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Amit Bakhirta : « Faisons la transition d’une politique de roupie faible à une stratégie axée sur la productivité »

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S’il est vrai que la croissance a été au rendez-vous cette année, il faut savoir qu’elle est surtout la conséquence d’une roupie faible, observe le CEO d’anneau, Amit Bakhirta. Pour 2024, le thème clé sera probablement la normalisation de l’activité économique et la prudence, notamment en matière d’environnement monétaire. Même s’il s’attend à ce que les pressions inflationnistes s’atténuent, soutenant ainsi la consommation intérieure, Amit Bakhirta estime que la géopolitique mondiale risque de devenir de plus en plus délicate et les tensions pourraient s’intensifier, augmentant ainsi la volatilité sur les marchés financiers mondiaux. par ailleurs, l’expert financier rappelle que le monde est en train de changer beaucoup plus vite qu’on ne le pensait et que Maurice est à une période charnière de son histoire. d’où la nécessité d’engager la réflexion sur l’avenir.

Les indicateurs macroéconomiques démontrent une reprise de l’économie. Vous dites souvent que la croissance est un peu biaisée dans le sens qu’elle a été quelque peu apportée par la dépréciation de la roupie. Quel bilan faites-vous de 2023 ?

Concernant la performance économique de cette année, l’aspect crucial réside dans l’impact généralisé d’une roupie très faible. De manière logique, cela s’est manifesté dans divers secteurs, en particulier dans l’exportation, le tourisme, la finance, et également dans le domaine bancaire.

En scrutant les données des grandes entreprises privées à Maurice, les chiffres actuels reflètent largement la dévaluation de la roupie. La question cruciale demeure : cela s’est-elle accompagné d’une augmentation de la productivité ? Si une entreprise génère la majeure partie de ses revenus en devises fortes, la dépréciation de la roupie aura inévitablement un effet de gonflement des chiffres. Par conséquent, cela se traduit par une rentabilité artificiellement élevée et biaisée en raison de la faiblesse de la roupie. Un autre élément à considérer est que cette faiblesse se répercute indirectement sur les recettes fiscales, lesquelles sont également artificiellement gonflées en raison de la roupie extrêmement faible.

Je reviens constamment sur cet aspect de la discussion concernant la tentative, tant bien que mal, d’évaluer la situation économique en se basant sur des devises fortes plutôt qu’après une dévaluation significative de la roupie. Pour illustrer, prenons l’économie mauricienne comme une entreprise qui produit habituellement dix bouteilles d’eau vendues à Rs 10 chacune, avec une production, des revenus et un PIB total de Rs 100. Avec une dévaluation de 50%, la production reste inchangée à dix bouteilles, mais cette fois-ci le coût de production est de Rs 150. Certes, il y a une croissance, mais on pourrait qualifier cela de stratégie des prix plutôt que d’une amélioration réelle de la productivité.

En réalité, la productivité est très simple à comprendre : il s’agit du nombre d’unités que l’on produit en utilisant les mêmes ressources. Si une personne quitte le groupe et que les quatre autres continuent de produire ces dix bouteilles tout en ajoutant trois bouteilles supplémentaires, cela représente ce que l’on appelle la croissance de la productivité. En d’autres termes, si l’on produit davantage avec moins de ressources, c’est alors une croissance économique réelle qui s’opère.

Effectivement, sur le plan statistique, cela a permis de maintenir une économie relativement stable. Cependant, lorsqu’on évalue le PIB de Maurice aujourd’hui en dollars ou en euros, on constate une baisse d’environ 17 % à 18% par rapport à 2019. Sur le plan technique, cela représente quasiment une demi-décennie de perte en termes de compétitivité et de productivité. D’un autre côté, on sait que l’inflation est une taxe indirecte. Les recettes fiscales de Maurice ont augmenté, alimentées par la roupie faible qui engendre l’inflation, créant ainsi un lien intrinsèque.

Actuellement, la roupie a perdu environ 35 % par rapport au dollar au cours des trois à quatre dernières années, mais cette dépréciation atteint 96 % par rapport à l’euro depuis les 20 dernières années, approchant les 100 % depuis 2002 pour être précis. En comparaison, la perte par rapport au dollar est de l’ordre de 84 %.

Une économie forte doit avoir une monnaie qui est forte. Les gens ne le réalisent pas, mais en réalité, nous sommes environ 50 % plus pauvres depuis ces cinq dernières années ; un déclin significatif qui explique la détérioration du pouvoir d’achat.

Quand vous dites que nous sommes 50 % plus pauvres, faites-vous référence aux conséquences de l’effet cumulé de l’inflation et de la dépréciation de la roupie sur notre qualité de vie ?

En effet, lorsque l’on additionne ces deux facteurs cumulativement chaque année, si le Mauricien avait Rs 100 dans sa poche il y a seulement 3 ou 4 ans, cela équivaut aujourd’hui à seulement Rs 50. Alors que les chiffres économiques semblent démontrer un certain niveau de bienêtre, personnellement, je perçois des déséquilibres sous-jacents. Superficiellement, tout semble aller bien avec une consommation raisonnable et une croissance du crédit dans le secteur bancaire et dans l’économie, même si le taux repo est maintenu à 4,5 %. Cependant, en réalité, cela crée des déséquilibres. En raison de la perte de pouvoir d’achat, nous sommes contraints de relever le salaire minimum. L’augmentation des salaires, bien que nécessaire, a des répercussions généralisées, car les salaires sont la principale cause de l’inflation.

L’année prochaine, au lieu d’anticiper un environnement inflationniste qui pourrait éventuellement être plus modéré, nous allons encore exercer une pression, surtout au niveau des salaires. Cependant, ce qui est encore plus crucial, c’est le défi auquel font face les entreprises. Les coûts, principalement liés aux salaires, vont augmenter, les prix ont déjà connu une hausse due à la dépréciation de la roupie, mais la productivité n’a pas suivi le même rythme. Ainsi, en faisant le bilan de cette année, superficiellement tout semble bien avec une croissance probable d’environ 6 %. Mais il faut se rappeler que l’Article IV du Fonds monétaire international de juillet souligne un dysfonctionnement dans l’environnement monétaire du pays, soulignant que les taux d’intérêt ne sont pas assez élevés pour contrer cet environnement inflationniste.

Le fait que ces taux n’aient pas été ajustés de manière adéquate pendant des années a engendré une accumulation, créant ainsi une problématique dans l’économie mauricienne. La situation devient complexe, car il est difficile de maintenir un taux bancaire à 4,5% lorsque le taux de croissance devrait probablement se stabiliser autour de 3,8 % l’année prochaine. Il est important de se rappeler que les taux de croissance antérieurs de 5 %, 6 %, 7 %, voire 8 % étaient en grande partie une reprise mathématique. Et pour 2023, c’était largement lié à la dépréciation de la roupie.

Cependant, à partir de 2024 et 2025, l’économie devrait se stabiliser. Récemment, il y a eu des aspects positifs, notamment la sortie de la liste grise, et la stabilisation de la spirale dans laquelle la roupie était engagée, ce qui est encourageant. De manière informelle, la situation fiscale du pays semble raisonnable, en grande partie grâce à la dévaluation de la roupie. En résumé, le bilan pour l’économie et la situation fiscale du pays cette année est positif. Cependant, il est essentiel d’être réaliste, car nous comprenons bien les nuances des chiffres. Par exemple, bien que les investissements directs étrangers de Maurice puissent sembler solides en roupies, leur évaluation en dollars ou en euros ne retrouve pas les niveaux moyens atteints il y a quelques années.

Néanmoins, l’économie demeure stable ; Maurice figure parmi les pays les plus prospères d’Afrique en termes de richesse par tête d’habitant. Notre génération a acquis la sagesse de préserver ses économies et de les investir, avec 85 % de la population possédant son propre logement. Bien que des enjeux microéconomiques et sociétaux persistent dans le pays, ils ne se font pas sentir de manière aiguë à ce jour. Le défi réside dans l’accumulation de ces problématiques, car tôt ou tard, elles pourraient éclater, d’où la nécessité de changements structurels.

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