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Covid-19 : l’urgence d’amorcer une phase de réindustrialisation

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Covid-19 : l’urgence d’amorcer une phase de réindustrialisation | business-magazine.mu

La crise sanitaire engendrée par le coronavirus a évolué en une crise économique à l’échelle planétaire. Désormais, on ne parle même plus de ralentissement économique, mais on envisage fortement l’éventualité d’une contraction économique. Face à la presse vendredi, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, s’est voulu pragmatique, soutenant que l’impact sur la croissance se situerait autour de 1 % à 6,5 %. Autrement dit, dans le pire des scénarios, l’économie mauricienne contractera de -3 %. Avant d’ajouter que la crise est désormais systémique.

Alors que la crise de 2007- 08 a mis au jour les vulnérabilités d’un système financier interconnecté, le coronavirus vient frapper au cœur de ce qui constitue l’essence du libéralisme, soit la mondialisation des échanges de biens et de services. Aujourd’hui, la Chine, qui est le plus grand atelier du monde avec 20 % de la production mondiale, est paralysée. Du coup, c’est tout le commerce mondial qui est grippé. À mesure que les frontières se ferment et que les contrôles sanitaires ralentissent les flux de marchandises, la perturbation des chaînes d’approvisionnement qui en résulte laisse entrevoir à Maurice la perspective d’une pénurie de nourriture et de produits de consommation courante. Si, dans l’immédiat, il incombe d’agir au plus vite à la fois pour soutenir les entreprises en situation de détresse financière et empêcher que le Covid-19 ne se propage sur notre territoire, il faut aussi se remettre en question et corriger les défaillances structurelles de notre économie, tout en s’engageant dans une stratégie industrielle forte. Car il s’agira dans le futur de garantir notre sécurité alimentaire et d’approvisionnement.

Valeur du jour, notre balance commerciale est fortement déséquilibrée. En 2019, elle affichait un déficit de Rs 124,1 milliards. Le pays a importé des marchandises pour un montant de Rs 206,6 milliards contre des exportations de Rs 82,5 milliards. Alors qu’en 2005, nos importations s’élevaient à Rs 93 milliards. Quant à la Chine, elle représente environ 17 % de nos importations. On touche là au cœur du problème : Maurice est trop dépendant des importations, ce qui renforce sa vulnérabilité aux aléas du commerce international. Dans le même temps, on ne produit pas assez pour notre consommation interne et pour les besoins d’exportation. Depuis des années, les industriels et les analystes tirent la sonnette d’alarme en pointant du doigt ce dysfonctionnement inhérent à notre modèle économique. Mais en dépit des discours de circonstance, on est resté plongé dans une douce léthargie. Avec la transition de Maurice vers une économie de services, notre base industrielle s’est graduellement effritée. En l’espace d’une vingtaine d’années, la contribution du secteur manufacturier au produit intérieur brut (Pib) est passée de 25 % à 14 %. Or, le secteur industriel local est demeuré résilient avec une contribution de 10,5 % au Pib. Outre des recettes de Rs 40 milliards, il génère 50 000 emplois directs et 100 000 autres indirectement.

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LE STATU QUO BOULEVERSÉ

En ces moments de crise, l’heure est désormais à l’action. Comme le souligne le consultant international Kevin Teeroovengadum, le coronavirus a bouleversé le statu quo. «C’est un coup de semonce. Je crois que le monde va changer peu importe si le virus disparaît rapidement ou s’il dure plus longtemps. Le gros changement que je prévois est que beaucoup de pays et d’entreprises vont revoir leurs importations et leurs chaînes d’approvisionnement. Ils ne vont plus continuer à mettre tous les œufs dans le même panier, c’est-àdire celui de la Chine. À l’avenir, il sera important d’avoir une base d’importation bien diversifiée ainsi que des plans de secours.  

Déjà, un certain nombre d’États européens utilisent cette crise pour promouvoir leur industrie locale ou pour relocaliser leurs usines hors de la Chine vers l’Europe de l’Est et l’Amérique du Nord. À Maurice, c’est l’heure ou jamais pour le secteur public et le privé d’adopter une vraie stratégie pour développer notre base industrielle», observe-t-il.

Pour l’économiste, la crise du coronavirus nous offre l’opportunité d’agir sur trois fronts. D’abord, il importe de soutenir les produits Made in Mauritius. Ensuite, il faut enclencher un virage stratégique vers l’Afrique, qui peut approvisionner Maurice en denrées alimentaires sans compter les nouvelles perspectives qui se présenteront avec la zone de libre-échange continentale. Et, finalement, on doit inciter les fermiers et manufacturiers sud-africains engagés dans l’agro-transformation et l’ingénierie légère à relocaliser à Maurice un certain nombre de leurs unités de production.

De son côté, Paul Baker, Chief Executive Officer d’International Economics, fait ressortir qu’à Maurice, la composition du Pib est relativement disproportionnée avec la balance penchée du côté des services, qui représentent environ 75 %. S’il est vrai qu’il est pertinent de bâtir une base industrielle et agricole solide, il faut aussi réaliser que cela prendra du temps, des investissements, des ressources et beaucoup efforts, fait-il remarquer. «Dans cette réflexion, il faudra notamment prendre en considération les avantages comparatifs pour l’économie, de même que les facteurs exogènes. Il faut aussi savoir qu’il ne sera pas toujours efficient d’investir dans certains secteurs où nous sommes dépendants de l’importation. Concernant la pandémie du coronavirus, je préfère penser qu’elle doit nous interpeller sur la nécessité de mettre en place un réseau diversifié de relations commerciales et d’affaires», argue-t-il.

MODÈLE GLOCAL

Il salue certaines initiatives mises en place pour favoriser l’industrialisation mauricienne et la croissance, dont la National Exports Strategy 2017 - 2021, qui est une feuille de route visant à améliorer la compétitivité du secteur d’exportation et redynamiser la base industrielle. De même, soutient-il, l’Economic Development Board a fait une avancée considérable pour améliorer l’environnement des affaires.

Par ailleurs, le coronavirus alimente le débat sur le retour au protectionnisme. Doit-on suivre le courant de la démondialisation ? Pour Kevin Teeroovengadum, il est clair qu’on s’écarte du libéralisme et du capitalisme qu’on a connus ces trente dernières années, mais il ne pense pas qu’on opérera un retour à l’ancien modèle de protectionnisme. «Je pense qu’on assistera à l’émergence d’une nouvelle philosophie économique qui refaçonnera le monde différemment à l’avenir. On devrait passer d’un modèle global à un modèle glocal. Autrement dit, il y aura plus de commerce régional que global. Cela dit, un certain nombre de pays développés, pour des raisons environnementales, s’engagent dans un modèle où ils consomment ce qu’ils peuvent obtenir de leurs partenaires dans la région plutôt que de se tourner vers des pays qui sont à des milliers de kilomètres», souligne-t-il.

Quant à Paul Baker, il estime que compte tenu du fait que l’économie mondiale est fortement interconnectée, pratiquement aucun pays ne peut survivre et grandir sans s’engager dans des échanges commerciaux avec le reste du monde. Dans le cas de Maurice en particulier, où le commerce représente 120 % du Pib, il ne serait pas bien avisé qu’on fasse le pari d’une politique protectionniste, prévient-il. «En raison d’un manque de ressources naturelles, le secteur manufacturier local dépendra toujours des importations. Ainsi, le protectionnisme ne sera pas la bonne approche dans un contexte où l’on accélérera l’industrialisation», soutient-il.

Au niveau de l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM), on estime que les répercussions du Covid-19 sur l’économie mondiale doivent nous amener à repenser la place qu’on accorde aux manufacturiers locaux et adopter le plus rapidement possible une vraie stratégie industrielle pour le pays. Son président, Yannis Fayd’herbe, fait ressortir qu’avant toute stratégie de régionalisation et d’internationalisation, il nous faut avant tout développer une industrie locale forte.

Dans ce contexte, il lance un appel pour l’adoption d’une Buy Mauritian Act, qui sera un outil clé pour notre réindustrialisation. À noter que l’AMM milite pour une industrie locale ayant un fort ancrage sur le marché domestique et dans la région et qui est pleinement engagée dans le courant de l’économie circulaire. Son label, Made in Moris, crée en 2013, compte à ce jour environ 250 marques et 3 500 produits.

Dans les années 70, dans un élan de diversification, Maurice se lançait dans une industrie de substitution à l’importation. C’était le début de la transformation de l’économie mauricienne. Aujourd’hui encore, elle doit se réinventer et se réindustrialiser pour survivre dans un environnement économique mondial en pleine mutation. À l’avenir, il conviendra de repenser notre prospérité et développer l’économie de l’intérieur et par la demande locale.

L’impact de l’import sur l’effet multiplicateur

Clairement, il y a un réel dysfonctionnement dans l’économie. Et cela se ressent sur l’effet multiplicateur. Dans son rapport Lokal is Beautiful rendu public l’année dernière, le groupe MCB soulignait que sur une période de 20 ans, en globalisant son économie, Maurice a décuplé sa capacité à capter des revenus internationaux et à les faire circuler localement. Ainsi, en 2015, le pays a capté des revenus à l’international de $ 3,42 milliards. En faisant circuler ses capitaux dans l’économie, l’effet multiplicateur qui en résulte a été de 2,86. Autrement dit, les richesses générées se sont élevées à $ 10,3 milliards. Or, fait ressortir le rapport, si les revenus externes sont en croissance depuis 20 ans, en contrepartie, l’effet multiplicateur de Maurice – sa capacité à faire circuler ses richesses – enregistre une baisse de 25 % en 10 ans.

Attention à la spirale de croissance appauvrissante

Si une politique visant à soutenir le secteur manufacturier est importante, celle-ci ne doit pas se faire avec la seule vision d’inverser le déficit commercial, souligne Paul Baker, le CEO d’International Economics. Il s’explique : «Si c’est l’objectif, alors les espoirs seront déçus. De plus, cela va favoriser un esprit mercantiliste qui pourrait résulter en une spirale de croissance appauvrissante».

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