logique, Vidia Mooneegan affirme que «si nous voulons demeurer une des destinations les plus prisées de ce secteur, nous n’avons pas d’autre choix que celui de passer par l’étape de l’‘upgrading’». Le Managing Director de Ceridian Mauritius ne peut s’empêcher, toutefois, de se poser deux questions : «Le secteur est-il fin prêt, à Maurice, à proposer des activités à forte valeur ajoutée ?» Ou encore, comment le gouvernement compte-t-il se préparer à cette étape «que nous ne pouvons éviter» ? Il précise à ce propos que jusqu’à présent, le ministre n’a fait qu’annoncer son ambition mais depuis, rien n’a été communiqué sur la direction à prendre pour monter en gamme.

Pour Vidia Mooneegan, au vu des nombreux défis que devra relever le secteur du BPO à Maurice avant de se positionner sur le segment «high value-added», «bien qu’il y ait quelques entreprises qui pratiquent déjà des activités à forte valeur ajoutée, il est prématuré à l’heure actuelle d’orienter entièrement le secteur du BPO mauricien vers ce créneau».

L’un de ces défis est de remplacer les «low-skilled jobs», soit ceux correspondant aux activités des centres d’appels. Ces emplois peu qualifiés impliquent principalement la saisie d’informations, indique Charles Cartier. Et d’ajouter qu’avec une montée en gamme, «les employés du secteur du BPO seront appelés à récupérer des informations, les classer, les interpréter, les comprendre. Bref, des responsabilités qui relèvent plus de la recherche.» Ce à quoi le Managing Director de Ceridian Mauritius ajoute que de tels emplois nécessitent aussi une capacité de réflexion et de la créativité.

Le président de l’Otam est d’avis qu’à Maurice, avec près de 40 000 chômeurs dont la plupart ne sont détenteurs que du School Certificate (SC), une montée en gamme relève véritablement du challenge. «Maurice se trouve face à un problème de transition économique car les personnes qui sont au chômage sont pour la majorité détentrices d’un SC, ce qui ne leur permet pas de prétendre à des postes de programmeur ou de technicien financier qu’exige un ‘high value-added’ BPO», souligne-t-il. Selon Charles Cartier, ce sont les élèves qui sont au stade du choix de filière à l’heure qu’il est, en Forms 3, 4 et 5, qui pourront accéder aux postes d’un BPO à forte valeur ajoutée. «Mais il faudra attendre cinq à huit ans encore». Pour l’heure, pense-t-il, le plus important est de résoudre le problème du chômage et donc, de favoriser la création d’emplois peu qualifiés.

Quant à Vidia Mooneegan, il prône l’anticipation, convaincu que les centres d’appels doivent déjà réfléchir à leur avenir. À titre illustratif, il mentionne l’Inde : devenue une référence dans le secteur du BPO, elle avait également démarré dans les années ’90 avec des «low-skilled call centre jobs». Or, désormais, peu de personnes dans la Grande péninsule sont employées dans ce segment.

En termes de main d’œuvre, s’il est vrai que la plupart des sans-emploi sont peu qualifiés à Maurice, le problème de la fuite du capital humain se révèle aussi problématique. Charles Cartier indique, à ce chapitre, qu’une montée en gamme requiert un «pool» de diplômés dans des filières telles que les mathématiques et les sciences. Un point de vue que corrobore Vidia Mooneegan en suggérant qu’il faudrait inciter les jeunes à opter pour ces filières : «Comment voulez-vous que nous encouragions nos diplômés à demeurer au pays et que le BPO propose des activités à forte valeur ajoutée quand ce secteur manque de visibilité ? L’on doit organiser plus de forums sur les opportunités qu’offre le BPO.» Charles Cartier estime aussi qu’il faut que les jeunes sachent «qu’il y a des perspectives dans ce secteur à Maurice également. Ce sont certes des métiers difficiles mais avec des salaires très intéressants». 

Autre idée proposée par le président de l’Otam pour endiguer la fuite des cerveaux : «Au lieu d’utiliser les fonds du pays pour subventionner les études de nos jeunes à l’étranger, pourquoi l’État ne s’en servirait-il pas afin d’attirer les meilleurs professeurs à Maurice ?» Toujours concernant les études, Vidia Mooneegan ajoute que l’industrie du BPO devrait collaborer avec les universités en vue de les guider par rapport aux métiers d’avenir dans ce secteur.

Obstacle supplémentaire sur la route de la montée en gamme de l’industrie du BPO est le cadre légal. Vidia Mooneegan souligne, de fait, que «la loi sur le travail ou encore celles sur la propriété intellectuelle et la protection des données informatiques doivent être revues». Concernant l’ICT Act, qui date de dix ans, le Managing Director de Ceridian Mauritius ne mâche pas ses mots : «Cette loi est désuète. Elle ne suit pas l’évolution de la technologie. Il est révoltant d’avoir des lois qui empêchent le BPO mauricien de grandir, d’évoluer, d’être compétitif, voire d’attirer les multinationales.»

S’agissant de la protection des données informatiques en particulier, Charles Cartier en parle comme d’un réel problème à Maurice, soulignant que notre juridiction n’est pas reconnue par l’Union européenne à ce niveau. En conséquence, certaines entreprises évoluant dans le secteur du BPO ont même dû cesser leurs opérations. «Les compagnies qui traitent des données personnelles à Maurice s’exposent au risque d’une interdiction d’opérer pour non-conformité à la législation de l’UE», conclut-il.