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Coronavirus : péril sur la croissance

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Coronavirus : péril sur la croissance | business-magazine.mu

Le bilan est lourd : plus de 89 000 personnes ont été infectées par le coronavirus. Et pas moins de 3 000 décès sont à déplorer. Ce virus, qui prend des allures de pandémie, s’il continue à se propager, touche 58 pays à ce jour. À Maurice, c’est le branle-bas de combat même si aucun cas de la maladie n’a été détecté. Il n’empêche que l’effet de contagion touche déjà l’économie mauricienne. Face à cette situation, le gouvernement s’engage avec le secteur privé à trouver des solutions rapides et efficaces pour contrer l’impact économique du coronavirus. Déjà, des mesures de contrôle ont été mises en place, notamment une interdiction temporaire d’importer tous les animaux vivants de Chine. Il convient de noter qu’à l’heure actuelle, plus de 95 % de nos importations en provenance de Chine se composent de produits manufacturés, notamment des appareils électroniques et électriques, des produits textiles et d’habillement, des articles en plastique et des articles en métal.

Selon les premières estimations de la Banque centrale, les perturbations à l’économie causées par le virus enlèveront entre 0,1 point à 0,3 point de pourcentage à la croissance. Mais ces scénarios demeurent très dynamiques. Dans le même souffle, l’incidence sur les recettes de l’État dans la conjoncture reste sous la loupe.

«Avant le coronavirus, ma prévision pour la croissance du PIB pour 2020 pour Maurice se situait entre 3,5 % et 3,6 %, ce qui est bien inférieur aux prévisions initiales de 4 % du gouvernement et de la Banque de Maurice. Avec le coronavirus, qui est un véritable ‘black swan event’ – selon les chiffres, nous approchons des 100 000 cas d’infections dans le monde et le virus continue de se propager bien au-delà des frontières de la Chine, jusqu’en Europe et aux États-Unis –, je pense que nous pourrions finir entre 3 % et 3,2 %. Mais si la propagation du virus se poursuit au-delà du mois de mars, il y a de fortes chances que nous nous retrouvions avec une croissance du Pib inférieure à 3», observe Kevin Teeroovengadum, consultant international. 

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L’ÉQUILIBRE DES MARCHÉS MENACÉ

L’impact du coronavirus sur l’économie mondiale se fait sentir de deux manières : via l’économie réelle et les marchés financiers. La propagation de Covid-19 touche un ensemble de pays qui représente près d’un tiers du Pib mondial. Jaya Patten, directeur de Jaya Advisory - Financial Markets Risks and Governance, explique que la réduction de l’offre globale reflète l’importance de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement en tant qu’arrière-cour manufacturière de l’économie mondiale. Au moment de l’épidémie de SARS en 2003, la Chine représentait 4 % de l’économie mondiale. Aujourd’hui, sa part est quatre fois plus importante, environ 16 %. L’impact sur la demande globale est plus difficile à jauger. Selon McKinsey, la réduction est estimée entre 0,3 et 0,7 % du Pib mondial. Cela dépendrait du comportement et des décisions des consommateurs et des industriels en matière de consommation et d’investissement. Cela dépendra également des capacités des emprunteurs et les exigences des prêteurs.

«Le deuxième mécanisme de transmission est plus troublant à mon avis. Cela pourrait menacer gravement l’équilibre des marchés financiers. L’expansion économique et la tendance haussière des marchés aux États-Unis, après la crise financière mondiale, durent depuis longtemps. Les investisseurs sont conscients qu’un renversement est imminent. Un tel état d’esprit associé à un cycle étendu se caractérise par un mélange de deux émotions conflictuelles. L’espoir laisse entendre que cette tendance haussière va perdurer confortant les investisseurs dans leur positionnement. La peur laisse présager que la fête peut se terminer brusquement. La performance des principaux indices mondiaux la semaine dernière en est une illustration claire : l’indice S&P a enregistré une semaine de baisse la plus importante depuis la crise financière mondiale. Il y a également un sentiment étrange que l’épidémie pourrait être la catalyse d’une plus grande rupture sur les marchés financiers», fait remarquer Jaya Patten.

Ainsi, selon Jeya Patten, deux préoccupations sont au premier plan : l’édifice opaque des instruments financiers qui misent sur une faible volatilité et l’essor des marchés du crédit. L’indice de volatilité S&P a presque doublé la semaine dernière (de 15 à 27). Cela nuira inévitablement aux stratégies d’investissement qui misent sur une faible volatilité et des allocations plus élevées aux marchés boursiers. «Le plus gros souci est le marché du crédit et en particulier le marché obligataire privé. Le retrait des banques en tant que principaux prêteurs, au lendemain de la crise financière mondiale, a favorisé le développement des marchés du crédit privé et stimulé le marché obligataire privé. Dernièrement, les marges de crédit se sont élargies pour refléter une prime de risque plus élevée et les nouvelles émissions ont ralenti. Un resserrement des liquidités des entreprises pourrait être le signe avant-coureur d’un malaise plus grave», ajoute Jeya Patten.

La conséquence pour l’économie mauricienne refléterait la mesure dans laquelle ces deux mécanismes de transmission impactent la croissance. «Je pense que l’impact sur l’économie réelle sera probablement moins important, surtout sous l’angle de l’offre. Du côté de la demande, certains secteurs de l’économie, avec une élasticité vis-à-vis de la demande mondiale plus élevée, seraient plus vulnérables. La menace la plus importante, à mon avis, vient des marchés financiers. Une plus grande aversion au risque aurait un impact négatif sur les marchés émergents en général, Maurice pourrait en pâtir. Un drainage des liquidités sur les marchés développés limitera la disponibilité et le flux de capitaux à court terme», fait ressortir Jeya Patten. Cela dit, l’impact réel dépendra in fine de la réplique des politiques. La capacité et l’efficacité des autorités compétentes concernées à mettre en œuvre les mesures nécessaires et appropriées pour protéger l’économie des effets potentiels de la contagion seront déterminantes. 

PERTURBATIONS MAJEURES

De l’avis d’Amit Bakhirta, fondateur et CEO d’Anneau, il faut s’attendre à ce que les perturbations des échanges du côté de l’offre et le ralentissement des voyages internationaux affectent principalement l’industrie touristique. «Nos projections du scénario de base pour les arrivées touristiques cette année suggèrent une baisse d’environ 3,15 % à 4,75 %, ce qui représente à peine 5,5 % de la valeur ajoutée brute. Le secteur manufacturier pourrait également être touché et nous prévoyons donc que 10 à 25 points de base (0,10 % - 0,25 %) de la croissance du Pib seront réduits de la croissance du Pib local en 2020 ; comme notre scénario de base. Celles-ci devraient être révisées à la baisse, au cas où la situation se transformerait vraiment en pandémie, ce qui nous semble peu probable, aujourd’hui», analyse-t-il.

À l’échelle mondiale, on constate des perturbations majeures dans la chaîne d’approvisionnement et la logistique étant donné que la Chine, la deuxième économie mondiale, fournit au monde autant de produits nécessaires que nous utilisons quotidiennement et tenons pour acquis, fait remarquer Kevin Teeroovengadum.

Ainsi, pour comprendre l’ampleur de ce qui se passe, le China’s official Purchasing Managers’ Index (PMI) est tombé à un niveau record de 35,7 en février, bien en-deçà du seuil de 50 points qui sépare la croissance mensuelle de la contraction. Quant à Maurice, environ 17 % de ses importations proviennent de Chine. Evidemment, avec la fermeture de l’accès aérien et portuaire à la Chine et le ralentissement ou la fermeture des entreprises manufacturières en Chine, cela aura un impact sur ce que nous importons de Chine. En outre, nos importations proviennent également d’autres pays qui, à leur tour, dépendent de la Chine pour certaines parties de leur chaîne de valeur.

Les perturbations aux activités de production en Chine ont certainement des effets multiples sur l’économie mauricienne. La Chine est le principal fournisseur de Maurice avec des marchandises d’une valeur marchande de Rs 24 milliards pour la période janvier à septembre 2019 (Rs 31,8 milliards pour l’année 2018). L’industrie manufacturière qui utilise les matières premières chinoises, notamment le coton et le tissu, pour produire des vêtements sera affectée par des interruptions de production et de livraison. Les sources alternatives sont, de manière générale, une option plus coûteuse. À titre indicatif, Business Mauritius chiffre les coûts additionnels des intrants à la production à Rs 250 millions.

«Le problème ne s’arrête pas là. Normalement, si nous ne trouvons pas ce qu’on achète en Chine ou en Corée du Sud, nous devons peut-être nous tourner vers d’autres pays pour l’approvisionnement. Toutefois, cela ne se fait pas du jour au lendemain, car un importateur mauricien devra trouver un nouveau fournisseur, négocier un nouvel accord et, en même temps, il sera en concurrence avec de nombreux pays et acheteurs mondiaux qui se tournent également vers la même nouvelle source de fournisseur. Ces derniers pourraient prendre du temps pour augmenter la production et répondre à l’offre et, à court terme, pourraient ne pas disposer de stocks suffisants pour satisfaire tout le monde. Nous allons voir augmenter l’inflation à court terme car trop d’acheteurs courent après trop peu de fournisseurs alternatifs. Une situation assez compliquée pour Maurice et le reste du monde. L’impact peut donc être plus important que prévu», analyse Kevin Teeroovengadum.

Clairement, le modèle de consommation des Mauriciens a beaucoup changé au fil des ans. La tendance des quinze dernières années montre une augmentation continue de nos importations. En 2005, celles-ci étaient d’environ Rs 93 milliards et en 2019, elles étaient de Rs 199 milliards. Et l’épidémie du coronavirus nous rappelle qu’il est urgent qu’on repense notre modèle.

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