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Édito

Les compteurs remis à zéro

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Richard Lebon

Il y a trois ans, l’économie était au service des soins intensifs. Le monde connaissait sa pire crise depuis la Seconde Guerre mondiale et, même si l’on s’accrochait à l’espoir d’un retour à la normale, il était clair que la traversée du désert allait être extrêmement longue. La pandémie avait mis au jour les défaillances structurelles propres à notre petit État insulaire qui, en cinq décennies d’indépendance, avait su se diversifier et bâtir son succès, mais sa forte dépendance du tourisme et de l’importation d’hydrocarbures et des produits alimentaires le rendait extrêmement vulnérable à une crise majeure.

Alors que la frêle embarcation menaçait de chavirer, le pays était placé sur la liste noire de l’Union européenne. La perspective d’une triple crise économique, sanitaire et financière était suspendue au-dessus de notre tête comme une épée de Damoclès. Pour s’en sortir, les entreprises ont dû se restructurer d’un point de vue organisationnel et financier. Quant à l’industrie touristique, qui compte directement et indirectement pour environ 23 % du produit intérieur brut (PIB), elle est restée figée dans l’immobilisme pendant un temps interminable.

Ainsi, dans le sillage de la pandémie, Maurice enregistrait l’une des plus mauvaises performances à l’échelle de l’Afrique subsaharienne avec une décroissance de l’ordre de 14,6 % en 2020.

Trois ans plus tard, le monde est toujours dans un cycle de crise. La guerre en Ukraine a contribué à accentuer les perturbations aux chaînes d’approvisionnement tout en mettant une pression énorme sur les prix de l’alimentaire et de l’énergie. Et aujourd’hui, le conflit sanglant entre Israël et le Hamas qui, depuis le 7 octobre a provoqué plus de 20 000 morts, laisse planer le risque d’un embrasement au Moyen-Orient qui concentre environ deux tiers des réserves de pétrole. La volonté affichée d’Israël d’intensifier son action militaire et de «démilitariser» et de «déradicaliser» la bande de Gaza et les tensions grandissantes avec le Hezbollah au Liban du Sud n’augurent rien de bon. Dans tout ce chaos, le seul point positif, c’est que les marchés n’ont pas cédé à la panique, avec le cours du brut qui, en cette fin de décembre, s’établit autour de 79 dollars.

Quoique ressentant les secousses en relation avec la géopolitique mondiale et associées à la volatilité persistante sur les marchés financiers, l’économie mauricienne poursuit son redressement et se porte nettement mieux alors que rideau tombe sur 2023. Les derniers chiffres sur les comptes nationaux confirment qu’il y a eu une accélération de la croissance au second semestre. D’après Statistics Mauritius, la croissance sera de 7,1 % pour 2023, alors que les prévisions initiales au mois de mars faisaient état d’une croissance du PIB aux prix du marché de 5 %. Ces prévisions sont nettement supérieures à celles du Fonds monétaire international qui table sur une croissance de 5 %. Qu’est-ce qui explique ce grand écart ? Tout comme la Banque de Maurice et Maurice Stratégie, l’institut des statistiques formule l’hypothèse que cette accélération de la croissance découle directement des mesures du Budget 2023-24 et de la politique pro-croissance caractérisée par une fiscalité plus légère et une stratégie de relance de l’économie par la consommation.

D’un point de vue sectoriel, la croissance a été tirée surtout par la performance du tourisme avec plus de 1,3 million d’arrivées enregistrées en 2023, de l’agriculture avec une plus forte production de sucre, de poisson et de la culture vivrière, des Tic, du secteur des transports.

En termes nominaux, le PIB aux prix du marché est calculé à Rs 651,1 milliards contre Rs 572,1 milliards. Toutefois, lorsqu’on évalue le PIB du pays en dollars ou en euros, on constate une baisse d’environ 18 % par rapport à 2019. Autrement dit, cette croissance a été gonflée de près de Rs 117 milliards grâce à l’effet induit par la dépréciation de la roupie. Sur cette base, on peut déduire que la valeur nominale du PIB est plus ou moins au même niveau qu’avant la pandémie. Autant dire que nous sommes de retour à la case départ. On arrive au même constat quand on considère les recettes touristiques. Les derniers chiffres compilés par la Banque de Maurice font état de revenus de Rs 68,5 milliards sur la période de janvier à octobre. Avec l’effet de la haute saison, on devrait se retrouver avec des recettes touristiques circa Rs 85 milliards. Si l’on retranche l’effet de la dépréciation de la roupie vis-à-vis de l’euro sur ces quatre dernières années, l’on arrive grosso modo à un chiffre d’environ Rs 70 milliards, soit une meilleure performance qu’en 2019. Cette performance est réalisée à la faveur d’une stratégie de diversification consistant à attirer plus de touristes à fort pouvoir d’achat notamment du Moyen-Orient.

Autre performance encourageante : l’investissement national, mesuré par la formation brute de capital fixe, augmente de 21,2 % du PIB en 2023. L’investissement du secteur privé aux prix du marché totalise 16,8 % cette année contre 15,8 % en 2022. Alors que l’investissement du secteur public est calculé à 5 % contre 3,9 % un an plus tôt.

Concernant l’inflation, elle montre les signes d’une décélération en cette fin d’année. Pour l’institut des statistiques, l’inflation globale devrait avoisiner les 7,2 % à fin décembre contre 10,8 % en 2022. Le repli de l’inflation est, soit dit en passant, un phénomène mondial avec les prix du fret qui se normalisent et la politique de désinflation enclenchée par les banques centrales, avec en première ligne la Réserve fédérale, qui donne enfin des résultats probants. Or, à Maurice, la pression reste forte sur les prix d’autant plus que la masse salariale va grossir dès le mois de janvier, avec les effets cumulés de la hausse substantielle du salaire minimum et de la compensation salariale de 10 %. Cette révision des salaires va certainement améliorer le pouvoir d’achat du Mauricien lambda. En contrepartie, elle va non seulement alourdir les charges financières des entreprises, mais aussi pousser les prix vers le haut en raison de son effet levier sur la demande. Dans ce contexte, on peut se demander si l’inflation pourra être ramenée autour de 4 % l’année prochaine, comme l’anticipe la Banque de Maurice. D’autant plus que 2024 sera une année électorale et qu’il faut s’attendre à certaines largesses de la part du gouvernement sous la forme de la révision de la pension de vieillesse (celle-ci pourrait dépasser le seuil des Rs 13 500 promis par le Premier ministre au début de son mandat) ou d’autres formes d’allocations sociales.

Quarante-cinq mois après le début de la pandémie, l’économie est à nouveau sur les rails. Il s’agit désormais de capitaliser sur la bonne dynamique du moment. En 2024, les maîtres mots doivent être l’innovation, la productivité et la diversification.

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