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Arnaud Lagesse : “Je suis inquiet du leadership de notre pays”

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Arnaud Lagesse : "Je suis inquiet  du leadership  de notre pays" | business-magazine.mu

Nous donnons, cette semaine, la parole au CEO de GML, la première entreprise mauricienne. Dans l’entretien qui suit, Arnaud Lagesse évoque l’avenir du groupe qu’il dirige et les défis économiques du pays. Il tire la sonnette d’alarme : Maurice « régresse » comparativement à d’autres pays. Avant de lancer un appel à nos dirigeants pour qu’ils se concentrent sérieusement sur l’avenir du pays.

BUSINESSMAG. GML demeure en tête du classement  des compagnies mauriciennes avec un chiffre d’affaires de Rs 27,6 milliards. Vous comptez déjà 275 subsidiaires et compagnies associées, avec des actifs de Rs 57 milliards. Quel est votre prochain objectif ?

J’ai souvent tendance à dire que Turnover is vanity, profit is sanity. Je suis évidemment très heureux et très fier de ces résultats qui nous propulsent à la tête du classement des compagnies mauriciennes, mais je suis surtout très reconnaissant à l’ensemble des femmes et des hommes qui s’investissent quotidiennement dans leur travail pour permettre à leur compagnie de grandir et d’amener ainsi GML à maintenir son niveau depuis maintenant trois ans.

Ce résultat est également le fruit d’une vision claire, d’une exécution exemplaire et de partenariats réussis. Je crois aussi que l’innovation et la créativité sont primordiales au sein d’une entreprise pour que celle-ci puisse perdurer dans le climat financier actuel. C’est ce que nous essayons quotidiennement d’appliquer, avec l’ensemble des CEO des compagnies du groupe, dans notre stratégie et notre vision pour notre compagnie.

La prochaine étape a sans doute deux volets : une accélération de notre régionalisation, essentielle à la croissance, et une intégration plus importante de la notion de People et de Planet, faisant ainsi de GML un vrai groupe soucieux de l’approche de « triple bottom line ».

BUSINESSMAG. Etes-vous satisfait de la performance financière du groupe pour l’exercice  financier  clos  au 30 juin ?

Dans un environnement mauricien extrêmement compétitif, une économie mondiale qui se cherche encore, des paradoxes de plus en plus criants, une Afrique qui explose, une Europe qui implose et un pôle Asie / Amérique du Nord qui croit à des lendemains meilleurs, oui, je suis satisfait des résultats de notre groupe et plus particulièrement de notre pôle des services financiers, de notre filiale IBL, du redressement de Lux* et de la bonne tenue de PBL, de notre projet immobilier d’Azuri via IOREC, sans compter les bons résultats de nos associées telles qu’Alteo et UBP. Nous avons su nous diversifier et nous positionner. Et c’est ce qui fait notre force aujourd’hui. Certaines entreprises comme MSM ont encore de nombreux challenges à relever, et de façon générale, il ne suffit pas d’atteindre de bons résultats financiers. Ces chiffres doivent se traduire par des valeurs solides et des actions efficaces.

BUSINESSMAG. La compagnie GML est présente dans le sucre, le tourisme, les services financiers, l’industrie, l’immobilier et même la biotechnologie.  Y a-t-il  encore d’autres secteurs qui vous intéressent ?

Nous avons encore beaucoup à faire dans chacun de ces secteurs. D’y « être » n’est pas une fin en soi, l’important, c’est de faire bien ce que nous entreprenons, de permettre l’épanouissement de nos collaborateurs, d’être innovant et bien évidemment profitable. Où se dirige l’économie mauricienne ?

Je crois beaucoup au secteur du service et du savoir, moins à l’Industrie, pour une île Maurice horizon 2030. Cela étant dit, GML s’est d’abord construit sur l’agriculture et ensuite sur l’industrie et enfin dans le service, mais les futurs relais de croissance sont pour moi dans le Knowledge Hub, le Data Centre, l’enseignement, la recherche et tous les services bancaires/parabancaires dont nos voisins ont besoin. Mais attention, cela requiert une vision claire du gouvernement et une exécution sans faille. Et là, je tire la sonnette d’alarme, car je suis inquiet du leadership de notre pays.

BUSINESSMAG. Dans le sillage de la crise mondiale, il y a une mouvance pour améliorer la bonne gouvernance au niveau du fonctionnement des Boards en favorisant une certaine ouverture, la nomination de directeurs indépendants, plus de transparence dans le fonctionnement des compagnies et la communication financière. Où se situe GML dans cette mouvance ?

GML a toujours prôné la bonne gouvernance pour ses filiales et associées. J’ai été parmi les membres désignés par le ministère des Finances pour faire partie des équipes qui ont travaillé aux côtés de Mervyn King pour le code de bonne gouvernance de Maurice.

Nous avons systématiquement des directeurs indépendants et exécutifs sur nos conseils ainsi que tous les comités requis (audit, risques, nomination, gouvernance etc.). Nos directeurs utilisent beaucoup le Mauritius Institute of Directors pour des formations et mises à jour. Pour la communication financière, nous avons des Analyst Meetings régulièrement pour nos compagnies cotées en bourse et un rapport annuel qui se veut, d’année en année, plus complet. Nous allons d’ailleurs adopter le Global Reporting Initiative pour Lux* cette année.

BUSINESSMAG. Justement, vous avez remis Lux*  sur les rails de la profitabilité. Quels seront vos avancées futures dans le domaine hôtelier ?

Lux* est, en effet, de nouveau sur les rails de la profitabilité et cela n’a pu se faire que grâce à une équipe fantastique, mais aussi à une volonté de fer. Nos objectifs pour Lux* seront, dans un avenir plus ou moins proche,  de continuer à diminuer l’endettement en générant un EBITDA (excédent brut d’exploitation) solide et de propulser notre brand sur la carte de l’hôtellerie mondiale en prenant des Management Contracts.

Mais nous sommes, en ce moment, au niveau de l’hôtellerie dans un paradoxe énorme et inquiétant : moins de places d’avions (yield management), donc des places plus chères. Et plus de chambres d’hôtels, donc des chambres moins chères. Le scénario parfait pour une crise structurelle du deuxième pilier de l’économie mauricienne.

BUSINESSMAG. Vous évoquiez  plus tôt les défis de MSM. Où en est son plan de restructuration ?

MSM a redressé son activité packaging/printing/flexo, mais rencontre toujours des difficultés sur son activité cartonnerie. Nous devons continuer à nous battre pour redresser ce fleuron de l’imprimerie mauricienne. Cela passera inexorablement par une meilleure productivité, un meilleur service, de l’innovation et... un peu de chance dans le contexte économique actuel.

BUSINESSMAG. GML a une forte présence dans la région,  en Tanzanie, à Madagascar, au Sri Lanka, en Afrique du Sud, en Inde et au Bangladesh notamment. La région va-t-elle devenir un nouveau pôle de croissance pour
votre groupe ?

GML, de par sa taille, son nombre d’employés, son chiffre d’affaires, sa contribution au PNB de Maurice, a très peu de marge pour évoluer sur le marché local. Donc oui, la régionalisation est notre principal relais de croissance sur le long terme. Nous réfléchissons beaucoup, au sein de chaque société du groupe, à une opportunité de présence régionale.

Avec une Afrique en pleine croissance, à seulement trois heures de vol de Maurice, les accords commerciaux et traités de non double imposition actuels, GML souhaite effectivement s’implanter chez ses voisins. Pour l’instant, les compagnies qui ont réussi leur implantation à l’étranger sont : AfrAsia (Afrique du Sud et Zimbabwe), IBL (Gabon), Alteo (Tanzanie), UBP (Madagascar et Sri Lanka) et CIDP (Inde, Roumanie et Brésil).

BUSINESSMAG. Sur le plan local, l’investissement privé, qui est un moteur de développement, est malheureusement en panne. Est-ce par manque de ressources, de confiance ou d’initiative ?

La confiance est érodée, les idées en panne et la vision peu claire. Voilà sans doute un constat sévère, mais je trouve que notre leadership politique ne fait pas ce qu’il faut pour saisir les opportunités et faire qu’à Maurice nous ayons 6 ou 7 % de croissance à l’instar de nos voisins africains. Nous « végétons » avec un 3 % et à ces taux, Maurice « régresse » comparativement aux autres.

BUSINESSMAG. Effectivement, nous sommes descendus d’une estimation de croissance de  4 % à 2,9 % pour l’année. Que vous inspire cette valse de chiffres et quelles sont vos propres prévisions par rapport à la croissance nationale ?

Je n’ai certainement pas une assez grande expertise pour juger bon de polémiquer sur tel ou tel taux. Cependant, je sais que nous sommes à la porte d’un nombre incalculable d’opportunités et que nous ne les saisissons pas. Nous risquons de le payer cher en termes de chômage, de paix sociale et de développement harmonieux de notre petite île. Je fais un appel à nos dirigeants pour qu’ils se  concentrent sérieusement sur l’avenir de notre pays. L’heure est grave, il faut se mettre à définir une stratégie claire pour Mauritius Inc. et surtout l’exécuter sans à-coups.

BUSINESSMAG. On parle désormais de « jobless growth » pour Maurice. Est-ce une tendance qui va se poursuivre dans les années à venir ?

C’est, en effet, une situation très inquiétante et il est, je pense, urgent qu’une politique nationale visant à améliorer la qualité de l’éducation soit définie. Le gouvernement se doit d’injecter de l’argent dans des secteurs qui favorisent le recrutement et de faciliter les investissements qui sont le moteur même d’une bonne croissance et, par conséquent, le levier pour la création d’emplois.

Le secteur privé a également son rôle à jouer. Les entreprises doivent encourager et accompagner ces jeunes diplômés en leur offrant des opportunités de stages, par exemple, ou bien des conseils qui pourront les aider par la suite à faire leur propre expérience. Car ces jeunes ont entre les mains l’avenir de notre pays. C’est d’ailleurs, dans cette optique, qu’au sein de GML, nous travaillons dans le but d’être le Most Preferred Employer afin d’attirer et d’employer le maximum de talents.

BUSINESSMAG. La corruption et les fraudes financières ternissent l’image du pays. L’économie parallèle prend de l’ampleur. Tout cela vous inquiète-t-il ?

Comme je le disais précédemment, les journaux sont remplis de scandales et la corruption est omniprésente. Oui, cela m’inquiète et je voudrais qu’un nouveau souffle s’installe sur Maurice et fasse que nous puissions TOUS regarder dans la même direction, travailler, créer des emplois, de la richesse dans un environnement sain, stable et « forward looking ».

BUSINESSMAG. Nous sommes à quatre mois du Budget. En tant que chef d’entreprise, qu’attendez-vous du gouvernement pour relancer  l’économie ?

Les mesures et les challenges sont multiples, qu’ils soient économiques, sociaux, politiques, infrastructurels ou environnementaux. Toutefois, je ne vais pas m’étendre sur la technicité, mais plutôt sur la nécessité – encore et encore – d’avoir une vision claire de Maurice et de l’exécuter.

Parmi ces mesures, la première serait de favoriser l’accueil des étrangers investissant localement ou ceux souhaitant acheter un bien immobilier. La connectivité pour le développement d’un pays est primordiale, tant au niveau aérien et portuaire qu’au niveau des bandes passantes. Enfin, nos infrastructures publiques nécessitent d’être revues pour offrir une meilleure qualité de vie aux Mauriciens aussi bien qu’aux expatriés.

Si nous relevons ces défis, tout en permettant la création d’emplois et un environnement encore plus propice aux investissements, peut-être pourrons-nous alors atteindre un taux de croissance satisfaisant. Mais pour cela, il faut que notre gouvernement s’implique plus et nous y arriverons. Le cadre est là, la fiscalité est porteuse et les opportunités énormes. Alors allons-y ensemble, together !

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