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Duty-free Island : un rêve oublié ?

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Duty-free Island : un rêve oublié ? | business-magazine.mu

À chaque fois qu’il se retrouve au Trésor public, la question revient sur le tapis. Il s’agit bien évidemment du rêve de Pravind Jugnauth de transformer Maurice en une île franche.

Même si jusqu’ici ce concept est demeuré vague et qu’il n’y a pas eu de grandes avancées, le fait que Pravind Jugnauth a repris les rênes du ministère des Finances est une raison suffisante pour susciter l’interrogation. Va-t-il nous resservir du Duty-free Island au menu du Budget 2016-17 ? Ce mystère reste encore à être percé.

En attendant, voyons comment ce concept présenté comme novateur avait enthousiasmé certains et apeuré d’autres, il y a onze ans. C’est en 2005 dans le dernier Budget du mandat de l’alliance MSM-MMM que Pravind Jugnauth dévoile son intention de : «… to make of Mauritius a Duty-free Island. There is a national purpose for making this historic decision. It is to transform Mauritius into a shopping paradise for tourists. It is to create a new and unprecedented dynamism in our economy for investment and to take a big step toward the full employment growth path

Après une parenthèse de cinq ans, il reviendra à la charge en 2011 avec son retour à l’Assemblée nationale sous la bannière du gouvernement PTr-MSM. Cette fois-ci l’idée est d’intégrer le développement du tourisme dans la vision de Duty-free shopping. Et de promettre que cette nouvelle industrie aura un impact majeur sur les secteurs clefs de l’économie. «It will generate an unprecedented synergy and put Mauritius on the same development track where countries like Singapore and Dubai have treaded before us», avait-il fait ressortir.

L’économiste Pierre Dinan se souvient de la première annonce de 2005. «Il n’avait pas présenté tous les détails entourant ce projet», note-t-il. Aujourd’hui encore, il s’interroge sur sa viabilité. Selon lui, il s’agit d’abord de cerner le concept de Duty-free. Le terme précis, rappelle-t-il, s’applique aux droits de douane (Customs duty). Tout comme il est possible d’y inclure les droits d’accise (Excise duty).

Si les droits de douane frappent directement les produits à l’importation, les droits d’accise, en revanche, touchent aussi bien les produits locaux qu’étrangers. Deux instruments à la disposition du ministre des Finances.

Un prix à payer

Bien qu’il soit assez difficile de se prononcer sur une éventuelle mise à jour du projet de Duty-free Island par Pravind Jugnauth, Pierre Dinan pose déjà la problématique budgétaire, si jamais la question refait surface. D’autant plus que dans le Budget 2015-16, les droits de douane représentaient seulement 1,6 % de la totalité des revenus courants du pays, soit Rs 1,27 milliard. Une intervention à ce niveau aura une incidence – pas nécessairement considérable – sur le déficit budgétaire. Mais est-ce suffisant pour attirer des acheteurs et consommateurs ? s’interroge-t-il.

Les droits d’accise, par contre, ont totalisé Rs 14,67 milliards soit 18,9% des revenus totaux. «Avant de se prononcer, il est important de savoir ce que le ministre des Finances a en tête et tenir en considération que le déficit budgétaire est un gros obstacle à un tel projet», déclare Pierre Dinan.

Dans son allocution à l’Assemblée nationale, le 4 avril 2005, le Grand argentier l’avait lui-même reconnu : «Success in such an endeavour comes with a price. Government collects over four billion rupees every year from customs duty. The Treasury cannot afford to sacrifice that much revenue in one go.» Il y a aussi les intérêts du secteur manufacturier local qu’il fallait absolument protéger. «It would not be responsible nor would it be fair on the part of Government to reduce all these tariffs all the way to zero. Some of our enterprises need more time to become globally competitive», avait-il soutenu.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le paysage a évolué et continue de l’être, notamment dans le secteur de l’aérien, un élément jugé comme étant déterminant dans la réussite du projet. Certes, Maurice a entamé une politique d’ouverture de son espace aérien mais «nous avons encore du chemin à parcourir», constate Pierre Dinan. Puis, il faudra être sacrément compétitif pour aspirer à concurrencer des centres de shopping comme Dubaï.

 Ouvrir une fenêtre sur le tourisme de shopping

Qu’à cela ne tienne, du point de vue de l’opérateur touristique Christian Lefèvre, une telle stratégie serait avant-gardiste et pourrait éventuellement ouvrir une fenêtre sur un créneau du tourisme de shopping. Le Managing Director de Coquille Bonheur estime également que la concrétisation de ce projet contribuerait à l’amélioration de la qualité de la vie des Mauriciens. Toutefois, il reste lucide car cela impliquerait moins de recettes pour le gouvernement.

Il évoque aussi plusieurs problèmes qui doivent être résolus, notamment sur les plans du transport, du trafic routier et de l’insécurité.

Pour Christian Lefèvre, qui dit plaider depuis dix ans pour un partenariat pluriel en faveur d’un tourisme équitable et durable, le concept de Duty-free Island est incompatible avec la formule tout-inclus pratiqué dans certains hôtels. «Avec le marketing All-Inclusive, les touristes sont invités à quitter le portefeuille à la maison et sont pris en otage par certains hôteliers», déplore-t-il. Qui plus est, il souligne qu’il est très rare de voir des touristes dans les centres commerciaux, à l’exception du Caudan qui se trouve dans la capitale, ou peut-être au marché aux puces de Quatre-Bornes.

Réussir la mise en œuvre d’un tel projet sera donc un véritable défi si le ministre des Finances décide de choisir à nouveau la voie du Duty-free Island. Le Managing Director de Coquille Bonheur évoque à ce titre la nécessité de lancer au préalable une étude professionnelle s’inspirant d’un plan Marshall afin de définir dans les moindres détails plusieurs actions portant, entre autres, sur la valorisation des commerces, l’animation des quartiers et commerces locaux et les stratégies novatrices pour assurer la promotion de notre île comme une vraie destination haut de gamme. L’impact sur le développement du pays doit aussi y figurer.

Le concept de Duty-free island intéresse également le publicitaire Vino Sookloll. Il est de ceux qui pensent que c’est une étape que Maurice devra franchir. À un moment où on parle de Smart cities, de nouvelles routes et du retour du métro-léger, il est impératif de s’assurer que le niveau de services suit la même tendance. Le fait d’attirer les grandes marques étrangères sur notre sol aidera, de son point de vue, à tirer le pays vers le haut.

Tirer le pays vers le haut

Selon lui, les pièces du puzzle sont déjà là. Il suffit de les assembler pour permettre au projet de prendre forme. Le président de l’Association of Communication Agencies (ACA) en veut pour preuve le couloir aérien entre Changi et Plaisance, de même que les nouvelles dessertes sur l’Afrique qui verront une augmentation du nombre de passagers en transit à Maurice. Le développement de l’Airport City devrait aussi contribuer à un meilleur positionnement dans la filière hors taxes.

Interrogé sur l’impact d’un éventuel retour du concept de Duty-free Island sur l’industrie locale, Vino Sookloll affirme que la question devrait se poser si le but est de cibler la population comme bénéficiaire. «Les bijouteries locales ou encore le secteur de la maroquinerie risquent de souffrir», reconnaît-il. D’où les investissements de l’Association of Mauritian Manufacturers dans la recherche et l’innovation pour permettre aux marques mauriciennes de se démarquer.

Mais, pour Pierre Dinan, il n’y a pas de doute : un tel projet visera principalement le secteur touristique. Le reste, dit-il dépendra de la définition de Duty-free island. «Is it duty-free, is it VAT-free, is it customs duty-free or is it excise duty-free?» Autant de questions en suspens, qui trouveront peut-être écho lors du prochain Budget de Pravind Jugnauth. Attendons voir !

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